Nouvelle saison de l'ONP : le Ring et une pluie d'étoiles.

Nouvelle saison de l’Opéra de Paris 2019-20



L'annonce de la nouvelle saison de l’Opéra de Paris fait immédiatement frémir la blogosphère lyrique ce qui est bien normal pour les fanatiques d’opéras que nous sommes : Paris offre deux salles prestigieuses parmi les scènes internationales de référence et même si l’ère Lissner fait grincer bien des dents du fait des metteurs en scène choisis, elle en satisfait beaucoup d’autres, dont je suis. J'essaierais de donner ici quelques indications au regard de ce que je connais et de ce que j'apprécie.

L’événement numéro un, c’est le retour du Ring, la tétralogie de Wagner. L’événement était annoncé depuis trois ans, on savait qu’il serait conduit par Philippe Jordan, directeur musical de l’ONP, qui dirigeait également le précédent Ring (2012) ainsi que celui qui débute aujourd’hui même au MET. Il a ses fanatiques et ses détracteurs. Je me situe dans un entre-deux : je l’apprécie dans Strauss, moins dans Wagner, beaucoup moins dans verdi et Berlioz. 
S’il n’atteint pas à mon avis, les qualités exceptionnels d’un Kiril Petrenko dans Wagner, il ne démérite pas pour autant et reste une des références actuelles parmi les chefs capables de diriger un Ring avec ce que l’exercice comporte de compréhension de la complexité d’une œuvre de plusieurs heures qui forme un tout et nécessite un art de la progression musicale et dramatique exceptionnel.
C’est Calixto Bieito qui se charge de la mise en scène. C’est un homme de théâtre, intelligent et cultivé, capable d’une lecture subtile des œuvres qui sait transmettre en général les « atmosphères » plus que les folklores parfois traditionnellement attachés à tel ou tel ouvrage. En général j’apprécie. La charge est lourde et le défi immense. Il faut être capable de maintenir là aussi « l’unité » de ce Ring sur plus d’une dizaine d’heures de spectacle.
La distribution comporte deux atouts décisifs:
- Jonas Kaufmann en Siegmund, le plus subtil et le plus impressionnant des jumeaux, enfants de Wotan. En version scénique, il n’a incarné Siegmund qu’en 2011 au MET puis l’été dernier à Munich dans cet inoubliable Ring sur une semaine. 
- Andreas Schager en Siegfried pour les deux derniers épisodes de la Tétralogie. Le ténor autrichien s’impose depuis quelques années comme un heldentenor incontournable. Il a chanté Parsifal puis Tristan l’an dernier à Bastille
Mais elle comprend aussi d’autres artistes moins connus mais valeurs sûres pour ces rôles : 
Iain Paterson en Wotan/Wanderer, rôle clef s’il en est, dans l’œuvre, Ekatérina Gubanova en Fricka, Anna Gabler en Freia, Gerhard Siegler en Mime ou Norbert Ernst en Loge, Wiebke Lehmkuhl en Erda , John Relyea en Hunding, Johannes Martin Kranzle en Hagen, Jochen Schmeckenbecher en Alberich, interprètes habitués qu’on a déjà croisés avec bonheur à Munich ou Londres, ou à Bayreuth.
Eva-Marie Westbroek est une Sieglinde connue dans un rôle qu’elle incarne très souvent (en 2011 au MET aux côtés de Kaufmann, encore aujourd’hui dans le Ring à venir du MET), belle voix et jeu magnifique mais elle accuse parfois ces derniers temps quelques difficultés vocales dans les aigus. Brünnhilde sera double : Martina Serafin (qui fut Sieglinde lors du précédent Ring de Paris, mais aussi très souvent Tosca, et récemment Elsa puis Isolde) sera la Brünnhilde jeune fille de la Walküre puis de Siegfried tandis que Ricarda Merbeth sera celle de la maturité qui domine l’ensemble du dernier opéra « le Crépuscule des dieux ». Peu de sopranos dramatiques sont capables de couvrir les « trois » rôles en sachant en montrer les évolutions. Sans parler de l’effort physique, il faut un talent très spécifique. L’une des meilleures aujourd’hui est Nina Stemme que nous avions à Munich l’été dernier. C’est à mon avis mieux de pouvoir avoir la même interprète tout au long du Ring. Mais ce choix de deux interprètes aux caractéristiques vocales différentes, n’est pas rare. Ce n’est pas sur le papier, ce qu’il y a de plus excitant dans ce Ring.
Mais je ne saurais que trop recommander de ne pas s’arrêter à cela pour prendre en compte l’incroyable expérience qu’est la possibilité de voir le Ring en entier en 8 jours sans vraiment en « sortir » depuis le Prologue sans entracte jusqu’au fabuleux final auquel nul ne peut résister, celui de la chute des Dieux…
Car globalement c’est un excellent Ring que nous propose l’ONP en avril-mai puis octobre-Novembre et enfin en deux fois une semaine fin novembre, début décembre 2020(voir le détail en fin d’article).

