Les fiançailles au couvent de Prokofiev brillamment interprété à Berlin.

Les fiançailles au couvent 



(Обручение в монастыре)
de Serge Prokofiev

Opéra lyrico-comique en quatre actes composé en 1941.
Création le 3 novembre 1946 à Leningrad. 

Livret du compositeur et de Mira Mendelson d'après la comédie ''La Duègne'' de Richard Brinsley Sheridan

Avec
Stephan Rügamer (Don Jérôme), 
Andrey Zhilikhovsky (Don Ferdinand), 
Aida Garifullina (Luisa), 
Violeta Urmana (La Duègne), 
Bogdan Volkov (Don Antonio), 
Anna Goryachova (Clara d'Almanza), 
Goran Jurić (Mendoza), 
Lauri Vasar (Don Carlos), 
Maxim Peter (Modérateur)

Staatsopernchor sous la direction de Martin Wright
Staatskapelle Berlin sous direction musicale de Daniel Barenboim
Mise en scène et décor : Dmitri Tcherniakov

Soirée du 22 avril 2019 retransmise en direct depuisle Staatsoper Unter den Linden de Berlin

"Les fiançailles au couvent" ont été le moyen pour Prokofiev d'entrer dans les bonnes grâces du pouvoir soviétique stalinien d'alors. Composé en 1939, soit quelques années après le Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch, ce conte sarcastique et vaudevillesque, s'apparente davantage à Falstaff le dernier opéra de Verdi qu'à la tragédie noire de son collègue. 
Quand Chostakovitch, compositeur "officiel" n°1 de l'ère stalinienne, se fait rappeler à l'ordre pour l'audace musicale de son Lady Macbeth du district de Mzensk jugée "inécoutable", le thème étant considéré comme "déplaisant", et restreindra ses ambitions jouant dès lors sur l'ambiguïté, Prokofiev, lui, rentre en URSS en 1936 pour y prendre une place de plus en plus importante.
Il a déjà composé depuis l'étranger, plusieurs de ses opéras dont "l'amour des trois oranges" et se lance dans ces fameuses "fiançailles" sachant qu'il joue sur du velours et ne risque pas la censure ou l'opprobre avec ce thème qui évoque "l'école des femmes" de Molière et lui est inspiré par la jeune étudiante Mira Abramovna Mendelsohn, qui deviendra son épouse. Elle lui suggère en effet d'écrire un opéra à partir du "Singspiel" écrit au 18ème siècle par l'Irlandais Richard Brinsley Sheridan sous le nom de "la duègne".
Prokofiev reprend d'ailleurs des chansons de l'oeuvre originale dans son opéra comique basée sur les quiproquos nés des déguisements des uns et des autres, ligués pour déjouer le complot ourdi par un vieux barbon voulant épouser une toute jeune fille.
C'est musicalement que l'oeuvre est la plus intéressante. On peut trouver en effet que l'histoire et ses rebondissements ont été assez souvent traités et que ces fiançailles n'apportent pas de grande nouveautés. Par contre la partition capable de passer de morceaux orchestraux classiques à des airs de jazz, d'airs lyriques et romantiques à des passages beaucoup plus contemporains parfois proches du sprechgesang, à des duos très opposés sur le plan vocal du plus bel effet, à des ensemble, notamment un sextuor final, très impressionnants de maitrise.
C'est cette étonnante variété, d'une grande richesse orchestrale, qui retient avant tout l'attention, illustrant un livret bien écrit et toujours assez poétique qui, sous le caractère burlesque de l'histoire, évoque sans cesse l'importance de la liberté, thème qui en 1939, alors que l'histoire est censée se passer à Séville, prend tout son sens.

Dmitri Tcherniakov a choisi de tourner le dos à toute tentative d'interprétation de cette histoire en cohérence avec le propos de Prokofiev puisqu'il prend une grande distance immédiate dès les premières minutes lorsque s'affichent sur le fond de la scène, "sa" présentation des personnages : Aida, jeune soprano amoureuse de Jonas Kaufmann (!), mais l'idole ne répond pas à ses désirs, il faut qu'elle se débarrasse de son obsession, Violetta chanteuse sur le retour, ancienne gloire, qui ne peut se passer des planches et cherche à revenir sans cesse etc...
Les "personnages" sont donc d'abord appelés par le prénom des artistes eux-même et le "modérateur" est là pour leur proposer une thérapie de groupe (exactement comme dans son "Carmen" à Aix) pour qu'ils se débarrassent de leurs addictions.
Ils doivent monter un opéra (tout cela est écrit sur un paperboard au feutre noir), chacun y trouvera un rôle (Aida sera Luisa, Violetta sera la duègne etc) et leur exercice commun (tout le monde est en permanence sur le plateau) permettra de les guérir.
Les incursions de Tcherniakov sont assez nombreuses : à la fin de l'acte 2, une vidéo montre les artistes expliquant les bienfaits de la thérapie puisqu'ils sont débarrassés de leur addiction à l'opéra (c'est assez drôle quand on est soi même addict), les choeurs prévus dans l'oeuvre sont "écoutés" par les artistes avec des casques d'écoute blancs tous identiques, les artistes non sollicités par l'oeuvre de Prokofiev à l'instant "t" regardent leurs camarades chanter et jouer leurs rôles, tout en rigolant, ou en allant boire un coup, dormir, faire l'amour etc... 
Le tout n'est pas déplaisant, loin de là, et propose une lecture originale mais très éloigné de l'oeuvre elle-même. J'ai plutôt apprécié que ce divertissement permette aux chanteurs de de créer ainsi une ambiance ludique particulièrement réussie qui valorise la qualité musicale de l'oeuvre.
Mais il est évident qu'un tel choix a dû décontenancer plus d'un spectateur même si le final semble réconcilier tout le monde avec... l'opéra lorsque les choeurs arrivent, représentants les personnages les plus célèbres (et leurs interprètes ) de Lohengrin et son cygne à Salomé et la tête coupée de Saint Jean Baptiste sur son plateau, en passant par Lucia dans sa chemise ensanglantée.

