Richard Strauss - Die Frau Ohne Schatten - Berlin - 14 octobre 2018

Die Frau Ohne Schatten

(La femme sans ombre)

Richard Strauss
Livret de Hugo von Hofmannsthal



Direction musiscale : Simone Young
Mise en scène : Claus Guth

Der Kaiser :  Simon O'Neill
Die Kaiserin : Camilla Nylund
L’infirmière : Michaela Schuster
Der Geisterboter : Boaz Daniel
Barak : Egils Silins
La teinturière : Elena Pankratova

Chœurs et chœurs d’enfants de l’opéra de Berlin
Orchestre de la STAATSKAPELLE de BERLIN



Die Frau Ohne Schatten est une œuvre foisonnante et complexe, histoire de deux couples symétriques, l’empereur et l’impératrice d’une part, le teinturier et la teinturière d’autre part. En pleine période psychanalytique, le livret de Hugo von Hofmannsthal, est un véritable conte à clefs, dont il faut décrypter les signes. 

L’empereur chasseur est un ténor dont la partition est rude comme toujours avec Richard Strauss (et les ténors). Sa douce femme l’impératrice gazelle le verra se pétrifier sous ses yeux si elle ne parvient pas à lui donner un enfant. C’est une soprano aux aigus rayonnants, qui a de superbes pages lyriques. Le teinturier Barak (le seul à avoir un nom) est un baryton dont la partition est elle aussi d’une beauté saisissante beaucoup moins heurtée que celle du ténor, beaucoup plus humaine et touchante. La fameuse teinturière qui refuse à son travailleur de mari, les enfants dont il rêve, est le rôle le plus violent le plus remarquable de l’opéra, forcément interprété par une puissante soprano dramatique. La nurse est un peu son miroir, en mezzo, avec force de maléfices dans la voix.

La mise en scène de Claus Guth imagine un rêve de la jeune impératrice qui dort, prise d’une forte fièvre, veillée par l’infirmière. Rêve en forme de cauchemar où pullulent les représentations animales des personnages familiers, tandis qu’au-delà du cadre sage, bois acajou et petit lit blanc de la chambre, apparaissent d’autres images, d’autres évocations, le rocher, les enfants, les faucons, les gazelles, les boucs, superbe bestiaire.
Notons que cette puissante mise en scène a été créée à la Scala en 2012 puis reprise à Londres et à Berlin mais qu’elle n’a jamais fait l’objet d’une captation…Elle colle parfaitement aux thèmes et à la musique torrentielle de Strauss.

Simone Young dirige l’orchestre d’une main de maître (e), faisant habilement et avec force, ressortir toutes les richesses instrumentales et orchestrales de la partition, l’une des plus riches de Strauss, où s’entremêlent de nombreux instruments très différents les uns des autres du Glockenspiel ou célesta jusqu’aux gros cuivres et percussions : la musique se gonfle de drames, semble rouler vers la scène, échanger avec les parties vocales grandioses, un peu comme dans Elektra, l’un submerge l’autre et vice versa, dans une grande excitation harmonieuse.

Camilla Nylund a fait ses débuts il y a peu en impératrice et elle peine un peu à se chauffer lors de son premier long solo mais nous offre ensuite de très belles pages où sa voix a repris sa beauté lyrique, sa puissance et sa grâce infinie de jeune gazelle aux longs cheveux blonds.
En empereur Simon O’Neil se tire d’une partition terriblement casse-voix, en lui donnant du sens et sans faiblir ni dans les aigus héroïques où l’orchestre déferle sur la scène, ni dans son long monologue très bien conduit. On regrettera qu’il n’ait pas toujours le sens des nuances qui se prête à certaines parties du rôle et que son timbre soit parfois un peu nasillard.

Avec Egils Silins, on est dans l’excellence totale et sans réserve : superbe timbre très bien négocié, jamais en force, avec d’infinies et subtiles nuances, il campe un Barak distingué et rempli d’humanité qui a arraché très rapidement l’adhésion du public et est l’un des « plus » de cette reprise. La performance d’Elena Pankratova, titulaire du rôle depuis des années, est toujours aussi impressionnante. Sa « partie » est terrible, comme celle d’Elektra : il faut passer les déferlements sonores de l’orchestre à chaque instant pendant de long airs où elle ne faiblit jamais, dardant l’air de son timbre opulent et de la puissance de son soprano dramatique ; Michaela Schusster fait presque aussi bien en machiavélique nurse aux sombres ailes noires. Presque … il arrive à sa belle voix de mezzo de sonner moins brillamment que celle de sa partenaire mais c’est une belle prestation malgré tout.
J’en profite pour souligner que Silins et Schusster qui ont des timbres plus « mat » que les autres, sonnent bien dans une acoustique comme celle du staatsoper alors qu’à Bastille ce n’était pas tout à fait le cas.

Boaz Daniel est égal à lui-même : il chante bien, la voix est belle, il manque un tout petit peu de charisme et on peine à le remarquer sauf quand on le connait…
Beaux seconds rôles, rôles de figurants et chœurs.
On passe une soirée très intense de plusieurs heures de musique sans respiration, qui sait créer une atmosphère d'oppression et une tension extrême et permanente.

Espérons voir cette oeuvre magistrale et cette belle mise en scène reprise un jour à l'opéra de Paris qui ne nous donne pas tellement de Strauss....








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