Détail des dates :
ll y aura deux cycles pour le Festival Ring 2020 :

• Premier Festival, lundi 23 nov. (19:30), mardi 24 nov. (18:30), jeudi 26 nov. (18:00) et samedi 28 nov. (18:00)
• Second Festival, lundi 30 nov. (19:30), mercredi 2 déc. (18:30), vendredi 4 déc. (18:00) et dimanche 6 déc. (14:00).

Et avant ces deux Festivals, sont programmées cinq représentations de Das Rheingold (2–15 avril), cinq de Die Walküre (5–27 mai), trois de Siegfried (10–18 oct.) et trois de Götterdämmerung (13–21 nov.) ;

Mais ce n’est pas le seul atout de cette nouvelle saison.
Je retiendrai d’abord quelques sympathiques nouvelles productions aux distributions idéales :
- La nouvelle « Traviata » mise en scène par Simon Stone, et donnée au Palais Garnier, un bon retour au bercail pour une œuvre qui a souffert du grand plateau de Bastille particulièrement mal habillé par Jacquot d’ailleurs pour la dernière production. Le succès de la « Traviata » donnée au TCE récemment prouve à quel point cette œuvre aime les atmosphères intimistes et les salles à taille humaine. Et la distribution A est éblouissante : Pretty Yende, la brillante soprano qui a triomphé récemment en Marie dans la Fille du Régiment au MET et que nous avons vu plusieurs fois déjà à Paris, Benjamin Bernheim l’un des ténors qui monte avec une belle voix et beaucoup de charme dans ses interprétations, et Ludovic Tézier, qu’on ne présente plus. Direction Mariotti, une valeur sure dans ce répertoire. Attention aux dates pour avoir les trois !
- La nouvelle Manon (de Massenet) mise en scène par Vincent Huguet. Pas de Manon à l’ONP depuis la retraite de Natalie Dessay au cours d’une Manon assez ratée qui date de 2011. Même brillante distribution que la Traviata. Ce sera amusant de voir ces trois là par deux fois unis dans une nouvelle création…Direction : Dan Ettinger, pas de problème particulier avec une distribution qui n’a aucun problème pour se faire entendre
- Le très rare « Pirata » de Bellini donné exclusivement en deux séances concerts avec une distribution « idéale » là aussi : Sondra Radvanovsky sans doute la meilleure « belcantiste » dramatique, Michael Spyres, éblouissant dans ce rôle pyrotechnique, et  Ludovic Tézier qui sera très présent durant cette saison !
- Le Prince Igor, l’opéra russe unique de Borodine dans une mise en scène du très inspiré Barrie Kosky (Meistersinger à Bayreuth), avec une belle distribution là aussi même si j’aurais une réserve (à vérifier) concernant Yevgueni Nikitin, parfois inégal mais souvent excellent. Mais avec Elena Stikhina (la merveilleuse Sieglinde-Brünnhilde du Ring récent à la Philharmonie de Paris), Anita Rachvelishvilli qu’on ne présente plus et le ténor Pavel Cernoch très adéquat aux rôles russes, on devrait avoir de très belles représentations.
Les indes Galantes (Rameau) : seul titre baroque hélas, curieusement alors que Don Giovanni et la Traviata sont rapatriés à Garnier, sera donné à Bastille avec une belle distribution dont on espère que le vaisseau de la Bastille ne la dévalorisera pas trop : Sabine Devieilhe - Florian Sempey - Jodie Devos - Julie Fuchs - Alexandre Duhamel - Stanislas de Barbeyrac - Edwin Crossley - Mathias Vidal

Concernant les nombreuses reprises de la saison, on soulignera d’abord évidemment l’Adriana Lecouvreur mise en scène Par David Mc Vicar, tout en costumes d’époque, avec en alternance Anna Netrebko (4 séances), dont c’est l’un des plus brillants rôles actuels, et Elena Stikhina, nouvelle étoile russe qui devrait en donner une interprétation très différente.

Très brillante distribution également pour un Don Carlo (Verdi) donné cette fois en italien (version en 5 actes), dans la mise en scène de Warlikowski créée pour la version française Don Carlos, il y a deux ans : en alternance Roberto Alagna et Michael Fabiano (qu’on retrouvera avec plaisir après une éclipse hors de l’ONP), Aleksandra Kurzak et Nicole Car – et pour toutes les séances, Anita Rachvelishvili, Etienne Dupuis et René Pape

Le Don Giovanni dans la mise en scène de Van Hove, créé en juin prochain à Garnier, sera également repris pour ceux qui l’auront raté. Avec une distribution intéressante là aussi : Luca Pisaroni en DG et Stanislas de Barbeyrac en Don Ottavio ou Stéphanie d'Oustrac en Donna Elvira. 
Dans les productions récentes, reprise également de Boris Godounov (mise en scène de Van Hove) avec René Pape, de Rigoletto (Verdi) et la Bohême (Puccini) dans les mises en scène de Guth avec des distributions intéressantes selon les dates, qui permettront de voir Vittorio Grigolo, Ermonela Jaho ou Julie Fuchs, de Cosi Fan tutte (Mozart) dans la mise en scène de De Keersmaeker ou même le Barbier de Séville (Rossini) dans la mise en scène de Michieletto avec une jeune ténor prometteur Xabier Anduaga. 

