Madame Favart, salle Favart : renaissance d'une oeuvre d'Offenbach pour son 200ème anniversaire !

Madame Favart


Jacques Offenbach
Opéra-comique en trois actes. Livret d’Alfred Duru et Henri Chivot.
Créé aux Folies-Dramatiques en 1878

Direction musicale Laurent Campellone
Mise en scène Anne Kessler, sociétaire de la Comédie Française

Madame Favart Marion Lebègue
Charles-Simon Favart Christian Helmer
Suzanne Anne-Catherine Gillet
Hector de Boispréau François Rougier
Major Cotignac Franck Leguérinel
Marquis de Pontsablé Éric Huchet
Biscotin Lionel Peintre
Sergent Larose Raphaël Brémard

Chœur Chœur de l’Opéra de Limoges 
 Orchestre de Chambre de Paris

Nouvelle production Opéra Comique
Coproduction Bru Zane, Opéra de Limoges, Théâtre de Caen
Dans le cadre du 7° festival Palazzetto - Bru Zane Paris
Partitions éditées et mises à disposition par le Palazzetto Bru Zane

Je découvrais cette œuvre écrite par Offenbach en 1878 et que l’Opéra Comique re-créait en quelque sorte dans les lieux mêmes célébrés par le compositeur. Heureuse initiative qu’il faut d’abord saluer pour ce qu’elle représente d’intérêt pour l’amateur d’opéras qui peut ainsi se plonger dans l’atmosphère très particulière du genre « opéra comique » où, rappelons-le, les dialogues parlés (sans accompagnement musical) alternent avec les airs chantés en solo, duos, ensembles et chœurs, avec accompagnement d’orchestre. Dans « Madame Favart », la partie purement théâtrale fait jeu égal avec la partie « opéra » et les interprètes sont nécessairement choisis parmi les artistes capables de rivaliser avec les meilleurs acteurs de théâtre tout en sachant chanter, si possible sans rupture de style.
Souligner la performance que cela représente, me parait primordial, tant il y eut de discussions sur ce qui doit primer à l’opéra, du jeu de comédien ou du beau chant lyrique : de toute évidence au XIXème siècle, ces œuvres furent conçues pour des artistes hybrides aussi remarquables dans les deux aspects du difficile exercice qui leur était demandé.
Et, cela va de soi, la direction d’acteurs, l’un des rôles souvent oublié du metteur en scène, doit être aussi parfaite que la direction musicale, puisque, rappelons-le, près de la moitié de la représentation est du théâtre pur.
Et il faut que les dialogues « parlés » sonnent juste puisqu’aucun artifice ne viendra couvrir une éventuelle médiocrité « déclamatoire » dans un tel exercice. Il faudra aussi que le timbre de l’artiste quand il parle soit similaire à celui qu’il a quand il chante… cela peut paraitre une banalité mais en réalité, c’est loin d’être évident, puisque l’art lyrique n’est pas « naturel » mais le résultat d’un apprentissage de la voix d’opéra.
Toujours en guise de préliminaire, quelques mots sur l’œuvre : c’est l’histoire rocambolesque et très feuilletonnesque, du double amour d’un greffier devenu chef de la police (Hector, ténor) avec la fille (soprano) du major Colignac (basse) et des époux Favart, Justine une actrice célèbre (mezzo soprano) et Charles-Simon (baryton), auteur à succès.  Trois autres personnages tournent autour de l’intrigue principale, prétextes à mensonges, dissimulations, tromperies et déguisements : deux ténors, le « méchant » marquis de Pontsablé et le naif sergent Larose, un « brave », l’aubergiste Biscottin (basse).
Récit picaresque qui change de lieux en permanence, et où les personnages changent d’apparence aussi rapidement, le fil n’est pas difficile à suivre quand on fait le choix de ne rien couper et de donner l’œuvre intégralement. L’inconvénient est sans doute le fait que tout est lourdement appuyé et répété notamment lors de l’acte 1, acte « d’exposition » des situations de chacun et de chacune.
Musicalement, il faut bien dire que l’œuvre comporte un nombre impressionnants d’airs militaires, pompiers, de ran-tan-plan divers et autres exercices « comiques » qui donnent dans la facilité (duo des Tyroliens) ou dans la "scie" mélodique…
Je reconnais avoir été diversement intéressée au déroulé des aventures elles-mêmes, du fait d’un parti pris très grand-guignolesque qui tient à l’œuvre d’Offenbach elle-même mais qui ne convient pas tant que cela à ce récit qui montre finalement assez clairement l’arbitraire des pouvoirs en place (celui des rois sur leurs sujets et celui des hommes sur les femmes…) et peut décider d’embastiller ou d’enfermer au couvent qui lui déplait. Hymne à la liberté, l’œuvre met au centre le couple emblématique des Favart, moderne et séduisant, qui symbolise alors la création artistique et l’indépendance d’esprit.
De ce fait, je dois dire que les choix de la mise en scène de Anne Kessler, elle-même actrice, m’ont laissée plutôt perplexe. Enfermer l’œuvre dans le décor unique (même esthétiquement très beau et évoluant aux marges selon les tableaux) de l’atelier de costumes de la salle Favart, reconstitué sur scène, est un parti pris qui ne convainc guère. Du coup les personnages, qui ont presque tous leur références historiques, apparaissent vêtus de costumes du XXème siècle, et se « déguisant » en quelque sorte durant le déroulé. Honneur au théâtre, certes, mais encore aurait-il fallu sans doute un peu plus de valorisation de ce lieu de divertissement et de faux-semblants, qu’une armée de couturières ne symbolise pas vraiment.
Du coup, paradoxalement, ce théâtre omniprésent, disparait de la scène alors que la « pièce » se joue dans la salle… Favart, fort peu utilisée pour « jouer » du vrai et du faux dont l’œuvre se pare en permanence.
Côté direction d’acteurs, le travail fourni par l’équipe (et le metteur en scène) est tout à fait remarquable dans ce cadre un peu contraint. C’est bien joué et incarné par l’ensemble des protagonistes qui confirment tous leur immense talent de comédien.
Le couple vedette composé par la Madame Favart de Marion Lebègue et le Charles-Simon Favart de Christian Helmer fonctionne bien et on adhère à leur amour entreprenant et créateur faisant vivre sous nos yeux, ces génie de l’opéra comique, passionnés et passionnants. J’ai donc trouvé très belle, l’interprétation lors des dialogues parlés, mais j’avais un peu plus de réserves pour ce soir de Première avec les airs chantés. La voix de Marion Lebègue sonne très différemment selon sa position sur scène et le style de l’air qu’elle chante notamment à l’acte 1. C’est beaucoup plus éblouissant à l’acte 2 et surtout à l’acte 3 où elle réussit un très bel air nostalgique déguisée en vieille comtesse. Le timbre se fait beaucoup plus séduisant et égal sur toute la tessiture, alors qu’elle semblait parfois en difficulté au commencement de l’opéra. Globalement c’est l’incarnation d’un vrai personnage auquel on croit et il est fort probable que son chant ira en « s’égalisant » en quelque sorte au fur et à mesure des représentations comme quelques superbes passages l’ont montré.
Le baryton Christian Helmer, que j’avais déjà entendu et apprécié ces dernières années en Cecil au TCE pour le Maria Stuarda donné en 2015 et la même année dans le Pré-aux-Clercs dans cette salle de l’Opéra Comique, possède un superbe timbre, plus baryton que basse bien qu’il ait abordé des rôles très graves. Le timbre « chanté » est très sombre et diffère très sensiblement d’une voix plutôt légère, contraste un peu gênant. Mais dans l’ensemble j’ai énormément aimé son incarnation du personnage charismatique de Favart, son aisance scénique et la beauté de son interprétation vocale. 
Très primesautière et délicieusement séduisante est la délicate  Suzanne d’Anne-Catherine Gillet, à la voix parfaitement sucrée qui se savoure comme un bonbon, qui parle comme elle chante avec une unité de style remarquable, qui évolue avec grâce sur scène, ne reculant devant aucun numéro acrobatique (saut sur deux chaises ou grand écart) donnant une légèreté à son personnage dans une sorte de perfection de l’art qui est réjouissante.

