Un Don Giovanni léger et rajeuni pour le chef d'oeuvre de Mozart à Garnier

Don Giovanni


Wolfgang Amadeus Mozart
Livret de Lorenzo Da Ponte

Direction musicale : Philippe Jordan
Mise en scène : Ivo Van Hove

Don Giovanni : Étienne Dupuis
Il Commendatore : Ain Anger
Donna Anna : Jacquelyn Wagner
Don Ottavio : Stanislas de Barbeyrac
Donna Elvira : Nicole Car
Leporello : Philippe Sly
Masetto : Mikhail Timoshenko
Zerlina : Elsa Dreisig

Nouvelle production, nouveau lieu, nouvelle équipe, ce Don Giovanni était très attendu après les multiples reprises de la tragique version mise en scène par Haneke et parfois noyée dans le grand vaisseau de la Bastille.
Mozart retourne à Garnier et l’on ne peut que s’en réjouir tant l’œuvre est adéquate à cette scène à dimension humaine, à cet écheveau de situations qu’on observe de près, à cet enroulement de destins croisés qui se prête tant à cette proximité du spectateur, se découvrant presque voyeur indiscret des amours des protagonistes et de la folie maladive de Don Giovanni pour qui "n’aimer qu’une femme serait une injure aux autres".

Van Hove traite Mozart un peu comme Strehler le fit notamment dans Cosi fan tutte : avec grâce et sans se prendre trop au sérieux, choisissant une équipe de chanteurs très jeunes, sans aucune star confirmée qui viendrait briser l’unité, et assurant une direction d’acteurs serrée, efficace et convaincante, dans une lecture essentiellement ludique où la tragédie, annoncée par Mozart dès son ouverture, ne s’invite réellement que lors du souper du commandeur. Un dramma giocoso dans toute sa splendeur….
Le décor, composé de hauts bâtiments entourant une cour pentue flanquée d’escaliers bas ou hauts, tient autant du béton des années trente que des immeubles enserrant les ruelles étroites dans des siècles plus anciens, arcades et colonnes symbolisant cette autre époque. Lors de la scène des masques, les héros seront d’ailleurs déguisés en aristocrates du 18èmesiècle tandis que le reste du temps, ils porteront des costumes du 20èmesiècle.
Les différents niveaux et terrasses de ces maisons qui évoluent discrètement au cours de la soirée, sont autant de prétextes à placer les chanteurs en hauteur ou à différents niveaux, à prévoir niches et cachettes, les panneaux se refermant sur Don Giovanni piégé par le commandeur dans un huis clos impressionnant, et à permettre une mise en scène vivante le tout étant grandement facilité par le talent d’acteurs de tous les protagonistes du plateau.
Mention spéciale d’ailleurs au jeu de Philippe Sly en Leporello et à sa très grande complicité avec Etienne Dupuis en Don Giovanni, leurs duos atteignant des sommets de théâtre.
Pas de stars donc et pas de temps réservé aux applaudissements des grands airs puisque chacun se retire vers l’arrière de la scène en chantant les dernières notes de son aria. De la même manière très « strehlérienne », les artistes viendront saluer en équipe complète, puis très, très rapidement chacun leurs tours, les autres restant sur scène et enfin deux par deux.
Notons également que dans le souci de respecter le rythme de l’œuvre, Van Hove ne coupe pas la dernière scène mais la valorise au contraire, les panneaux se rouvrent, les balcons et terrasses se couvrent de fleurs, les fenêtres de rideaux, tandis que les duos et sextuor finaux chantent la défaite du mal.
C’est une lecture si radicalement différente de celle de Haneke qui était essentiellement tragique et centrée sur le personnage de Don Juan, que l’on a presque l’impression de voir une autre œuvre. D’autres mises en scène que j’ai vues ces dernières années dans d’autres salles, soulignaient aussi plutôt la tragédie de l’œuvre de Mozart/Da Ponte.
Scéniquement, je l’ai dit, c’est plutôt réussi, vivant, jeune, alerte, avec de belles scènes d’amour. 
Vocalement c’est un peu moins parfait sans démériter pour autant : les voix sont assez petites si on excepte celle du Don Ottavio de Stanislas de Barbeyrac et la Zerlina d’Elsa Dreisig, parfois couvertes lors des arias et difficiles à distinguer les unes des autres lors des ensembles.
Etienne Dupuis est un Don Giovanni parfois inégal, avec de très beaux moments au milieu d’une scène ou d’un air et d’autres moins réussis, comme si sa voix ne parvenait pas toujours à tenir la note au même niveau d’un bout à l’autre d’une phrase musicale. Il incarne pourtant un Don Giovanni très crédible sans jamais totalement vous transporter. C’était la Première, cela devrait évidemment évoluer dans le bon sens.
Le Leporello de Philippe Sly qui avait été Don Giovanni cet été à Aix, est tout à la fois truculent, roué, drôle, subtil (quand il se substitue à son maitre). Il chante comme il parle, en acteur-né et son naturel est confondant. Dommage que son timbre superbe ne soit pas toujours mis en valeur du fait des limites évidentes de sa projection face à un orchestre aux instruments contemporains, loin des sonorités plus étouffées des orchestres mozartiens « authentiques ».
Stanislas de Barbeyrac est un habitué du rôle de Don Ottavio qu’il chante un peu partout ces derniers temps. Il incarne l’amoureux de Donna Anna avec sa propre personnalité, assez loin du bellâtre tenorissimo souvent donné. Barbeyrac n’est pas là pour produire deux grands airs de ténors (qu’il réussit par ailleurs très bien) mais pour jouer un personnage plus important qu’il n’est généralement et c’est très réussi. La voix est plus large et plus sombre qu’à l’ordinaire, et les accents et couleurs dont il pare son chant, font sens et marque le rôle de son empreinte. 
Le Masetto de Mikhail Timoshenko a une belle autorité vocale, un comportement assez volontairement gauche et mal dégrossi sur scène et habille parfaitement son personnage dans un duo parfait et savoureux avec sa sympathique Zerlina.
Enfin, le Commandeur de Ian Anger détonne complètement avec le reste de l’équipe tant sa voix est puissante et grave et tant sa silhouette est haute et large. Mais c’est exactement ce qu’il faut et il donne toute la dimension nécessaire à la statue de pierre.
La Donna Elvira de Nicole Car est très bien jouée (grande dame chic, midinette malheureuse et empruntée), et pas mal chantée notamment son « Mi tradì quell'alma ingrata,» assez enlevé aux aigus joliment déployés même si on chant manque de vocalises et sonne un peu trop classique comme du Mozart à qui on aurait un peu coupé les ailes. 
La plus mozartienne et celle qui a le timbre le plus agréable (à mon oreille) est la jeune Zerlina un peu coquine, un peu fleur bleue d’Elsa Dreisig, qui réussit là un joli rôle de composition, fort bien chanté et magnifiquement incarné.
La Donna Anna de Jacquelyn Wagner est par contre trop « simplifiée » pour me plaire : pas un trille, pas une fioriture, pas une vocalise, c’est lisse, et le timbre est parfois criard. Dommage car la jeune soprano a, elle aussi, des talents d’actrice, elle est belle et gracieuse sur scène mais….
Les chœurs sont précis et efficaces dans leurs scènes.
Dommage que Philippe Jordan ait un peu « plombé » toute cette légèreté vocale et scénique, par une interprétation appuyant lourdement tous les effets musicaux, couvrant parfois les artistes (et ratant totalement son ouverture) sans parvenir à faire ressortir les ambiguïtés permanentes de la partition qui passe de phrases musicales ludiques à des accents tragiques, de la tonalité majeure à la mineure, dans le style qu’affectionnait Mozart et qui est l’une de ses marques de fabrique dans ce qui est, pour moi, son plus grand opéra. 