La reprise des Puritains dans une mise en scène malheureusement un peu ratée de Pelly (décor si ouvert qu’il « tue » les chanteurs sur le grand plateau vide de Bastille alors que l’opéra de Bellini regorge d’airs belcantistes acrobatiques), pourra être cependant intéressante du fait de la présence de Javier Camarena, l’un des ténors capables de faire le fameux contre-fa et donc les moyens vocaux sont très impressionnants aux côtés d’Elsa Dreisig, à découvrir dans ce rôle.

Rien de vraiment notable cependant dans ces reprises qui paraissent un peu « combler » les vides d’une saison centrée sur quelques événements phares et une pluie de stars.

C’est encore plus vrai pour les deux reprises « anciennes » que sont les Contes d’Hoffmann et Madame Butterfly, le premier dans la mise en scène de Carsen, le second dans celle de Wilson qui ont déjà été donnés de multiples fois. Notons la distribution des Contes avec le rôle titre chanté par Michael Fabiano. 

Les vraies limites de cette nouvelle saison sont dans l'absence quasi-totale de baroque, et le fait qu'il n'y a, une fois encore, aucun Strauss, aucun Britten, malgré les attentes du public en la matière. Enfin il n'y aura pas de création, lors de cette prochaine saison. Deux reprises en opéra contemporain à Garnier à noter : celle de Lear (Reimann) à Garnier et de Yvonne, princesse de Bourgogne (Boesmans) dans la mise en scène de Luc Bondy.

Tout n'est donc pas satisfaisant mais il y a largement de quoi rassasier le mélomane qui complètera sa "saison" avec les propositions à venir des autres salles parisiennes !

A noter :
Deux concerts "en tournée" de l'ONP sous la direction de Philippe Jordan, avec Nina Stemme, l'un au Musikverein de Vienne (24 octobre) et l'autre à l'Elbphilharmonie (25 octobre).
Le programme est :
Wagner : Tristan et Isolde (prélude et mort d'Isolde)
Wagner : Wesendonk Lieder

Prokofiev : Roméo et Juliette

Les chefs d'orchestre
- Les Puritains + Le Pirate : Riccardo Frizza
- La Taviata : Michele Mariotti / Carlo Montanaro
- Mme Butterfly + Adriana Lecouvreur : Giacomo Sagripanti
- Les Indes Galantes : Leonardo Garcia Alarcon
- Don Carlo + Lear : Fabio Luisi
- Le Prince Igor + Don Giovanni + la Tétralogie : Philippe Jordan
- Le Barbier de Séville :Carlo Montanaro
- Les Contes d'Hoffmann : Mark Elder / Pierre Vallet
- Yvonne, princesse de Bourgogne : Susanna Malkki
- Manon : Dan Ettinger
- Boris Godounov : Michael Schonwandt
- Rigoletto : Speranza Scappucci
- La Bohème : Lorenzo Viotti
- Cosi Fan Tutte : Antonello Manacorda

Commentaires

  1. Je dois dire qu'à l'annonce de la saison, j'étais quelque peu déçue. Une fois la brochure en mains, je me rends compte que ce n'est pas si mal, malgré les "manques" que tu pointes (je mets de côté le Ring, tant il semble y avoir la saison régulière d'un côté, et le Ring de l'autre).
    Cette saison, sans casts 5 étoiles (les grands noms sont là , mais en ordre dispersé, ce qui n'est pas si mal, ça permet de découvrir aussi d'excellents chanteurs) et avec peu de nouveautés, donne l'impression d'être un peu "bricolée", faute d'avoir pu mener à temps certains prochains. D'où peut--être ces distributions (je n'ai rien contre Anduaga, au contraire, mais c'est un peu étonnant de voir un jeune ténor en tête d'affiche, aux côtés de Oropesa, la "révélation" -pour Bastille- de cette saison.
    L'événement semble bien être ce Pirata (deux dates seulement, en version concert), avec pour le coup une distribution étoilée. Auquel on rajoutera Netrebko dans Adriana.
    Petite note perso : j'irai voir Butterfly, mais avec le cast B (Alieva/Popov) qui m'attire davantage ;
    Et après trois Traviata:Jacquot je laisse de côté (Tézier, je le verrai ailleurs). Peut-être sur une prochaine saison, si c'est repris.

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  2. Certains faisaient un peu la moue à l'annonce de la saison, mais ça n'a pas empêché la ruée sur les réabonnements ce midi.
    Les 3 Adriana avec Netrebko ne devraient pas avoir de mal à afficher complet.
    Un peu moins de séances (7 au lieu de neuf) pour moi cette année, mais je compte bien compléter avec les opéras en version concert à la Philharmonie .
    micaela

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