Très émouvant Billy Budd de Benjamin Britten à Londres le 29 avril.

Billy Budd


Benjamin Britten
Livret : E.M. Forster and Eric Crozier

Mise en scène : Deborah Warner
Décors : Michael Levine
Chef d'orchestre : Ivor Bolton
Billy Budd : Jacques Imbrailo
Captain Edward Fairfax Vere : Toby Spence
John Claggart : Brindley Sherratt
Mr Flint : David Soar
Mr Redburn : Thomas Oliemans
Lieutenant Ratcliffe : Peter Kellner
Choeurs et orchestre du Royal Opera House.

Séance du 29 avril à au Royal Opera House de Londres.
L’histoire a été écrite par Herman Melville en 1924 sous le titre « Billy Budd marin ». Les histoires de navires et de leurs équipages sont la spécialité de Melville, le célèbre auteur de la légendaire Moby Dick. Billy Budd est son dernier petit roman, publié à titre posthume, sur lequel il travailla pendant ses cinq dernières années, et qui tente de régler l’éternel conflit entre le bien et le mal. Herman Melville s’est souvent inspiré de sa propre expérience de marin et pour Billy Budd, d’une histoire véridique « l’affaire Somers » qui vit trois marins convaincus de mutinerie, être pendus alors que la vérité fera apparaitre plus tard qu’il n’en était rien.
Dans le roman de Melville, Billy Budd est un jeune marin qui quitte le navire marchand « les droits de l’Homme » pour être enrôlé de force sur un navire de guerre de la flotte britannique. Billy Budd est jeune, beau et bègue. Il suscite l’amour autour de lui et la haine du capitaine d’arme, Claggard qui monte une véritable machination pour faire condamner le jeune matelot pour une imaginaire mutinerie. Pris par l’émotion, Budd bégaye devant la cour martiale, s’affole, cogne Caggart et le tue accidentellement. Il est condamné à mort. Il bénit le commandant Vere au moment de mourir. C’est ce dernier qui du début à la fin du récit fait part de ses doutes et de ses remords.
L’adaptation du roman pour l’opéra est réalisée par E. M. Forster et Eric Crozier, Forster et Britten avaient noué une solide amitié depuis des années quand il se mit à écrire ce livret avec Crozier pour le projet d’opéra de Benjamin Britten. A l’origine, l’opéra comporte trois actes et a été ainsi joué au Théâtre des Champs Elysées en mai 1952 dans la production de Covent Garden et sous la direction de Britten. Par la suite Britten réduira son opéra à deux actes, resserrant l’action et supprimant quelques airs du capitaine Vere, devenus trop difficiles à chanter par son interprète créateur, Peter Pears, le ténor ami du compositeur. La deuxième version a été créée à l'opéra de Nancy en 1993.
Deux spécificités musicales (et surtout vocales) sont à noter dans cette œuvre sombre et fataliste qui s’achève malgré tout sur une note d’espoir : l’opéra est exclusivement réservé aux voix d’hommes d’une part, le capitaine Vere est un ténor tandis que le jeune Billy Budd est un baryton, sorte d’inversion des canons habituels dans la distribution des tessitures à l’opéra.
L’art de la metteure en scène Deborah Warner tient d’abord et avant tout dans la re-création de l’atmosphère marine propre à l’œuvre. Avec plusieurs niveaux de « plateaux » qui bougent en fonction des situations, montant, descendant, visibles, invisibles, on a l’impression magique d’être du voyage et on sent le roulis, la houle, le mouvement des vagues, le vent dans les haubans. On voit le dur labeur des matelots, lavant le pont, tirant les cordages, grimpant aux mâts, descendant à la cale, dormant dans leurs hamacs et trimant sans arrêt.
La dure discipline est sans cesse rappelée au travers de ses gradés en uniforme, cravache à la main, qui font régner un ordre militaire impitoyable.
Très « réaliste » l’ensemble est de surcroit de toute beauté grâce aux superbes décors et aux éclairages efficaces et subtils.
Une parfaite direction d’acteurs s’ajoute à la qualité globale du spectacle, jusque dans les petits rôles et dans les mouvements millimétrés de chœurs excellents eux aussi.

La direction musicale est assurée par le chef Ivor Bolton que j’avais énormément apprécié dans ce magnifique Orlando Paladino au festival de Munich l’an dernier.
La partition est fondamentalement différente de celle de l’œuvre de Haydn évidemment, et Bolton réussit souvent à lui donner son mordant et sa richesse musicale même si on peut regretter parfois quelques ralentissements laissant se perdre un tout petit peu la montée dramatique permanente de l’œuvre.
Il n’y a pas de moments heureux dans cet opéra et la musique est à l’unisson : mélancolique, tragique, empreinte d’une tristesse insondable et magnifique.
Le plateau vocal est de très bon niveau et chacun incarne son rôle avec conviction : Toby Spence en capitaine Vere recueille à juste titre l’ovation la plus importante. Son interprétation est vocalement hardie et magnifique, timbre royal dominant sans peine l’orchestre, évolution du personnage fort bien rendue par un acteur-chanteur sensible et intelligent, très belle diction anglaise et grand sens des nuances.

Les autres lui donnent très brillamment la réplique du John Claggart hargneux et cruel de  Brindley Sherratt au Flint de David Soar, Redburn de Thomas Oliemans ou Lieutenant Ratcliffe de Peter Kellner (superbe basse…).


Le Billy Budd de Jacques Imbrailo a l’allure, la silhouette jeune et svelte, la beauté et l’agilité du jeune marin, comme son innocence de victime (et la sensualité évidente qui évoque toutes les ambiguités sexuelles des attirances de ce monde d’hommes à son égard). Il chante bien avec beaucoup de conviction et d’expressivité. Tout juste regrettera-t-on qu’il soit parfois un peu terne avec une voix qui ne domine pas toujours suffisamment les ensembles.

Détail pour une représentation très marquante, d’un opéra magnifique, que nous avons failli voir à la Bastille, et qui n’y est toujours pas programmée malheureusement.
Cette production a donné lieu à un DVD, enregistré lors des représentations du Teatro real de Madrid.


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