Jakob Lenz (Rihm) par le Balcon et Maxime Pascal : un coup de poing magistral !

Jakob Lenz

Wolfgang Rihm (création en 1979 à Hambourg)
Livret de Michael Fröhling, d'après la nouvelle de Georg Büchner "Lenz"

Direction musicale : Maxime Pascal
Mise en scène et création vidéo :  Nieto
Vincent Vantyghem (Jakob Lenz), 
Damien Pass (Oberlin), 
Michael Smallwood (Kaufmann)
Chœur : Parveen Savart (soprano), Léa Trommenschlager (soprano), Elise Dabrowski (mezzo-soprano), Emmanuelle Monier (mezzo-soprano), Florent Baffi (basse), Andriy Gnatiuk (basse)
Trois enfants : Bérénice Arru, Gaspard Cornu-Deyme, Georges Geyer
Orchestre : Ghislain Roffat (clarinette/clarinette basse), Guillaume Gerbaud (hautbois), Paul Atlan (hautbois/cor anglais), Julien Abbes (basson/contrebasson), Henri Deléger trompette, Jean-Charles Dupuis/trombone, Alain Muller (clavecin), Benoît Maurin (percussions), Askar Ishangaliyev (violoncelle 1), Elisa Huteau (violoncelle 2), Myrtille Hetzel (violoncelle 3)

Production : Le Balcon

Séance du 29 mars 2019 à l’Athénée Théâtre Louis Jouvet


Ceux qui ont suivi l'aventure Stockhausen à l'Opéra comique en novembre dernier avec l'étonnante réalisation de "Donnerstag aus Licht", connaissent la belle formation de Maxime Pascal, "le Balcon" qui fête ses dix ans en organisant un festival à l'Athénée Louis Jouvet.
Parmi les titres proposés pour ce festival, on retrouve "Jakob Lenz" l'opéra "de chambre" du compositeur allemand Wolfgang Rihm , l'histoire d'une folie, écrit d'après "Lenz" de Georg Büchner. Cet opéra fait également partie du programme du festival d'Aix l'été prochain dans une autre mise en scène.

Cette œuvre qui se joue et se chante d’un seul trait, sans respiration, présente une grande richesse artistique. 
L’opéra a été composé en 1977 alors que Wolfgang Rihm (né en 1952) n’avait que 25 ans, sur commande de l’Opéra de Hambourg et dure 1h15 sans la moindre pause. Le livret magnifique qui donne une puissance incroyablement poétique à l’œuvre, a été écrit par Michael Fröhling, d’après la nouvelle « Lenz » de Georg Büchner (1835), le génial auteur des pièces Woyzeck et La mort de Danton, hélas mort prématurément à l’âge de 23 ans.

L’œuvre de Rihm est tout à la fois d’une richesse harmonique et orchestrale stupéfiante et très austère en nombre d'instrumentistes et de solistes. Pas de voix de femme, trois voix d’hommes, le baryton de Lenz, la basse d’Oberlin et le ténor de Kaufmann. Les voix d’enfants (au nombre de trois à l’Athénée) contrastent magnifiquement avec le chant heurté, agressif, coléreux parfois désespéré du rôle-titre, par leur sublime « legato » romantique et doux. 
Et les instrumentistes du « Balcon » sous la houlette de Maxime Pascal, montrent comme ils ont compris la partition du jeune Rihm qu’ils interprètent avec la fougue de leur propre jeunesse et l’intelligence d’une formation qui ne cesse de m’émerveiller.
Entre les dialogues du basson et du clavecin et les déchainements du trombone ou des percussions, le cantabile des violoncelles ou de la clarinette, la musique vous saisit et ne vous lâche plus, exprimant parfaitement les désarrois schizophrénique d’un poète aux noires obsessions, grand ami de Goethe, symbole du « Sturm und Drang», qui cherche la paix sans jamais la trouver. Rihm réussit alors une cohabitation passionnante entre des formes musicales traditionnelles et des « excès » expressionnistes qui sortent des normes pour exprimer la folie. 

Le rôle-titre, superbement assuré par Vincent Vantyghem, voit ainsi sa voix extrêmement sollicitée aux deux extrêmes ce qui rend encore plus impressionnantes sa performance.
Ses deux « compères », Damien Pass (Oberlin) et Michael Smallwood (Kaufmann) lui donnent la réplique avec les mêmes qualités : voix forte, timbre qui reste beau malgré les distorsions imposées, diction allemande impeccable pour magnifier le beau texte. Bravo aussi aux « ensembles » de six solistes également durement sollicités, et aux trois enfants pour la douceur de leur chant en contrepoint de toute cette violence.

L’artiste peintre Nieto (de son nom intégral « Louis-Ferdinand Nieto Peralta Adams) met ce « cri de révolte » en scène avec une efficacité remarquable elle aussi. C’est également un « habitué » des créations du « Balcon », il avait déjà participé à l’opéra La Métamorphose de Michaël Lévinas en 2015. Utilisant essentiellement des images vidéo projetées sur de fins panneaux verticaux qui bougent et laisse apercevoir les dorures de l’Athénée, il accompagne littéralement histoire et formes musicales : personnage de Lenz comme crayonné au tableau noir, yeux rouges des hallucinations, paysages romantiques et longues écritures cursives du texte en allemand, l’ensemble est réglé au millimètre, esthétiquement très réussi et en phase avec l’œuvre.

Nous avons eu là un "opéra de chambre" coup de poing, parfaitement dirigé par le jeune chef bourré de talents, Maxime Pascal et son ensemble "Le Balcon", dans la charmante (et désuète) salle de l'Athénée, bref une soirée sans temps morts qui donne à voir une oeuvre contemporaine au message très fort. 


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