Un Nabucco exceptionnel à Zurich sous la baguette de Luisi !

Nabucco


Giuseppe Verdi
Livret de Temistocle Solera d’après la pièce Nabuchodonosor (1836), drame d'Auguste Anicet-Bourgeois et de Francis Cornu
Création : créé le 9 mars 1842 à la Scala de Milan

Retransmission d'une représentation de l'opéra de Zurich, juin 2019
Mise en scène : Andreas Homoki
Direction musicale : Fabio Luisi
Orchestra : Philharmonia Zürich
Choeurs : Chor der Oper Zürich
Décors : Wolfgang Gussmann
Costumes : Wolfgang Gussmann, Susana Mendoza

Michael Volle (Nabucco)
Georg Zeppenfeld (Zaccaria)
Benjamin Bernheim (Ismaele)
Anna Smirnova (Abigaille)
Veronica Simeoni (Fenena)
Stanislav Vorobyov (High priest of Bel)
Omer Kobiljak (Abdallo)
Anja Jeruc (Anna)

 On le sait, Giuseppe Verdi composa des opéras « politiques » dont ce Nabucco et l’évidente parenté entre la domination du peuple hébreu qu’il met en scène, et le peuple italien alors sous le joug autrichien, en fait un opéra de la lutte contre l’oppression, dont l’air emblématique « Va pensiero » est encore aujourd’hui un hymne à liberté.
Le choix de transposer l’opéra au XIXème siècle à l’époque où il a été créé, a donc une certaine logique et la mise en scène de Andreas Homoki a d’énormes qualités dont une excellente et très précise direction d’acteurs qui permet des mouvements permanents fort bien orchestrés sur la scène et une expressivité de tous les artistes. Tout particulièrement dans les retransmissions vidéo, cet aspect « théatral » de l’opéra s’avère tout à fait important pour capter l’attention du spectateur dont la vision est « médiée » et le passionner pour la composition des personnages qu’opèrent alors les artistes, chœur compris, qui sont aussi de grands acteurs. C’est tout simplement fabuleux pour cette soirée où l’esthétique des décors (plateau sombre, sol vert brillant) est rehaussée par un jeu de lumières qui éclairent les visages et les corps comme dans un tableau de de La Tour. Les costumes second empire sont les mêmes d’un bout à l’autre de la représentation, avec grandes robes vertes « aristocratiques » et uniforme militaire vert pour les « dominants » et vêtements beige ou blanc d’ouvriers et de paysans pour les esclaves, jusque dans le contraste des styles et des comportements scéniques, l’opposition qui se joue durant l’œuvre, est « visible ». L’accessoire « couronne » que se disputent déjà deux petites filles nobles pendant l’ouverture, symbolise aussi la folie destructrice de l’obsession du pouvoir.
Zurich nous propose donc un somptueux Nabucco que j’ai regardé/écouté deux fois de suite tellement je l’ai trouvé réussi.
Musicalement avec Fabio Luisi, nous avons du Verdi « vivant », tout à fait autre chose que l’insipide Trovatore des Arènes de Vérone, j’y reviendrai dans une autre critique). Le Verdi de Nabucco est vindicatif et passionné, il orchestre magnifiquement la montée dramatique et les oppositions violentes des scènes qu’il raconte, il ménage des solos instrumentaux qu’il faut absolument entendre en tant que tel, il est le roi, déjà, des chœurs avec l’émotion incroyable qui se dégage de tous les tutti de cette œuvre, il offre des partitions magnifiques à plusieurs rôle et des ensembles à deux, trois, quatre, musicalement très novateurs.
Alors il faut être à la hauteur et à Zurich, le compte y était et plus encore.

L’ouverture est composée des « thèmes » de l’œuvre : la cavatine de Zaccaria, puis le chœur « Il maledetto » (scène 2, acte II), le célèbre  « Va pensiero » à la clarinette et au hautbois et des extraits du duo de l’acte 3 entre Abigaïlle et Nabucco,tant sur le plan de la mélodie que du type de rythme et d’orchestration. Magistrale ouverture suivie de la première apparition des chœurs, véritable personnage de l’opéra et l’on sait aussitôt qu’on va avoir du « bon » Verdi comme on l’aime, celui qui est si bien exécuté qu’on a l’impression de redécouvrir l’œuvre à chaque mesure. On entend chaque note. Et chaque instrument. Et chaque chanteur du chœur.
J’avoue, j’aime…. vraiment !
Les chœurs, personnage en tant que tel, sont évidemment attendus sur le « Va pensiero ». Celui-ci commence tout en douceur (sotto voce) et créée immédiatement par une alchimie d’une maitrise absolue entre les légers crescendos des voix d’hommes, aussitôt atténués pour reprendre une demi-mesure plus loin, une très très forte émotion. C’est tout simplement rare à ce degré de perfection pour un air si connu (et si malmené parfois…). Quelle belle prière, quel bel hymne à la liberté…qui se termine par un pianissimo hallucinant.

