Un Faust vocalement décevant à Londres ce 30 avril...

Faust



de Charles Gounod
Opéra en cinq actes 
Livret de Jules Barbier et Michel Carré, à partir de la légende éponyme et la pièce de Goethe
Création :  Théâtre Lyrique le 19 mars 1859.

Mise en scène : David McVicar
Décors : Charles Edwards
Costume : Brigitte Reiffenstuel
Chef d'orchestre : Dan Ettinger
avec
Faust : Michael Fabiano
Méphistophélès : Erwin Schrott
Marguerite : Irina Lungu
Valentin : Stéphane Degout
Siébel : Marta Fontanals-Simmons
Marthe Schwertlein : Carole Wilson
Wagner : Germán E Alcántara

Séance du 30 avril, Royal Opéra House (vu en salle, le spectacle était par ailleurs retransmis au cinéma).
La mise en scène de David MacVicar ne date pas d'hier puisque sa création eut lieu au Royal Opéra en 2004 avec une distribution alors considérée comme "idéale", avec le couple médiatique de l'heure Alagna-Gheorghiu, Terfel en Mefistofélès, Keenlyside en Valentin et Sophie Koch en Siebel. Le ROH a réalisé deux reprises depuis lors (- Grigolo, Gheorghiu, Pape, Hvorostovsky en 2011 puis Calleja, Yoncheva, Terfel, Keenlyside en 2014.)
Comme souvent, la réputation de "clacissisme" du metteur en scène David MacVicar est en partie usurpée puisqu'au contraire cette mise en scène, esthétiquement très réussie, est assez audacieuse dans sa représentation.
D'ailleurs, prudemment, le ROH signale sur son site web : "Please note this production contains scenes of a mild sexual nature".
Jouant en permanence sur les notions de théâtre, de spectacle, de magie, de légende, Mc Vicar ne cesse de promener l’action sur la reproduction d'une scène délimitée par une loge côté jardin et par un orgue de théâtre côté cour, qui s’agrandit ou diminue selon ce qu’elle dévoile : le rideau, la salle et les loges de spectateurs, la forêt, une rue de la ville, une immense croix, le monument aux morts ou l’intérieur de la maison de Marguerite.
Une énorme malle est présente près des loges (qui se remplissent parfois des spectateurs vociférant ou enthousiastes), d’où Faust sortira les attributs de ses évolutions physiques et qui regorge des accessoires nécessaires à l’histoire…comme au théâtre. 
C’est bien la représentation de Faust à Garnier (en fait au théâtre lyrique) à l’époque de sa création que Mc Vicar reconstitue. Le diable surgit des sous-sol, il est accompagné par ses sbires acrobates et danseurs (adoptant souvent des poses outrées), il y retournera à l’issue des cinq actes d’ailleurs. Les scènes de départ à la guerre comme les scènes plus intimistes ont leurs décors et leurs symboles, et MacVicar joue de tous les ressorts possibles du théâtre : Faust jour de l’orgue lui-même au début de l’acte 4 quand Marguerite prie, l’acte 2 nous emmène dans un grand cabaret où une partie de french cancan accompagne la valse, les soldats qui chantent « gloire immortelle de nos aïeux » ont manifestement déjà beaucoup vécu et combattu, le « ballet » est particulièrement « cru » puisque les ballerines en tutus qui évoquent le classique « Giselle » vont progressivement en pervertir la pureté quand apparait une danseuse « enceinte » qu’elles vont dénoncer avant de la mettre à terre. La "loge" de l'avant-scène est alors occupé par ces messieurs en bel habit qui applaudissent "leurs" danseuses, comme la tradition l'exigeait alors (le ballet obligatoire du Grand Opera français trouve son origine dans cette exigence des bourgeois du XIXème siècle à pouvoir venir saluer la danseuse du ballet qu'ils entretenaient...).
Bref, rien de gentillet, beaucoup de scènes expressionnistes et une illustration « choc » qui baigne par ailleurs dans un esthétisme un peu suranné, lui.
L'opéra est long (tradition du grand opéra français oblige), comporte ses choeurs glorieux, ses grands airs pour chaque soliste (dont le fameux air des bijoux immortalisé par Tintin), ses "ensembles", son ballet et ses airs de danse. Il n'est pas si évident que cela à mettre en scène et il exige souvent une direction d'acteurs soignée pour "rendre" captivante une histoire que (presque) tout le monde connait déjà.

L’orchestre du ROH pour cette soirée, montre une belle variété de couleurs et sous la baguette de Dan Ettinger, sait valoriser les interludes musicaux, les sols d’instruments et « opposer » intelligemment les moments tragiques aux moments légers. Une plutôt belle lecture de Gounod.

Par contre le plateau vocal laisse vraiment à désirer : toutes les interprétation sont outrées, excessives avec beaucoup d’imprécisions vocales, peu de couleurs, pas de nuances, le tout dans un français qui va du « peut mieux faire » de Fabiano-Faust au charabias littéralement incompréhensible de tous les autres.
Excepté Stéphane Degout qui campe un Valentin au phrasé magnifique, voix très en forme et très belle prestation, jeu et interprétation émouvante. Le baryton français se glisse vraiment dans la peau de son personnage sans essayer d'occuper le devant de la scène, il est l'anti-star parfait et de loin, le plus émouvant et le plus convainquant. 

