Très émouvant Nicola Alaimo dans Rigoletto à Marseille le 9 juin 2019

Rigoletto

Giuseppe Verdi
Livret De Francesco Maria PIAVE
D’après Le Drame Romantique Le Roi S’amuse De Victor HUGO
Création A Venise, La Fenice, Le 11 Mars 1851
Opéra En 3 Actes

Opéra de Marseille, séance du 9 juin 2019
Direction Musicale Roberto Rizzi-Brignoli
Mise En Scène Charles Roubaud
Décors Emmanuelle Favre
Costumes Katia Duflot
Lumières Marc Delamézière

Gilda Jessica Nuccio
Maddalena Annunziata Vestri
Giovanna Cécile Galois
La Comtesse Ceprano Laurence Janot
Le Page Caroline Gea
Rigoletto Nicola Alaimo
Le Duc De Mantoue Enea Scala
Sparafucile Alexey Tikhomirov
Le Comte Monterone Julien Véronèse
Marullo Anas Séguin
Matteo Borsa Christophe Berry
Le Comte Ceprano Jean-Marie Delpas
L'Officier Arnaud Delmotte

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
On considère Rigoletto comme l’une des œuvres majeures de Giuseppe Verdi, formant une trilogie avec la Traviata et Le Trouvère et marquant un « tournant » dramatique du genre lyrique. Ce ne sont pas d’abord les « grands airs » qui intéressent Verdi dans son ouvrage mais la progression dramatique rigoureuse de l’histoire, l’analyse des personnages et des mœurs de la société. Même si, face à la censure dont fut victime Victor Hugo qui voulait dénoncer les orgies de la cour du roi François 1er, Verdi a transposé prudemment son récit au duché de Mantoue, évitant de porter atteinte à la personne du roi, pour l’essentiel il a gardé ce cruel récit d’un bouffon trompé et trahi de la plus horrible manière, pour avoir voulu quitter son rôle de comique du prince, et protéger l’honneur de sa fille.
Le thème de la malédiction, tout à la fois motif musical et parole prononcée, ponctue l’ensemble du drame dans une progression parfaitement bien construite, de la « malédiction » de Monterone contre Rigoletto se moquant de son malheur jusqu’à la mort tragique de Gilda.
Plus encore que pour la Traviata et surtout le Trovatore, Rigoletto utilise le chœur comme un personnage à part entière, qui chante ses propres airs (particulièrement réussis) et occupe une place décisive dans la manière dont le drame va se nouer : foule de la fête du duc au début de l’opéra, puis lors de l’enlèvement de Gilda, le chœur chante et joue.
J’avais apprécié la fonctionnalité de la mise en scène de Charles Roubaud, lors de sa création à Orange il y a deux ans. La transposition à la belle époque permettait une débauche de très beaux costumes de Katia Duflot, brillant notamment lors du premier tableau, où la fête chez le Duc, tourne rapidement à l’orgie « chic », que Monterone va interrompre par ses violentes accusations contre les mœurs de l’hôte de ces lieux et ses imprécations suite à la perte d’honneur de sa fille.
Ramenés à la petite scène du théâtre surchauffé de l’opéra de Marseille, les décors perdent sans doute un peu de leur ampleur, mais s’adaptent fort bien au jeu scénique parfait de l’ensemble des artistes nous donnant un vrai « théâtre » musical, séduisant et facile à suivre. Pas ou peu de changement de décor garantit la fluidité des tableaux et des actes se suivant dans un court laps de temps, et le drame semble se nouer en quelques heures dans un lieu presque unique qui évolue essentiellement au travers de l’utilisation des vidéos et des éclairages de la monstrueuse tête de marionnette représentant le bouffon du roi, flanquée à l’arrière d’un pan incliné et d’un mur très haut. Le final voit apparaitre deux cloisons épaisses à hauteur d’homme permettant l’espionnage par Gilda et son père, des attitudes scandaleuses du duc.
La direction d’acteurs est simple mais efficace, les chanteurs ont tous un talent de comédien incontestable et l’ensemble est fort bien incarné et plutôt bien chanté.
Trois siciliens et deux prises de rôles marquaient la reprise de ce Rigoletto à l’opéra de Marseille qui joue ces cinq séances à guichet fermé : avec la défection de Sabine Deviehle initialement prévue en Gilda, la réunion de Nicola Alaimo, d’Enea Scala, tous deux débutants dans leurs emplois respectifs, et de Jessica Nuccio, soprano moins connue mais qui a déjà chanté Gilda à de multiples reprises, faisait honneur à la Sicile. La similitude s’arrêtera là car les trois chanteurs ont des styles et des incarnations très différentes.
Nicola Alaimo est un chanteur qui privilégie l’interprétation du personnage au service de laquelle il met sa subtile technique verdienne. Il avait déjà été à Bastille un passionnant Paolo dans Simon Boccanegra aux côtés de Ludovic Tézier. Il aborde son Rigoletto avec la profonde conviction des ambivalences du personnage, valorisant l’immense générosité de ce père aimant, victime d’une société à la hiérarchie implacable, qui donne tous les droits au Prince et se moque cruellement du pauvre « bouffon ». Je n’avais pas entendu depuis très longtemps un Rigoletto si fragile, si humain, si déchirant, si convainquant. Chaque phrase musicale est sculptée, parée de toutes sortes de couleurs et nuances, la marque des « grands », y compris les si délicats crescendo, decrescendo. Ne reculant devant aucune difficulté, Nicola Alaimo  domine largement son sujet, même si une fois ou deux ses aigus ne ne se sont pas totalement déployés comme on pourrait l’attendre, mais son médium et ses graves sont souverains et l’immense sensibilité qui traverse son personnage, nous émeut à chaque seconde. Dès ses deux airs « Pari siamo! » et « Quel vecchio maledivami » on sait sa haine des courtisans qui l’exploitent au service du mal suivis de ce duo avec sa fille tout simplement divinement mené par un père follement épris de son précieux trésor. Son « Cortigiani, vil razza dannata » montre une interprétation également impressionnante de toute cette violence retenue qui fait la marque de son subtil Rigoletto et son « Sì, vendetta, tremenda vendetta! » est vivement applaudi pour la même raison. Enfin le final depuis le « Il est le crime, je suis le châtiment » jusqu’au « A la maledizione » est si bouleversant qu’on a parfois l’impression de redécouvrir un rôle pourtant joué par les plus grands.
Grand triomphateur de la soirée, sans effets de manche ou de glotte, avec la simplicité de l’incarnation et la beauté d’un timbre sublime, le Rigoletto d'Alaimo ira loin et nous sommes ravis d’avoir entendu cette « première » d’un baryton talentueux et attachant.
J’ai été un peu moins convaincue par le Duc d’Enéa Scala. J’avais surtout entendu le ténor dans les vocalise acrobatiques de Rossini ou Donizetti. Je ne suis pas sûre que ce chanteur de bel canto confirmé, fasse le bon choix en s’attaquant à Verdi et singulièrement au rôle complexe du Duc. Certes, tout y est, notamment les aigus longuement tenus (sans le contre-ré de "Possente amor mi chiama" rarement donné sur scène). Certes, il se joue de toutes les difficultés vocales et sa projection sonore est impeccable tout comme d’ailleurs est admirable son aisance sur scène. Il campe un Duc assez sommairement « dragueur » et séducteur, sûr de son pouvoir et sans considération aucune pour la gente féminine vue exclusivement comme source de plaisir. Mais son chant manque totalement de nuances, exécuté sur le mode « forte » voire fortissimo dès le « Questa o quella per me pari sono », style avec lequel il entonnera tous ses grands airs, la « « Donna e mobile » comme « Ella mi fu rapita! (...) Parmi veder le lagrime ». Le timbre n’est pas très lyrique, un peu dur voire métallique dans les aigus assénés avec force et qui font leur effet spectaculaire sans réellement émouvoir. 
La Gilda de Jessica Nuccio a beaucoup de charme, le physique de jeune première charmante qui sied au personnage mais son jeu est finalement le plus sommaire des trois. Elle offre peu d’élan d’affection à ses partenaires masculin et c’est essentiellement au travers de ses postures gracieuses et de la beauté de son timbre fruité et très juvénile, qu’elle incarne l’émouvante Gilda. Côté chant il y aurait un tout petit peu à redire, les aigus ne sont pas toujours en place, les vocalises sont parfois approximatives et son « Caro Nome » souffre de quelques phrases un peu rapidement expédiées sans grand soin ni délicatesse. Mais sa prestation est globalement très convaincante et ses duos avec le Duc et son père sont d'une précision et d'une beauté parfaite.

