La Minnie explosive d'Anja Kampe dans la "Fanciulla del West", magnifique opéra de Puccini, festival d'été de Munich.

La Fanciulla del West


Giacomo Puccini
Livret de Carlo Zangarini (1874-1943) et Guelfo Civinini (1873-1954) d'après le drame de David Belasco (1853-1931), La Fille du far-west (The Girl of the Golden West).
Création 10 décembre 1910 au Metropolitan Opera de New York1

Représentation du 29 juillet 2019, opéra de Munich

Direction musicale : James Gaffigan 
Mise en scène : Andreas Dresen 

Minnie : Anja Kampe 
Jack Rance : John Lundgren 
Dick Johnson : Brandon Jovanovich 
Nick : Kevin Conners 
Ashby : Bálint Szabó 
Sonora : Tim Kuypers 
Trin : Manuel Günther 
Sid : Alexander Milev 
Bello : Justin Austin
Harry : Galeano Salas 
Joe : Freddie De Tommaso 
Happy : Christian Rieger 
Larkens : Norman Garrett 
Billy Jackrabbit : Oleg Davydov 
Wowkle :Noa Beinart 
Jake Wallace : Sean Michael Plumb 
José Castro : Oğulcan Yilmaz 
Ein Postillon : Ulrich Reß
Retour dans la salle principale de l’Opéra de Munich avec cette dernière représentation cette saison, d’une des « créations maison » du BSO, cette nouvelle mise en scène de la Fanciulla del west, cet opéra western, dont l’écriture cinématograhique est précurseur, et dont la composition musicale très « américaine », illustre parfaitement les méandres d’une histoire très prévisible mais qui a l’énorme avantage de construire un scénario qui se tient. Il y a évidemment une histoire d’amour entre une fille qui n’a pas froid aux yeux mais tombe amoureuse du bel étranger, bandit de grand chemin mais pas assassin, tandis que le shériff qui poursuit le malfaiteur, se consumme de désir pour la belle.
Il y a les « ragazzi », ces chercheurs d’or, hauts en couleur eux aussi, qui ouvrent l’opéra et  y occupent une place centrale dans les actes 1 et 3, donnant un relief à toute l’œuvre. En effet le traitement des chœurs s’éloigne radicalement des mélodies verdiennes pour plonger plutôt vers le 20èmesiècle et inspirer un Chostakovith ou un Janacek qui sauront, à leur tour, introduire les gens du peuple dans une dimension d’acteurs autant que de chanteurs. Ce n’est plus une foule mais une somme d’individus appartenant à un groupe tout en ayant leur personnalité (et leur manière de l’incarner vocalement).
Il y a des scènes émouvantes : Minnie lisant la bible aux chercheurs d’or harrassés par une journée de « boulot », Dick Johnson/Ramirez draguant Minnie dans sa petite maison avant de « cesser » de jouer pour lui jurer sincèrement son amour, le fameux air final de Dick Johnson, la corde au cou qui demandent aux « ragazzi » de dire à Minnie qu’il est parti, qu’elle ne sache jamais quel a été son triste sort. Il y a des scènes d’une force inouie : Minnie jouant son amour aux cartes avec le shérif, tandis que leurs paroles sont à peine chantées, dans un silence presque total de l’orchestre juste ponctué par les pizzicati des seules basses, ou la « machine à vent » qui se démène dans la fosse tandis que le sort de leur amour naissant va se jouer avec l’arrivée du shériff qui blesse Johnson.
Bref, c’est une des meilleures œuvres de Puccini, à mon sens. Et son modernisme m’apparait à chaque fois plus évident.
La mise en scène du cinéaste Andreas Dresen est volontairement atemporelle et cela lui confère l’immense qualité de garder toutes les scènes et leur profonde signification en se débarrassant de tout ce qui est le folklore du western. Là où Nikolaus Lehnhoff nous avait proposé une transposition à la limite du comique à Paris Bastille pour l’entrée (ratée) de l’œuvre au répertoire, tandis que Marco Arturo Marelli à Vienne et Giancarlo del Monaco au MET nous donnaient plutôt à voir un cadre plus traditionnel (quoique transposé à Vienne), Andreas Dresen ne garde que le squelette lui permettant de rester fidèle à l’histoire et à son déroulement. Mineurs de fond plutôt que chercheurs d’or les ragazzi portent des vêtements similaires de travailleurs, Minnie arbore une tenue simple très campagnarde avant de revêtir la « robe » (modeste) de la séduction, le shériff est habillé en shériff (tout en noir) et Ramirez en cow boy façon western spaguetti avec grandes bottes et grand manteau de cuir. Simple et efficace.
La scène est sombre, peu éclairée par des lampes torches, et comporte un bar à l’acte 1, la maisonnette en planches à l’acte 2 et le puits de la mine à l’acte 3.
Décors gris où l’on devine les montagnes, neige tombant au plus fort de la tempête du 2, quelques détails accessoires et secondaires. Tout se concentre sur le jeu d’acteurs, le chant et la fosse et au vu de l’excellence de la distribution, on se félicite de ce choix.
Pour réussir une Fanciulla, il faut trois grands chanteurs et pas mal de rôles selondaires de qualité.
Même si un petite inquiétude s’est emparée de moi lors de la première scène où les chercheurs d’or débarquent sur le plateau, tant l’orchestre s’avérait trop fort pour eux, très rapidement la « balance » a été rétablie par le jeune chef américain, James Gaffigan,  qui n’a eu de cesse, par la suite, avec un talent évident, de donner à cette musique, toute sa puissance et sa coloration, sans en oublier toutes les modernités. Les rôle secondaires, qui ouvrent l’opéra, sont tous d’une grande tenue, une tradition à Munich où beaucoup d’entre eux appartiennent à la troupe « maison ». C’est bien chanté, bien scandé, avec les mouvements de foule adéquats et on pénètre immédiatement dans l’univers du bar de Minnie.

