Hamlet - Ambroise Thomas - Opéra Comique Paris, décembre 2018

Hamlet

Ambroise Thomas

Livret de Michel Carré et Jules Barbier, 
Créé à l'Opéra Le Peletier (Paris) le 9 mars 1868.



Paris, Opéra-Comique, séances des  17, 19 et 23 décembre 2018 

Direction musicale : Louis Langrée
Mise en scène: Cyril Teste
Décors : Ramy Fischler
Costumes : Isabelle Delfin
Lumières: Julien Boizard
Vidéos : Mehdi Toutain-Lopez, Nicolas Dorémus
avec
Stéphane Degout : Hamlet
Sabine Devieilhe : Ophélie
Laurent Alvaro : Claudius
Sylvie Brunet-Grupposo : Gertrude
Julien Behr : Laërte
Jérôme Varnier : Le Spectre
Kevin Amiel : Marcellus
Yoann Dubruque : Horatio
Nicolas Legoux ; Polonius

Choeur, Les éléments
Orchestre des Champs-Élysées

Hamlet, l’opéra, ne bénéficie absolument pas d’une notoriété similaire à celle de la pièce éponyme de Shakespeare. Osons dire que c’est un tout petit peu injuste et probablement du au fait qu’Ambroise Thomas, compositeur français tombé dans un oubli relatif, était considéré comme très académique à son époque et nettement moins intéressant que ses contemporains.
Cet opéra resurgi au début des années 90 (avec Thomas Hampson dans le rôle-titre) et qui, depuis, connait une carrière raisonnable, sort enfin de l’oubli pour arriver une nouvelle fois à Paris, après sa renaissance salle du Chatelet en 2000 (Natalie Dessay inoubliable Ophélie), à l’Opéra Comique, dans cette si jolie salle Favart, qui nous propose tant d’œuvres oubliées avec tant de talent qu’on se doit d’abord de saluer cette entreprise qui sort des sentiers battus. L’année 2018 avec la Nonne Sanglante, Marouf savetier du Caire ou Orphée et Euridice, fut une année particulièrement faste qui se termine en beauté avec ce superbe Hamlet.
Hamlet est un opéra en 5 actes dont la construction est parfois déroutante, tant il semble osciller entre plusieurs genres : nous ne sommes plus dans l’opéra avec récitatifs et arias, Ambroise Thomas opte assez résolument pour une « écriture musicale continue », sans chercher d’effets de voix chez ses interprètes. Le rôle-titre, celui d’un baryton, ce qui est alors inédit dans l’opéra où le héros est d’abord le ténor, confère une certaine mélancolie intérieure à cet Hamlet, torturé par le poids du destin et par sa mission, tuer l’usurpateur pour venger son père. C’est un rôle lourd, en tension permanente, qui se doit de dominer la scène et l’œuvre puisque l’ensemble des enchainements dramatiques tournent autour de lui. En même temps d’autres personnages importants ont tous leur « moment d’opéra » à commencer par Ophélie, seule en scène pendant presque tout l’acte 4, qui a la très difficile tâche de chanter son agonie et sa mort, ce fameux long air où il s’agit plutôt de rendre compte d’un désespoir sans fond et sans fin, elle, la victime innocente du drame. Thomas met également en scène le spectre du roi mort assassiné, le roi usurpateur, la reine qui a trahi son époux… le drame reste concentré, presque intime, autour de ces personnages qui interagissent dans un huis-clos mortel.
Musicalement Thomas compose une partition haute en couleurs d’instruments, faisant alterner les cordes et les cuivres, ménageant beaucoup de solos instrumentaux, notamment celui du saxophone alors nouveau dans la famille des cuivres, et donnant des percussions variées, une cloche et une variété de sons qui le rapproche nettement du Verdi du Trovatore ou de Don Carlo.
L’Opéra Comique prend le parti de valoriser au mieux cette œuvre en lui rendant une spatialisation idéale qui donne l’impression, musicalement et scéniquement, au spectateur d’être au milieu du drame.

Remarquable mise en scène de Cyril Teste, qui reprend la technique du figurant filmant les personnages avec projection sur grand écran au-dessus de la scène, y ajoute des mouvements de panneaux et quelques superbes vidéos de "rideau" ou de fond de scène, réussit à évoquer à chaque instant le drame avec un réalisme poétique bluffant (la noyade d'Ophélie...), et utilise tout l'espace de l'Opéra Comique en permanence, faisant arriver ses artistes par le fond du parterre ou depuis les rangs des spectateurs, les faisant chanter depuis la salle, bref une spatialisation intelligente dans un décor de toute beauté et des costumes modernes mais seyants.
Mais tout cela ne serait rien sans la direction musicale de Louis Langrée qui fait, elle aussi, redécouvrir l'oeuvre et la déroule avec bonheur, sans autre temps morts que les quelques minutes entre chaque acte, nécessaires au changement de décor. Les soixante musiciens étaient pourtant serrés dans la fosse de Favart qui est normalement prévue pour des formations moins imposantes que celle que requiert cette oeuvre magnifique de Thomas. C'était l'arrivée du saxophone dans la famille des instruments et il est particulièrement valorisé (solo sur scène magnifique d'émotion) de même d'ailleurs que cuivres et percussions. Louis Langrée impulse vie et couleurs à cette musique déjà très moderne par bien des aspects et c'est un vrai bonheur.
Un plateau vocal parfaitement adapté à l'oeuvre et à la salle magnifie encore la réalisation exceptionnelle de cette oeuvre.