Outre les excellents chœurs, particulièrement performants dans le fameux « Duca, duca... » de l’acte 2, très enlevés, très rythmés et chantés avec une infinité de couleurs et de nuances, les seconds rôles sont de très bon niveau tout particulièrement le brillant Marullo d’Anas Séguin, jeune baryton à suivre de très près, mais aussi le Comte Monterone de Julien Véronèse, baryton-basse confirmé dont la présence sur scène est impressionnante, ou encore la très belle Maddalena de la mezzo Annunziata Vestri qu’on reverra avec plaisir déployer son beau timbre et incarner ce personnage ambigu avec beaucoup de conviction, sans oublier le très bien chantant Sparafucile d’Alexey Tikhomirov, inquiétant à souhait et d’une projection insolente. Et tous les autres d’ailleurs car chacun et chacune occupe sa place avec talent.
Regrettons quand même que la direction musicale soit aussi « molle » en comparaison avec celle du chœur en particulier. Roberto Rizzi-Brignoli dirige Verdi avec une trop grande sagesse à mon goût, un peu à la manière de Daniel Oren, gommant les reliefs et les couleurs de la partition, lui enlevant ses audaces et imprimant un tempo le plus souvent trop lent qui met à rude épreuve le souffle de ses chanteurs et ne facilite pas leur propre performance. 
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Une belle après-midi pour laquelle il faut vraiment et sincèrement féliciter tous les chanteurs pour leur implication dans des rôles complexes et leur belle entente, qui trouve son accomplissement dans le très beau quatuor de l’acte 3 « Un di se ben rammentomi … Bella figlia dell’amore ».
Cet opéra est superbe ….

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