La très émouvante Leonora de la grande tragédienne Anja Harteros, à ne pas rater à Paris Bastille dans la Forza del destino de Verdi

La Forza del destino


Giuseppe Verdi

Direction musicale : Nicola Luisotti


Mise en scène : Jean-Claude Auvray

Il Marchese di Calatrava : Carlo Cigni
Donna Leonora : Anja Harteros / Elena Stikhina
Don Carlo di Vargas : Želijko Lučić
Don Alvaro : Brian Jagde
Preziosilla : Varduhi Abrahamyan
Padre Guardiano : Rafal Siwek
Fra Melitone : Gabriele Viviani
Curra : Majdouline Zerari
Mastro Trabuco : Rodolphe Briand
Un Alcade : Lucio Prete
Un Chirurgo : Laurent Laberdesque

Jeudi 13 juin 2019, Opéra de Paris Bastille. 
Une soirée en demi-teinte pour cette reprise de la mise en scène de Jean-Claude Auvray à Bastille. 
Si elle propose de très jolis tableaux, largement signifiants pour suivre les méandres de cette sombre tragédie, la mise en scène n’a guère d’idées quant à l’interaction entre les personnages, qui restent finalement un peu chacun dans leurs coins sans jamais donner à voir comment leurs pulsions, leurs passions, leurs amours et leurs haines, sont présents dans chaque minute de l’histoire et font dessiner un tragique destin pour chacun.
Leonora est la victime expiatoire d’une société faite par et pour les hommes, son frère Don Carlo est un vrai, authentique méchant de l’opéra, qui ne pardonnera rien, jamais à ce qu’il considère comme une trahison du code de l’honneur, Alvaro est un personnage complexe et ambigu, fier de sa lignée, victime du racisme et des préjugés, qui tentera de gagner l’amitié de Don Carlo sans y parvenir pour être finalement un double assassin involontaire.
En laissant les chanteurs livrés à eux même, la mise en scène ne leur permet jamais d’exprimer tous ces traits de caractères pourtant fondamentaux de cet opéra, qui comporte en plus quelques scènes « rapportées » comme l’insupportable ran-tan-plan, traité là comme du grand spectacle sur fond d’une guerre qui serait finalement assez folklorique.
Le pire étant sans doute la mise en scène des relations entre le ténor et le baryton, leurs affrontements étant d’une pauvreté et d’une indigence totale, tout juste si le meurtre de Don Carlo par Alvaro ne prête pas à sourire voire ne déclenche pas de petits rires dans la salle.
Dommage car le plateau vocal disposait d’un atout-maitre : la Leonora d’Anja Harteros, tragédienne parfaite, qui interprète une Leonora plus victime résignée que combattante (à la différence d’Anna Netrebko vue récemment dans une prise de rôle impressionnante à Londres), terriblement touchante, arborant des postures de reine outragée et déployant un chant d’une incroyable subtilité, colorations de chaque note, nuances infinies et beauté d’un timbre qui éclate magnifiquement dans les aigus.
Elle n’a pas déçu même si, personnellement, je l’ai vue bien mieux entourée par la paire Kaufmann/Tézier un certain 3 janvier 2014 à Munich, soirée que, contrairement à celle d’hier, je ne suis pas prête d’oublier et où son "Pace, Pace" et le final étaient beaucoup plus émouvants. Mais sa prestation reste de toute façon exceptionnelle et à voir absolument.
Le Don Carlo de Želijko Lučić, sans jamais atteindre les sommets glorieux de Ludovic Tézier, et curieusement un peu trop « gentil » pour le rôle d’un personnage très cruel, garde toujours un timbre un peu terne mais Verdi lui va mieux que Puccini et il sait parer son chant de couleurs, respecter le legato verdien et ma foi, nous offrir une prestation plutôt agréable dans l’ensemble une fois ces réserves faites. Il n'est pas très à l'aise avec la mise en scène ce qui est tout à fait compréhensible, son allure ne colle pas trop non plus avec l'étudiant décrit à l'acte 2...

L’Alvaro de Bryan Jadge a manifestement beaucoup plu à certains critiques et il a certainement de nombreux mérites que je n’ai pas su déceler. Mais pour moi, c’est un ténor "à décibels", qui semblait surtout préoccupé par le fait de montrer la puissance de son organe, oubliant en route que sa partie est au contraire subtile et nuancée, comportant à l’instar de celle de Leonore, et à l’opposé de celle de Don Carlo, de nombreux changements de rythmes, de style et de volume. Si on ajoute une fâcheuse propension à prendre les aigus par en dessous et une diction italienne assez discutable (par moment on ne comprend pas ce qu’il chante), on comprendra que je n’ai pas vraiment accroché à une telle interprétation monolithique qui l’a conduit d’ailleurs, en contresens total avec l’œuvre, à dominer plusieurs fois Don Carlo lors de duos qui ne seront surement pas anthologiques…

La Preziosilla de Varduhi Abrahamyan est honnête mais le rôle est vraiment ingrat donc, globalement, j’ai plutôt envie de sincèrement la remercier d’avoir rendu cette partie vivante et sympathique.

Belle surprise avec le Padre Guardiano de Rafal Siwek que je ne connaissais pas et qui a une très belle voix de basse baryton, doublée d’une belle technique et d’une grande présence scénique.

Mille bravos aussi au Fra Melitone de Gabriele Viviani, parfaitement bien chanté, avec la truculence nécessaire et un timbre d’une très grande beauté.

Les rôles secondaires sont d’ailleurs tous de belle tenue.

Les plus grands moments de cette soirée, outre les airs de la grande Leonora d’Anja Harteros, ont été les moments orchestraux (avec l’ouverture magnifique mais placée après le premier acte) et ceux des chœurs avec en particulier un « maledizione » sublime en forte puis pianissimo puis forte d’une maitrise impressionnantes.
Très belle battue du chef Nicola Luisotti qui sait diriger du Verdi rempli de couleurs et de contrastes.

Le tout dans une salle loin d’être remplie (au contraire de la Flûte enchantée de la veille d’ailleurs), Anja Harteros n’étant pas à Paris la grande star qu’elle est en Allemagne.

Dommage quand même de ne pas profiter de sa présence pour voir cette réalisation qui, sans laisser de souvenirs inoubliables, comporte au moins cette prestation exceptionnelle !
Il est vrai que les deux prestations de Munich puis de Londres de cette Forza, vues l'une il y a quelques années et l'autre il y a quelques semaines, donnaient une toute autre force à cette oeuvre un peu hybride mais musicalement fascinante.

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