Le Hector de Boispréau de François Rougier (que je ne connaissais pas) est lui aussi, admirable à plus d’un titre. Il apparait d’abord un peu effacé vocalement et scéniquement avant de prendre ses marques et de révéler un très grand talent comique doublé d’acrobaties vocales impressionnantes où les aigus donnés à pleine voix sont absolument électrisants et parfaitement maitrisés.
Souvent entendu et toujours apprécié dans ce genre de rôle, Franck Leguérinel est parfait en Major Cotignac blanchi sous le harnais et à la fausse autorité paternelle remplie de bienveillance, et il se montre, une fois encore, un des solides piliers de cette troupe de chanteurs que l’Opéra Comique a constitué avec bonheur au fil des représentations.
En Marquis de Pontsablé, Éric Huchet campe un aristocrate ridicule dans ses prétentions, composant une excellente prestation qui domine à plusieurs reprises les scènes et les ensembles. Voilà un ténor qui a un sacré tempérament, qui a beaucoup chanté Offenbach et s’y sent comme un poisson dans l’eau et que j’avais déjà entendu, lui aussi, dans le Pré-aux-Clercs. La partition est moins exigeante pour lui que pour « Hector » en ce qui concerne les aigus mais elle lui demande énormément de liaisons « parler/chanter » qu’il réussit à rendre totalement naturelles, avec une voix forte qui projette de manière insolente. 
Le Biscotin de Lionel Peintre a également beaucoup de talents dans le double rôle de comédien et de chanteur tout comme le Sergent Larose de Raphaël Brémard et il faut, encore une fois, féliciter l’opéra comique, de savoir composer ainsi d’aussi belles et parfaites équipes. Le chœur joue et chante magnifiquement, ce qui complète agréablement le sentiment de qualité qui accompagne l’ensemble de la réalisation. Musicalement la direction du jeune chef Laurent Campellone est colorée et dynamique pour une composition musicale pas toujours évidente à valoriser tant elle apparait souvent comme « routinière ».

Pour résumer, j’ai pris plaisir à découvrir une « nouvelle œuvre », globalement bien interprétée et musicalement bien dirigée, tout en soulignant que l’œuvre en question n’est certainement pas la plus réussie du maestro Offenbach dont on fêtait, hier 20 juin, les 200 ans.

Commentaires

  1. L'alternance parlé/chanté est toujours un problème, même en dehors de l'art lyrique, tant il peut y avoir d'écarts entre les deux voix. Certains artistes y compris de variétés) ont en parlant un accent qu'ils "perdent" quand ils chantent .
    Sur le spectacle lui-même, je ne dirai rien, je ne l'ai pas encore vu.

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