Stéphane Degout, habitué d'Hamlet, habite le rôle à tous les instants, magnifique comédien autant que chanteur, il marque profondément la représentation de sa personnalité décidément exceptionnelle et l'habitude de le voir en Pelléas (et récemment ici même en Glolaud) fait que l'on songe parfois à Debussy dans certains dialogues quand il en est le protagoniste principal. 

Magnifique prestation de Sabine Devielhe pour sa prise de rôle en Ophélie, un air de la folie tout en nuances émouvantes qui vous arrache des larmes (et l'ovation du public), silhouette mince et résignée, qui va au-devant de la mort, son destin fatal contre lequel elle ne peut rien, petite soprano fragile et émouvante qui démontre ses ressorts dramatiques dans la beauté des couleurs de son chant. 

Quant à Sylvie Brunet, annoncée souffrante à la Première (! et pourtant!), c'est un bonheur de toutes les secondes que d'entendre sa belle voix de mezzo, au timbre de contralto, qui excelle dans ce rôle où les écarts de notes sont redoutables, nous offrant des graves de toute beauté suivis d'aigus "forte" magnifiques. Quelle magnifique artiste qu'on ne voit pas assez sur nos scènes...
Impressionnant spectre de Jérôme Varnier qui a la voix et le style de l'emploi et déploie un chant comme venu d’outre-tombe d’un réalisme parfait. 

Très beau Laerte de Julien Behr dans un rôle vocalement pas évident qu'il négocie avec beaucoup de classe.

J’ai eu à la Première un tout petit peu de réserves sur le Claudius de Laurent Alvaro, légèrement sujet à des sauts de registre et qui ne maitrise pas toujours sa voix malgré un très bel engagement scénique et vocal.

Par contre je salue la remarquable performance des chœurs « les Eléments » qui nous offre une prestation éblouissante de tous les moments : ils sont fort sollicités, c’est l’une des beautés de cet opéra, en ensemble des voix non-mixtes ou mixtes et leur accompagnement de la mort d’Ophélie par exemple est bouleversant.
Excellents rôles secondaires également avec Kevin Amiel en Marcellus, Yoann Dubruque en Horatio (que je ne connaissais pas, un nom à retenir absolument) et Nicolas Legoux en Polonius.

Je suis retournée voir cet Hamlet le 19 puis le 23 décembre (apothéose pour tous les chanteurs).
La "spatialisation" pour les chanteurs et pour certains instruments à des moments-clé est toujours du plus bel effet, sans doute plus impressionnant encore (ou vus différemment) depuis le premier rang du parterre par rapport au huitième rang où j'étais à la Première. La salle comme les coulisses et les couloirs sont utilisés donnant l'impression aux spectateurs d'être au milieu de l'action. L'utilisation de la vidéo atteint un sommet quand Hamlet menace sa mère lui parlant de ses deux époux et quand Ophélie se noie.
Stéphane Degout, génial Hamlet, présent sur scène en permanence, se dépense sans compter, voix magnifique, et superbe prestation globale de chanteur et d'acteur. Vraiment exceptionnel, plus impressionnant encore qu'à la Première. Sabine Devielhe, un petit niveau en dessous de son partenaire notamment dans l'acte 1 vocalement (mais parfaite dans les riches mouvements de scène), réussit ensuite l'air de la folie et la mort. Lors de la troisième séance, je me suis convaincue d’ailleurs, que son choix très intériorisé et très « éperdu de tristesse » était le bon dans un air qui, malgré le titre qui lui est généralement donné, n’a rien à voir avec celui de Lucia dans Donizetti. Ophélie n’est que victime et sa « folie » n’est qu’un profond désespoir. Sabine Devielhe nous donne une Ophélie de rêve, sans affect, sans surjouer, juste éperdue, perdue, concentrée sur son incompréhensible malheur, oh que oui, les larmes jaillissent tant c'est vrai et sincère dans la douceur extrême du chant intériorisé, génial...

Et j'ai pu observer les exploits de l'orchestre dans une partition assez difficile sous la baguette très inspirée de Louis Langrée dans une oeuvre bien plus complexe qu'il n'y parait. Très bon choeur également, très sollicité et presque jamais statique.
Ovations très chaleureuses du public (y compris pour le metteur en scène) pour ce dernier spectacle de la saison 2018 de l'Opéra Comique qui aura réalisé un parcours sans faute nous faisant découvrir ou re-découvrir des oeuvres plutôt rarement données dans un cadre rajeuni et renouvelé avec des artistes talentueux et un vrai travail d'équipe.

PS : la technique employée pour filmer les mouvements des chanteurs hors scène (mais réels) est celle qui avait déjà fait merveille (pour moi) dans la pièce "les Damnés" à la Comédie Française il y. a deux ans.


Photos Vincent Pontet


Le petit plus du blog
Vidéo complète de Hamlet, mise en scène de Nicolas Joël avec Thomas Hampson, Natalie Dessay et José Van Dam. Théâtre du Chatelet, 2000.




Commentaires

Les plus lus....

Magnifique « Turandot » à Vienne : le triomphe d’un couple, Asmik Grigorian et Jonas Kaufmann et d’un metteur en scène, Claus Guth

Salomé - Richard Strauss - Vienne le 20/09/2017

"Aida" mise en scène par Michieletto au festival de Munich : les horreurs de la guerre plutôt que le faste de la victoire