Arabella - Richard Strauss - Théâtre des champs Elysées - 11 janvier 2019

Arabella

Richard Strauss
Théâtre des champs Elysées, 11 janvier 2019
Version concert

Anja Harteros Arabella
Kurt Rydl Le Comte Waldner
Doris Soffel Adelaïde
Hanna-Elisabeth Müller Zdenka
Michael Volle Mandryka
Daniel Behle Matteo
Dean Power Le Comte Elemer
Sean Michael Plumb Le Comte Dominik
Callum Thorpe Le Comte Lamoral
Sofia Fomina Fiakermilli
Heike Grötzinger Une diseuse de bonne aventure
Sebastian Schmid Welko
Nikolaus Coquillat Djura

Constantin Trinks direction
Bayerisches Staatsorchester
Chor der Bayerischen Staatsoper

Beau triplé pour le théâtre des Champs Elysées en ce début d’année 2019 avec successivement un Don Giovanni Erwin Schrott a donné la mesure de son talent de comédien, même si j’ai peu accroché à l’ensemble trop burlesque et assez peu mozartien, l’Arabella d’Anja Harteros le lendemain et un récital époustouflant de la très talentueuse jeune soprano Nadine Sierra le samedi.
Globalement, même si mes appréciations sont différentes pour chacune des soirées, une belle série de talents nous a été offert.

Arabella est une œuvre rarement donnée à Paris où Richard Strauss est trop souvent boudé. L’opéra vaut d’abord pour la composition musicale très excitante qu’il propose. Le livret de Hugo von Hofmannsthal dont ce fut la dernière collaboration avec Strauss puisqu’il mourut en 1929 pendant la composition de l’opéra, est assez scabreux dans le thème proposé puisqu’il s’agit ni plus ni moins de la mise aux enchères d’une jeune fille (Arabella) par ses parents aristocrates viennois ruinés (assez honteusement puisque c’est le résultat de l’addiction au jeu du comte), qui ont fait passer leur cadette (Zdenka) pour un garçon pour éviter d’avoir à la doter.
L’œuvre se présente comme une comédie lyrique assez légère où dominent les chassés-croisés dans une ambiance festive mais on ressent en même temps les drames qui se nouent alors en Europe, au travers ce côté « fin de société » de la bonne bourgeoisie viennoise dont le style de vie est déjà en ruine.
La Première eut lieu le 1er juillet 1933 à Dresde, quelques mois après l’arrivée au pouvoir d’Hitler…. alors que le Semperopera de Dresde avait perdu son chef, Fritz Busch, celui-ci ayant démissionné et fuit l’Allemagne nazie. Sous la baguette de Clemens Krauss, la création d’Arabella fut un triomphe.

Au Théâtre des Champs-Elysées ce vendredi soir dernier, nous avions un Arabella en version concert « mise en espace », style qui devient manifestement la règle le plus souvent possible puisque c’était aussi le cas la veille avec Don Giovanni ou les années précédentes avec Andrea Chénier, ou Ariadne auf Naxos, les deux « déplacements » de l’opéra de Bavière à Paris.

Beaucoup d’aisance pour les artistes, habitués de cet opéra, auquel ils ont participé lors de la création à Munich en 2015 (sous la direction de Philippe Jordan) pour la plupart d’entre eux, lors des multiples reprises, y compris celle dont j’avais rendu compte cet été 2018 sur place, et qu’ils reprennent tous à Munich pour quelques séances après cette soirée à Paris.
La mise en scène réelle est très esthétisante et imagine un véritable ballet des protagonistes autour et sur un immense escalier blanc qui divise le plateau en plusieurs parties.
J’apprécie surtout la partition chatoyante, d’une richesse musicale très straussienne, complexe et colorée et qui entremêle les différents thèmes en permanence, s’appuyant sur les sonorités des différentes familles d’instruments dans un ensemble très inventif.
Et là il faut bien le dire, l’extraordinaire sonorité de l’orchestre de l’opéra de Bavière fait merveille sous la battue de Constantin Trinks. Ce jeune chef dirige son orchestre dans le style « Petrenko », très analytique en décortiquant tous les thèmes pour les valoriser, sans jamais donner dans la facilité qui consiste à faire « sonner » l’orchestre de tous ses cuivres et donner un torrent de décibels qui couvrirait inévitablement les chanteurs. 
Dès le début c’est un plaisir d’entendre à nouveau cet Arabella dirigé par Trinks, tout au long de l’œuvre il déploie un véritable tapis musical de plus en plus agréable à écouter et, honnêtement, lors du dernier quart d’heure, c’est tellement intense et superbe qu’on regrette de sentir venir la fin….
Le plateau vocal est souverain, surtout avec le Mandryka de Michael Volle incomparablement supérieur à Mayer que j’avais entendu cet été et même incomparable tout court. Le baryton allemand a de très nombreux atouts pour incarner ce rôle à commencer par une aisance sur scène qui fait merveille. Volle fait partie de ces chanteurs qui ne donnent pas l’impression de jouer la comédie mais qui incarnent leur personnage avec un naturel confondant. Si on ajoute un timbre agréable, un chant qui colore chaque note différemment donnant une profondeur aux sentiments qu’il exprime, une belle projection qui lui permet, sans jamais « donner du décibel » de passer l’orchestre straussien sans difficulté, on a là un des plus beaux Mandryka entendus ces dernières années. 

