Lessons in Love and Violence de Georges Benjamin, une leçon cruelle magistralement interprétée à Hambourg

Lessons in Love and Violence

de Georges Benjamin

Création mondiale au Royal Opéra House le 10 mai 2018
Création en Allemagne, le 7 avril 2019 au Staatsoper de Hamburg.

Livret : Martin Crimp
Mise en scène : Katie Mitchell
Décor : Vicki Mortimer
Chef d’orchestre : Kent Nagano

avec :
King : Evan Hughes
Isabel : Georgia Jarman
Gaveston / Stranger : Gyula Orendt
Mortimer : Peter Hoare
Boy / Young King : Samuel Boden
Girl : Ocean Barrington-Cook
Witness 1 / Singer 1 / Woman 1 : Hannah Sawle
Witness 2 / Singer 2 / Woman 2 : Emilie Renard
Witness 3 / Madman : Andri Björn Róbertsson

Philharmonisches Staatsorchester Hamburg

Séance du 13 avril

Magnifique création "allemande" hier soir au Staatsoper de Hambourg, bien rempli, pour cet opéra décidément très agréable et qui dévoile d'autres facettes de son intérêt, vu directement en salle.
Rappelons d'abord que cet opéra contemporain est facile d’accès et garde une « forme » classique dans un écrin musical d’une très grande richesse de sonorités et d’une belle palette instrumentale et orchestrale, traitant un sujet historiquement ancien en le transposant de nos jours. C'est l'oeuvre lui même qui décide de ce saut temporelle (auquel la mise en scène adhère évidemment sans réserve).

Pour mémoire, il s'agit de l’histoire du roi Édouard II d'Angleterre qui fut destitué en 1327, accusé d’avoir des mœurs interdites, des favoris homosexuels. Le favori des favoris c'est Piers Gaveston, son âme damnée en quelque sorte, son double, brillant Gascon entré à la cour du roi précédent et qui jouait un rôle central et très influent dans celle du roi Edouard II. 
Dans l’opéra, l’histoire, transposée de nos jours, met en scène la fin de règle d’Edouard II, sa passion pour Gaveston, la très forte contestation de son pouvoir par la Cour, par Mortimer et par sa femme Isabel, ces deux derniers, complices et amants, complotant pour le destituer et l’emprisonner. 
Les références aux faits historiques sont nombreuses : exil de Gaveston puis exécution de celui-ci, Grande Famine de 1314 et révoltes paysannes, relations d’Isabel(le de France) avec Roger Mortimer, comte de March.
Et c’est assez plaisant, esthétiquement et intellectuellement parlant, de voir tout ce petit monde dans un appartement bourgeois, aquarium géant et tableaux de Bacon en décoration, qui servira d’unique décor pour représenter ensuite, l’appartement de Gaveston (et ses amours avec le roi), le théâtre (et le crime), l’appartement d’Isabel (et ses intrigues notamment sa cruauté pour mater la révolte des pauvres) ou la prison (et le désespoir du roi mourant), le retour au théâtre (et le fils devenu roi à son tour qui imposera sa loi), lieux « nommés » par le découpage des scènes (7 en tout), un interlude musical avec images gros plans servant de liaison entre les scènes pendant un bref baisser de rideau permettant l’installation d’accessoires différents.

Enfin, et c’est le sens du titre, ces scènes sont jouées devant les deux enfants royaux, le fils, futur roi et héritier et la fille. Ils sont sans cesse présents, spectateurs et voyeurs, rarement acteurs directs sauf vers la fin, mais suggérant leurs états d’âme en permanence par leurs gestes et leurs mimiques. Leurs leçons sont cruelles et sans pitié et leurs jeunes âmes sont très rapidement perverties pas la laideur de ce monde.

Le Roi est un roi sympathique, hédoniste et joueur, qui aime les plaisirs plus que la Guerre et surtout, son double, son autre lui, l’amour de sa vie, Gaveston.

