Quelle jolie Flûte (enchantée) à Bastille pour la reprise de la production de Robert Carsen

Die Zauberflöte



Wolfgang Amadeus Mozart
Singspiel en deux actes (1791)
Livret : Emanuel Schikaneder

Direction musicale : Henrik Nánási
Mise en scène : Robert Carsen
Orchestre et Chœurs de l'Opéra national de Paris
Tamino : Julien Behr
Erste Dame : Chiara Skerath
Zweite Dame : Julie RobardGendre
Dritte Dame : Élodie Méchain
Papageno : Florian Sempey
Papagena : Chloé Briot
Sarastro : Nicolas Testé
Monostatos : Mathias Vidal
Pamina : Vannina Santoni
Königin der Nacht : Jodie Devos

Paris Bastille, le 12 juin 2019
Cette reprise de la production de Robert Carsen de la Flûte enchantée fait peu de bruit et c’est un peu dommage. Il est vrai que la mise en scène de Carsen, créée à Baden Baden et Paris Bastille il y a 4 ans, est devenue un « classique » avec ses décors champêtres, son évocation impressionnante des rites initiatiques, ses costumes invariablement tout blancs ou tout noirs dans une vision très manichéenne de l’œuvre, et avec sa fameuse « trahison » du livret qui fait de la Reine de la Nuit la complice de Sarastro. Mais bon, une fois tout ceci dit et redit, le fait est que c’est vivant (de nombreux personnages apparaissent par les portes du fond derrière les spectateurs et descendent les escaliers pour monter sur la scène), animé et plaisant à regarder. J’ai déjà vu Stanislas de Barbeyrac et Pavol Breslik en Tamino, Elsa Dreisig et Julia Kleiter en Pamina, tous toujours très adéquats à cette mise en scène qui choisit délibérément de valoriser la jeunesse des deux rôles principaux et à donner à leurs aventures la légèreté de l’adolescence prête à tout affronter pour découvrir l’amour. Comme j’ai vu cette production cinq ou six fois, je ne me livrerais pas à la moindre comparaison qui serait fastidieuse. Je voudrais juste souligner que cette dernière distribution proposée par l’ONP est fort agréable et mérite le détour.
Ce qui m’a sans doute le plus surpris, est la mise en valeur de l’acoustique difficile de la salle par le positionnement des chanteurs, souvent en bord de scène, et surtout par la direction musicale intelligente et inspirée d’un chef que je découvrais, le Hongrois Henrik Nánási, qui a été l’assistant de Pappano à Londres et le directeur musical du Kömische Oper de Berlin pendant ces dernières années. Voilà un vrai chef d’opéra, qui sait tout à la fois diriger un orchestre bien meilleur que la veille dans Don Giovanni, sans pour autant oublier qu’il s’agit d’un opéra, d’une période où la musique accompagne le chant et s’efface lors des dialogues parlés pour reprendre son contrepoint subtil lors des arias. Jamais il ne couvre les chanteurs tout en donnant un bien joli Mozart, d’une toute autre qualité dans la fosse que celle de Jordan la veille à Garnier.
Ensuite on est franchement séduit par l’équipe de jeunes chanteurs que forment ensemble, toute la distribution.
Le Tamino de Julien Behr allie fraicheur et habileté scénique, même si sa voix n’a pas toujours l’assurance de celle de ses partenaires, l’ensemble de sa prestation est séduisante, le timbre est sombre et de toute beauté évoquant de futurs rôles possible comme Lohengrin par exemple, sa diction allemande est impeccable et il a l'intelligence du texte chanté.
Superbe Pamina de Vannina Santoni qui confirme décidément ses immenses progrès vocaux comme scéniques, après son émouvante Traviata au TCE récemment, et son adéquation à Mozart. Les aigus sont souverains et la diction impeccable. Du très beau travail et une projection dans les conditions décrites ci-dessus, absolument parfaite.
Dans le registre comique, Florian Sempey en Pappageno et Mathias Vidal en Monostatos se disputent la vedette. Florian Sempey est irrésistible, campant fort bien l’oiseleur fort en gueule mais pas très courageux. C’est bien chanté, avec l’autorité vocale et l’aisance du grand artiste qu’il est devenu depuis pas mal d’années maintenant. 
Le Monostatos de Mathias Vidal est tout autant survitaminé, incroyablement juste dans sa quête impuissante de l’amour et presque surprenant finalement, ce rôle étant souvent plus sombre et inquiétant. Aucun problème de projection pour lui non plus pourtant plus habitué du baroque avec orchestre d’époque et des petites salles. 
La reine de la Nuit de Julie Devos nous a offert deux beaux airs virtuoses avec, m’a-t-il semblé, un tout petit peu de difficultés dans la gestion du souffle du redoutable exercice.
Magnifique Sarastros de Nicolas Testé au très riche medium, affrontant les graves redoutables et abyssaux du rôle avec un tout petit peu de difficulté mais nous offrant globalement une très belle prestation, très humaine, en phase totale avec l’esprit de Mozart.
Charmante Papagena de Chloé Briot.
Les trois dames gagnent en assurance au cours de la soirée après une entrée en matière un peu décousue où la Première dame domine nettement les deux autres. Comme les trois jeunes garçons, les effets comiques et les ensembles sont d’un niveau tout à fait agréable.
Les chœurs sont excellents, comme d’habitude.
Si on ajoute que cette distribution dont les rôles principaux sont tenus par des artistes français, possède une parfaite maitrise de la diction allemande, en dialogues parlés comme en chant, donnant tout son sens à chacune des phrases prononcées et chantées, et accompagnant son chant de nombreuses couleurs et nuances, on ne peut que redire que la qualité était au rendez-vous pour cette œuvre majeure de Mozart qui a recueilli une très chaleureuse ovation d’un public en moyenne assez jeune et totalement conquis.

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