Les solistes ont des partitions particulièrement complexes à exécuter avec beaucoup de tensions entre les notes du bas de leur tessiture et les aigus, parfois dans la même mesure. On s’éloigne du bel canto (moins d’ornementures, plus d’airs martelés de manière syllabique), et Verdi nous gratifie de beaucoup d’airs qui oscillent entre héroisme et douceur, voire mélancolie et lyrisme, dans l’affrontement même entre deux personnages (magnifiques duos Nabucco/Abigail à plusieurs reprises avec cette opposition grandiose de style, jusque dans le final), souvent commencés ou terminés avec les chœurs pour appuyer l’effet dramatique.
Il faut des interprètes d’exception et, franchement, ce que Zurich réunit sur son plateau, est l’ensemble « Nabucco » le mieux réussi à mon gout depuis quelques années…
Nabucco est un très beau rôle de « baryton verdien » qui doit savoir allier « legato » et « héroisme », se montrer puissant et vaindicatif et aussitôt après, romantique et tragique. Michael Volle, mozartien passé à Wagner, excelle dans ce contraste qui correspond autant à ses qualités techniques qu’à sa sensibilité musicale. Il campe un Nabucco bien plus « clair » de voix et bien plus touchant par son humanisme exacerbé que de nombreux Nabucco plus « traditionnels ». Et que de nuances, de ralentissements (ponctués par un orchestre souverain), d’accélérations, le contraire du chant monolothique, l’interprétation d’un rôle, la vraie. Rien que pour sa composition magnifique, ce Nabucco vaudrait le détour. Les gros plans de la retransmission soulignent à quel point il habite son personnage et vit ses contradictions, homme autoritaire, sujet aussi à la compassion, pris de folie.

Le rôle d’Abigail est carrément mortel pour une soprano, qui doit avoir la largeur et la puissance de la voix d’une soprano dramatique tout en ayant des aigus très percutants et quelques descentes chromatiques syllabiques avec légères trilles. Anna Smirnova a les moyens du rôles et le domine avec fougue et impétuosité même si, ça et là, on peut entendre quelques stridences très vite dominées. C’est très impressionnant et l’affrontement avec Nabucco, au vu des personnalités très différentes des deux artistes, est particulièrement excitant vocalement.

Dans un rôle très inhabituel, Georg Zeppenfeld, wagnérien lui aussi, campe un très majestueux Zaccaria, très convainquant dans sa sagesse et sa détermination, beau timbre et belle prestation alliant autorité vocale et sens des nuances.

Parenthèse : on reproche parfois aux wagnériens (qui, en l’espèce, ont souvent d’abord été des mozartiens), de manquer d’italianité quand ils arrivent sur le territoire verdien des Italiens. Mais à l’inverse, leur sens du phrasé, des nuances sur la ligne musicale, leur compréhension profonde de ce qu’ils chantent, est un atour magnifique…

Benjamin Bernheim qui arrive sur scène sur un air conquérant, est un lumineux Ismael, dont le timbre et le style évoquent nettement Alagna quand il était jeune, et qui symbolise très bien la fougueuse jeunesse du neveu du roi des Hébreux, amoureux de la belle Fenena, incarnée elle par la jeune Veronica Simeoni, délicieuse mezzo-soprano dont la voix fruitée se marie très bien aevc celle de Bernheim (que je me réjouis de voir bientôt à Garnier !).
Et, malgré l’évidente difficulté de cette partition novatrice, Luisi nous mène tout ce petit monde à l’excellence, dans un Verdi aux tempi relevés, aux contrastes respectés, qui vit et qui vibre dans ce chant de liberté.
Chapeau bas et longue ovation des spectateurs.

Dépêchez vous, le live n’est valable que jusqu’au 26 juillet.

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