Anja Harteros habite elle aussi son personnage d’Arabella avec un talent exceptionnel. En bien meilleure forme vocale que cet été lors de l’unique reprise début juillet, elle se joue avec bonheur de toutes les difficultés du rôle qui exige une technique de haut vol et n’est pas à la portée de toutes les sopranos. La voix a beaucoup de souplesse et elle dresse un portrait attachant d’une Arabella jeune, espiègle, insouciante qui enterre sa vie de jeune fille et découvre l’amour. Elle traduit avec talent les évolutions sentimentales de la belle Arabella dont tout le monde tombe amoureux parce qu’elle a le charme des ingénues, virevoltant et dansant sur la scène. Le timbre est magnifique, l’interprétation colorée et riche, la voix se pare de mille facettes scintillantes et les deux séries de duos, avec sa sœur et avec Mandryka sont fascinants de précisions, de beauté vocale et de sens de l’interprétation.
L’ovation qui lui a été réservée dès l’entracte traduisait le bonheur des spectateurs qui pouvaient enfin entendre à Paris cette incomparable chanteuse, infiniment moins médiatisée que nombre de ses consoeurs sopranos, qui a choisi la discrétion et poursuit son petit bonhomme de chemin et qui semble dire si souvent : ceux qui m’aiment prendront le train pour Munich. Ce que je fais souvent.
Mais l’ensemble de la distribution est magnifique : la Zdenka maltraitée et dont le destin semble bien sombre, est incarné par la lumineuse Hanna-Elisabeth Muller que je vovais pour la quatrième fois dans ce rôle qu’elle interpréta déjà en 2014 au festival de Pâques de Salzbourg aux côtés de Fleming et Hampson (un DVD a été tiré de ces représentations). Sa jeunesse et la beauté de son timbre lui avait valu alors une ovation particulièrement appuyée, tant elle avait donné de la jeune sœur oubliée un portrait saisissant de vérité.
Elle réitère l’exploit une nouvelle fois (après les multiples représentations munichoises), et si le timbre s’est un peu durci depuis ses débuts, elle fait encore merveille.

J’ai largement préféré le Matteo de Daniel Behle à celui entendu cet été, de Benjamin Brunns (qui chantait la veille au TCE, Don Ottavio). Daniel Behl est un ténor à très belle voix, au timbre plutôt barytonnant et très mozartien, qui fait merveille dans ce rôle un peu ingrat et nous offre un très beau legato.
Les parents Waldner sont (depuis longtemps) Kurt Rydl et Doris Soffel, dont la complicité est évidente dans ces rôles assez ingrats qu’ils dominent magistralement. Peu importe alors que leurs voix soient parfois un peu stridentes, le rôle s’y prête parfaitement.
J’aime beaucoup la Fiakermilli de Sofia Fomina. C’est un passage assez étrange au milieu de l’opéra et elle réussit à le rendre intéressant sachant tout à la fois déployer une vraie virtuosité dans les aigus sans sacrifier les notes graves de la partition. 
Comme Munich nous offre toujours de très bons interprètes jusque dans les plus petits rôles, on saluera  la diseuse de bonne aventure de Heike Grötzinger, magnifique voix et timbre séduisant, le valet de chambre très chic de Niklas Mallmann et les « amoureux » d’Arabella : Sean Mickael Plumb (Dominik), baryton que j’ai récemment vu dans Cosi fan Tutte à Munich et Callum Thorpe (Lamoral). J’ai trouvé par contre l’Elemer de Dean Power moins convainquant sans doute parce que son timbre ne passait pas toujours très bien la rampe.

Mais dans l’ensemble, ce fut une soirée magnifique qui restera longtemps imprimée dans ma mémoire : que c’est beau Strauss quand c’est aussi bien dirigé et interprété.
Notons que dans la recherche de la perfection qui caractérise cette maison d’opéra, Munich ne désirant rien couper de l’œuvre, avait amené le chœur au grand complet pour les quelques mesures qu’il avait à chanter.
Chapeau.

Petit plus du blog
Arabella complet Monserrat Caballé.



Daniel Behle en Mattéo



Deux DVD :
-      Fleming Hampson, direction Thielemann


-      Harteros Mayer, direction Jordan


Photos TCE pour la première, puis photos Munich, été 2018.


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