Mais le public attendait manifestement son idole, Erwin Schrott, régulièrement encensé sur la scène du ROH (je l’avais déjà vu en Procida dans les Vêpres Siciliennes il y a un peu plus d’un an), qui sur-interprète vraiment le rôle. C’est son style ce n’est guère surprenant d’autant plus que le rôle du diable s’y prête. Mais on mesure là l’absence de subtilité du baryton basse, qui tombe un peu dans la facilité (il est vrai que clins d’œil de connivence, sourires entendus, grimaces à l’excès, ça marche !) et ne nous livre pas tout le temps un chant irréprochable loin de là. La voix bouge beaucoup, les écarts de note sont parfois périlleux (et on se demande s’il va retomber sur ses pattes). Schrott chante un peu pour lui-même sans trop se préoccuper de ses partenaires et impose parfois sa propre mesure. 
Quant à sa diction… elle est tout simplement épouvantable et même pour ceux, dans la salle, qui ne parlent pas français, un tel écart avec la musique de la langue de Molière devait être quand même perceptible. Apparemment non, le public lui réserve un triomphe en permanence (pas moi...).
Bien sûr il reste l’aisance sur scène et le fait qu’il ne ménage pas sa peine pour incarner le personnage mais bon… on est rapidement lassé par les imperfections musicales.


Le Faust de Michael Fabiano présente quand même une bien meilleure diction voire un français souvent acceptable. Le ténor est en belle forme vocale et son phrasé est plus soigné que celui de son partenaire, sans atteindre la perfection d’un Degout et surtout sans donner la moindre des nuances que la partition requiert. Avec une certaine uniformité dans un timbre plutôt beau mais qui manque de variations de couleurs, son Faust n’émeut pas vraiment et reste souvent superficiel. Il ne suffit pas de chanter fort et de réussir le contre-ut pour être un bon Faust…Le ténor américain donne l'impression de surveiller sans cesse l'épreuve qui l'attend avec les quelques suraigus de son "grand air" (Demeure chaste et pure) et de négliger souvent l'incarnation du rôle. Ce n'est sans doute plus vraiment un emploi pour lui et je l'attends bien davantage dans le Don Carlo qu'il interprétera à Paris prochainement (en alternance avec Alagna). Je ne l'avais pas entendu en salle depuis son Faust à la Bastille il y a quelques années et il semble avoir à la fois gagné en puissance, assombri son timbre le rendant plus "dramatique", mais perdu dans l'élégance du chant qui le caractérisait. 

Je ne sais pas trop quoi dire de la Marguerite de Irina Lungu que j’ai trouvée à côté du rôle, musicalement, dès les premières notes (apparemment au cinéma, le ressenti était très différent) : la soprano est affublée d’un vibrato très large qui donne une sonorité désagréable à ses aigus, sa voix se perd dans le medium, elle ne vocalise pas. Son air des bijoux assez "hâtif" et peu articulé (difficile de bien chanter quand on ne maitrise pas la prosodie d'une langue) et le final plus que savonné, on n'entendait pas les "anges purs, anges raaadiiieux..." en notes distinctes par exemple.
Et le "jeu" était également très sommaire. Il est vrai à sa décharge qu'elle a du remplacer Diana Damrau, qui a annulé assez tardivement, et qu'elle n'a pas pu chanter la première (trachéite ou bronchite). Et que ses partenaires (mis à part Degout), soit se la jouaient "perso", soit semblaient avoir peur de l'approcher de trop près... 
Mais faut quand même dire qu’avec l’aide d’un Schrott souvent en dehors de la mesure, elle a contribué à littéralement gâcher ce qui reste, pour moi, le plus bel air de ce Faust, ce fameux trio du dernier acte  : on n'entend rarement les trois voix sur le même plan, voire en harmonie, Marguerite "savonne" ses vocalises, Schrott chante tout uniformément et écrase souvent la voix de Fabiano qui peine à se faire entendre, bref, le compte n'y est pas....

Marta Fontanals-Simmons en Siebel doit battre les records de chant en volapuck, et sa voix ne passe pas très bien l’orchestre.
Même les chœurs n’ont pas toujours le rythme de la langue française et se montrent très inégaux selon les airs d’ensemble.

Une soirée très moyenne donc, pour un opéra qui a décidément des tunnels, plutôt valorisé par une mise en scène inventive et une belle direction d’orchestre mais malheureusement desservi par des rôles principaux qui manquent de classe et de panache.
Bon accueil du public (surtout pour Schrott) sans rappel.

Commentaires

  1. Le "classicisme" associé à McVicaar vient surtout du fait qu'il se risque rarement à des transpositions hasardeuses (genre la Bohème sidérale) et que esthétiquement ça reste souvent assez ...classique.
    Les audaces se situent en effet plutôt dans les détails, le travail sur les personnages, etc..Comme ici dans ce ballet de la Nuit de Walpurgis (une séquence souvent coupée).
    C'est dommage que ceci ait été gâché par l'interprétation. J'ai vu la version de 2011 (en diffusion TV); et avec René Pape, ça restait très classe.
    A noter que dans les trois séries de représentations (2011, 2014 et celle-ci) le rôle de Valentin était très bien tenu.
    Des tunnels ? Avec une bonne production comme celle-ci (ou dans un genre très différeent la mise en scène de Alex Ollé), on ne les sent pas...

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