Dès la première scène, le ton est donné : le Roi et son « mignon » se déshabillent pour passer des habits d’apparat sans aucun complexe devant la cour réunie et face aux tentatives de Mortimer et d’Isabel de mettre un peu d’ordre et de dignité dans le cérémonial. Et l’ensemble suivra cette trame du « décalé » à la fois très théâtral et très réaliste.
Le décor est unique, il évoluera, notamment au travers de la présence d'accessoires luxueux (les statues et les bibelots dans la bibliothèque ou la couronne d'or sous verre, les tableaux ou l'aquarium) qui vont se détériorer avant de disparaitre de la scène. Les chaises bien rangées qui apparaissent régulièrement rappellent que nous sommes au spectacle, assistant avec les enfants du roi à la déchéance de celui-ci. 
L'opéra se déroule sans entracte, les interludes musicaux ponctuent le passage d'un tableau à l'autre, avec un rapide baisser de rideau, ce qui donne une très grande fluidité à l'histoire et surtout une formidable montée de la tension et de la cruauté.
A Londres c'était Georges Benjamin lui-même qui dirigeait l'orchestre. 
A Hambourg c'est le directeur musical Kent Nagano, qui nous donne une lecture plus sage sans doute mais très pointilleuse et en harmonie parfaite avec les chanteurs.

Et du côté de ces derniers, on est ébloui par les performances vocales et scéniques pourtant loin d'être évidentes pour les artistes.

Beaucoup des interprètes sont d'ailleurs les mêmes que lors de la création à Londres notamment : Gyula Orendt (Gaveston et l'étranger) dont je ne peux que redire les éloges notés à Londres (jeune baryton à la voix assez claire et au jeu subtil et plaisant, son aisance dans un rôle central et difficile, est un atout considérable dans la qualité globale de la distribution. Sans avoir tout à fait le même timbre que le Roi, il en adopte en partie le style pour parfaitement représenter son « double ».), ou le ténor Peter Hoare qui incarne Mortimer, (celui « qui représente la mort jusque dans son nom », le « méchant » qui provoquera la chute et la mort du roi. Très belle voix aussi, beaucoup de vaillance et d’aplomb), l'excellent Samuel Boden en fils du roi,(qui se livre d’abord à un numéro de mime hors pair, jeune garçon effarouché par ce qu’il voit avant de devenir plus assuré et de se transformer sous nos yeux par la simple évolution de son chant comme de ses expressions. Grand talent à suivre aussi en ténor « léger », habitué du baroque, qui maitrise parfaitement cet autre genre musical.).

Ce sont les deux rôles principaux qui diffèrent de Londres où Stéphane Degout et Barbara Hannigan avaient brillamment incarné l'opposition radicale entre leurs deux personnages. 
Et incontestablement, hier à Hambourg, les deux interprètes ont été également ou plus encore éblouissants de conviction, de beau chant et d'engagement. 
Evan Hughes d'abord, baryton au timbre léger mais aux graves profonds et bien tenus, chante souvent au Kömische Open de Berlin ou à Dresde. C'est un excellent acteur en plus d'un chanteur exceptionnel dans ce type de rôle et ses duos avec Isabel d'une part, Mortimer et Gaveston d'autre part, sont de très grande tenue et très expressifs avec une palettes de couleurs particulièrement riche pour ce type de répertoire.
Quant à Georgia Jarman, qui chantera également le rôle à Lyon, c'est une Barbara Hannigan plus sonore et plus percutante et finalement plus impressionnante globalement dans un rôle où elle doit souvent surpasser des ensembles masculins. Sans être jamais criarde, en gardant la "classe" "garce" du rôle, elle passe la rampe tranquillement et assume le rôle de la méchante avec un charme fou.
Et compliments à la jeune Ocean Barrington-Cook qui, juste en figuration, incarne la présence presque charnelle de la fille du roi et a, très logiquement, été très chaleureusement applaudie.

Beau succès pour tous à l'applaudimètre.
Bonne acoustique pour la salle et sièges très confortables




A noter : l'opéra sera donné à Lyon en mai avec la même distribution excepté le rôle principal, qui sera Stéphane Degout comme lors des représentations de Londres.


Le DVD de Londres

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