L’arrivée de Minnie, révolver au poing, qui descend du haut d’un escalier pour calmer les bagarres de ses « ragazzi » est un très grand moment très réussi. D’entrée de jeu on sait qu’Anja Kampe va être une Minnie exceptionnelle, d’autorité vocale et scénique, mais capable aussi de fondre comme une madeleine quand le beau Johnson l’invite à valser, de tomber raide amoureuse sans pour autant perdre sa jugeotte de femme seule au milieu d’une « bande de mecs », et de défendre son amoureux, toutes griffes dehors quand il faudra le sauver de la potence. Très grande maitrise du rôle, timbre sublime en mezzo voce, je ne lui « reprocherai » que des aigus une fois ou deux, un peu « lancés » et donc pas toujours de la beauté suave nécessaire. Mais je soulignerai surtout qu’elle a énormément progressé, d’année en année, de rôle en rôle, et que c’est un plaisir de la retrouver « chez elle » pour la troisième fois en un an, après sa Sieglinde dans le Ring de juillet dernier et sa Leonore dans Fidelio en janvier. Au-delà d’un chant très nuancé et qui émeut en permanence, Anja Kampe a gagné ses galons d’excellente actrice. J’ai eu l’impression de voir cette Minnie, personnage féminin passionnant, en permanence tout près de moi, vivant son histoire avec une force de conviction admirable.
Brandon Jovanovitch, avec son côté « brut de décoffrage » et sa très belle incarnation du bandit au grand cœur, est un partenaire idéal. Ils ont en commun le « chanter vrai » sans fioriture, sans déclamation, avec les tripes, et de nous transmettre toutes les émotions qui passent dans leur histoire. Jovanovitch excelle dans ces rôles, Lady Macbeth de Mzensk ou le prince de la Rusalka, quand sa grande voix au timbre sombre doit traduire des sentiments contradictoires où se mêlent la colère, la conviction, la force de caractère et la… capacité de séduire.
A leurs côtés, John Lundgren a toutes les qualités : timbre superbe sur toute la tessiture, il est sans doute celui qui a la plus belle voix, et la plus grande capacité à couvrir tout le répertoire des sentiments qui agitent le schériff. Il en fait un personnage qui garde sa part d’humanité malgré sa noire jalousie et son violent désir et la scène du jeu de cartes, interprété par ces deux là est à elle toute seule, un morceau d’anthologie.
Les autres rôles sont également d'une grande richesse scénique et vocale : citons notamment le Nick de Kevin Conners, le Ashby de Bálint Szabó  et le Sonora de Tim Kuypers qui tirent brillamment leur épingle du jeu.

Bref, pour mon deuxième soir au festival de Munich, dans un genre très différent de la veille, j’ai à nouveau passé une excellente soirée !

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