Mais musicalement et scéniquement, la soirée s'inscrit dans la qualité et finalement, on s'adapte assez vite à ce parti pris pour s'amuser franchement avec les artistes qui s'en donnent à coeur joie manifestement ravis de "jouer" à ce point la comédie en permanence. 
Le succès de la représentation du 22 avril au Staatsoper unter den Linden, repose donc d'abord et avant tout sur la qualité des interprètes et l'homogénéité de leurs talents dans une oeuvre difficile, aux rythmes changeants et qui, volontairement, offre peu d'unité de style obligeant à des performances vocales inédites.
La revue est menée de main de maitre par le ténor allemand Stephan Rügamer (Don Jérôme), membre (et l'un des piliers) de la troupe du Staatsoper unter den Linden, dont la gaité et l'aisance sur scène font merveille d'autant qu'il chante admirablement la partition difficile du rôle principal et entraine manifestement tous les autres dans cette farandole un peu déjantée où personne ne se prend vraiment au sérieux puisque tout le monde joue un rôle et remue beaucoup en permanence sur la scène.
En "face" en quelque sorte on trouve la basse Goran Jurić (Mendoza), truculent à souhait et trop facile à tromper, bon vivant évident et dont les vestes (et la barbe et l'allure) ne sont pas sans évoquer un certain ténor. 
Le festival des talents continue avec Aida Garifullina qui campe une Luisa très délurée dont la "pudeur de jeune fille" est symbolisée uniquement par ses lunettes, sa sage coiffure et sa tenue d'écolière. Soprano très douée, elle était déjà une très remarquée Snegorouchka à Paris Bastille qui Adina dans le dernier Elisir. Elle n'est pas sans évoquer, surtout dans ce rôle de Luisa (joué par Aida etc etc), la jeune Anna Netrebko qui en fut une brillante titulaire. A l'opposé, la Clara de Anna Goryachova est une femme névrosée qui ne cesse de s'enfuir et multiplie les scènes hystériques. Sidérante de talent elle aussi...
Et quel plaisir de retrouver Violeta Urmana (La Duègne) dans un rôle qu'elle domine de bout en bout avec brio et panache, elle est drôle, tendre, sarcastique, efficace, virago à ses heures, mama quand il le faut, chantant tout avec talent.
Le baryton moldave Andrey Zhilikhovsky est un étrange Don Fernando pris de tics et obsédé sexuel tandis que le jeune Bogdan Volkov campe un Don Antonio, tendre à souhait, romantisme à revendre et sourire aux lèvres en permanence.
Sans oublier le Don Carlos peut-être un peu plus effacé mais fort bien chantant du baryton estonien Lauri Vasar.




La direction de Daniel Barenboim est précise et colorée. On observe une très grande concentration du chef pour cette partition difficile, que la production "Tcherniakov" ne simplifie pas, loin de là. Pour une grande réussite.
Daniel Barenboim a choisi d'illustrer les "Festtage" de Berlin par ces "Fiançailles" qui étaient l'un des joyaux qu'il présentait brillamment hier soir aux spectateurs. La veille avec le Wiener Philharmoniker, Barenboim avait également  dirigé la Première Symphonie de Prokofiev.

Commentaires

  1. C'était en effet très brillamment interprété (aussi ben pour la comédie que pour le chant, ce qui n'est pas toujours gagné).
    Par contre, je n'en dirais pas autant de la mise en scène. Tcherniakov plaque sur le livret de l'opéra (sorte de pastiche des opéras bouffe du début du XIXème siècle) une histoire certes amusante (les addicts à l'opéra et la thérapie quelque peu absurde) mais en total décalage avec l'œuvre. Comme
    en plus le décor ne varie pas , les costumes des protagonistes (pas toujours gâtés de ce côté-là) non plus, ça rend l'œuvre un peu dure à suivre. Du coup (retransmission télé) j'ai plus écouté que regardé.
    Micaela

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  2. Côté interprétation, rien à redire. D'excellents chanteurs, se montrant en plus bons acteurs. Par contre, je suis moins convaincue par la mise en scène, qui plaque sur l'œuvre un récit qui n'a rien à voir (Tcherniakov refait en fait le coup de la thérapie comme dans son Carmen aixois).
    Un moment sympa, à la fin, quand les choristes, jusque-là relégués en coulisses, réapparaissent costumés en personnages d'opéra. Assez facilement identifiables pour la plupart, et renvoyant parfois à des mises en scène et interprètes en particulier (les faux Callas, Pavarotti par exemple).

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