J’ai vu les mises en scène suivantes ces dix dernières années :
-      Londres ROH 2015, Kasper Holten, avec Christopher Maltman et Alex Esposito : un jeu d’acteurs impressionnant pour un Don Giovanni sociopathe.
-      La Scala de Milan, 2011, Robert Carsen, avec Peter Mattei et Bryn Terfel (et Anna Netrebko en Donna Anna…) : joli jeu de miroirs avec la salle mais beaucoup de lenteur et peu d’attraits…
-      Paris Garnier puis Bastille, 2006 etc (je l’ai vue quatre fois), Michael Haneke, avec Peter Mattei et Luca Pisaroni puis d’autres distributions. Magistrale quoique controversée, Don Giovanni modernisé dans les Tours de la défense cynisme d’un personnage profondément tragique.
-      MET 2011 et 2017 – Michael Grandage, avec Peter Mattei et Luca Pisaroni puis Simon Keenlyside et Adam Plachetka – assez banale mise en scène demandant de grands acteurs.
-      Vienne 2017 – Martinoty, avec Ludovic Tézier et Luca Pisaroni – bonne réalisation
-    Monte-Carlo 2015 – Jean-Louis Grinda avec Erwin Schrott et Adrian Sampetrean (et Sonya Yoncheva en Donna Elvira) -  Jolis décors, peu d’imagination, pour les amateurs de grand classique.

Commentaires

  1. Vu hier soir. Scéniquement, c'est effectivement parfait, autant joué (fort bien) que chanté, grâce à une excellente direction d'acteurs.
    Si j'ai apprécié qu'on en revienne à une lecture quasi littérale (à part le cadre XXème siècle), sans double lecture et autres mises en abyme, ou versant dans la noirceur, ni donnant dans l'érotico-porno chic, j'ai tout de même trouvé que le décor (assez beau dans l'absolu) et les costumes versent dans une grisaille quasi constante (sauf les tenues XVIIIème dans le trio des masques). C'était un peu en contradiction avec le ton (relativement) léger de l'approche.
    Vocalement, c'était globalement satisfaisant, malgré les défauts que tu indiques. Mention au couple Zerline/Masetto, les "jeunots" d'une distribution de (relativement) jeunes chanteurs .

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