Le tandem Sellars/Currentzis pour un Idomeneo (Mozart) envoûtant à Salzbourg

Idomeneo, re di Creta

Wolfgang Amadeus Mozart

Opera seria en trois actes K. 366
Livret de Giambattista Varesco
Création à Munich (théâtre Cuvilliés) en 1781

Séance rediffusée le 12 Août sur Medici TV, retransmission du festival de Salzbourg, Août 2019, Felsenreitschule.
Audio diffusé par France Musique le 11 Août
Ces retransmissions sont toujours disponibles.

Teodor Currentzis | Chef d'orchestre
Peter Sellars | Réalisateur, Mise en scène
George Tsypin | Décors
Lemi Ponifasio | Chorégraphe
Robby Duiveman | Costumes
James F. Ingalls | Création lumières
Antonio Cuenca Ruiz | Dramaturgie

Avec
Russell Thomas | Idoménée
Paula Murrihy | Idamante
Ying Fang | Ilia
Nicole Chevalier | Elettra
Levy Sekgapane | Arbace
Issachah Savage | Grand-Prêtre de Neptune
Jonathan Lemalu | Neptune / La Voix
Brittne Mahealani Fuimaono | Danseur
Arikitau Tentau | Danseur
David Steffens | Basse

MusicAeterna Choir of Perm Opera
Vitaly Polonsky | Chef de chœur
Freiburger Barockorchester

Comme il y a deux, pour "La Clémence de Titus" de Mozart également, la rencontre entre le metteur en scène américain, Peter Sellars et le chef d'orchestre russo-grec Teodor Currentzis, est l'un des événements de Salzbourg. Et comme il y a deux ans, c'est dans le décor naturel grandiose du Felsenreitschule que les deux enfants terribles de l'opéra nous ont concocté cet Idomeneo sous la forme d'une fable des temps modernes. On remarquera – et ce fut déjà le cas pour Roméo Castelluci et son Requiem de Mozart à Aix- que nos metteurs en scène à la page, s'intéressent moins au passé nazi de l'Allemagne (et de l'Europe) et davantage, désormais, à l'avenir sombre de la planète. C'est donc autour des dangers du dérèglement du climat que Peter Sellars a construit une mise en scène, dominée par les décors superbes avec les objets imaginés par George Tsypin qui créé tout un univers avec des bulles flottantes représentants animaux et faune marine et des stèles se dressant de toutes les couleurs dans un univers d'océan dominé par le bleu parfois éclaboussé de lumière jaune ou orange.
Au vu de la photo que j'ai mis en exergue, il faut tout de suite préciser que la captation retransmise par Medici TV que j’ai vue, ne rend absolument pas justice à la beauté plastique de cette mise en scène, qui est juste esquissée, tant les gros-plans sont dominants, voire exclusifs, là aussi suivant une mode bien agaçante qui consiste à considérer que seules les performances des gosiers de chanteurs ont un intérêt pour le spectateur.
Je retiendrai donc surtout de la mise en scène, son côté esthétique fascinant, parfaitement en phase avec la musique et un jeu d'acteurs de haute voltige qui mériterait à lui seul les ovations reçues par les artistes. 
En gros, on comprend que, pour faire passer son message d'alerte, Sellars se sert de cet exil forcé en Crète de l'otage troyenne Illia, et de la malédiction qui va poursuivre le roi de Crète Idoménéo, sauvé par Neptune du naufrage pendant la tempête, mais qui doit payer un lourd tribut : le sacrifice du premier être humain qu'il croisera sur son chemin, lequel sera, bien sûr, un être aimé par dessus tout, son fils Idamante, objet lui-même de l'amour éperdu d'Illia et d'Electre, rescapée des Atrides et maudite évidemment.
 Cet opera seria de Mozart est l'un des plus beaux musicalement parlant dans le "genre", mais aussi l'un des plus longs (3h30) ce qui explique peut-être qu'il ne soit pas très souvent donné malgré ses qualités. Outre des arias de toute beauté en grand nombre et pour tous les solistes, Idomeneo comporte des parties orchestrales étonnantes de modernité et les deux thèmes de la tempête (notamment le premier quand les Crétois croient leur roi mort et attendent de ses nouvelles sans espoir) évoquent l'ouverture de l'Otello de Verdi et le traitement de la fameuse tempête d'où Otello sortira vivant.

Currentzis choisit un rythme très vif et très coloré dès l'ouverture, taille largement dans les récitatifs pour privilégier les arias et les "ensembles", place et déplace des choeurs très présents et magnifiques, jusque devant l'orchestre face aux premiers rangs des spectateurs (MusicAeterna de l’Opéra de Perm) et rajoute, à son habitude, un extrait d'une autre oeuvre de Mozart, Thamos roi d'Egypte, le Solo de Sethos, basse, (et des Chœurs) « Ihr Kinder Des Staubes, Erzittert", un impressionnant chant grave et solennel, en allemand (comme l'oeuvre de Mozart). Le final d'Idomeneo qui se termine par un geste de clémence de Neptune, illustre l'harmonie retrouvée en Crète et dans les océans, par un beau ballet polynésien tout en douceur, lenteur, grâce et beauté.
La mise en scène de Sellars comme la direction musicale de l'oeuvre de Currentzis ne feront pas l'unanimité, ne serait-ce que du fait de leur parti pris personnel créatif, mais j'ai trouvé que cela fonctionnait magnifiquement et, une fois passé l'étonnement du choix de costumes assez disgracieux et dont on ne saisit pas immédiatement le sens (à part leur ressemblance avec ceux de la Clémence de l'été 2017), le reste est impressionnant et réussi.

Musicalement le Freiburger Barockorchester est littéralement boosté par un Currentzis visité, comme à son habitude, avec un rien de gourou à la tête de ses disciples, et une efficacité impressionnante de toutes les secondes. 
C'est du Mozart qui vit et qui respire comme jamais et la domination des arias et des parties orchestrales donne à l'oeuvre un élan musical particulièrement réussi.
De l'équipe de solistes, on remarquera d'abord la touchante Illia de Ying Fang, qui vous bouleverse dès son premier air (« Padre, germani, addio »), voix, timbre, expression, diction magnifique, rien de mécanique malgré la perfection du chant. La jeune soprano fait passer tant de choses dans les colorations de sa voix qu'on est ému dès le premier quart d'heure et que cette impression qu'elle fit son rôle perdurera durant toute la représentation. Un nom à retenir absolument (et je crois que je n'ai déjà dit pour une autre oeuvre d'ailleurs). 
Le rôle d'Idamante a été écrit pour un castrat. Il est confié là à la soprano Paula Murrihy et je dois avouer avoir mis un peu de temps à être convaincue, trouvant le timbre un peu monolithique pour un rôle tout à fait central. Mais déjà à la fin de l'acte 1, elle a "pris" ses marques et son « Il padre adorato » est de grande tenue. Mais c'est son interprétation du magnifique chant " Ch’io mi scordi di te" (KV 505) accompagné du seul pianoforte (très présent durant toute la représentation), qui emporte la plus grande ovation à juste titre pour un immense moment d'émotion.
L'Elettra de Nicole Chevalier sera également renversante (c'est le cas de le dire, la chanteuse simule une fantastique crise de nerf en se tordant au sol) dans son « D'Oreste, d'Ajace » phénoménal, cet aria où Mozart revisite en quelques vers toute la tragédie des Atrides, donnant un morceau d'anthologie à son interprète.
L'Arbace de Levy Sekgapane est très bien chantant dans un rôle sans doute moins bien servi globalement que celui de ses partenaires (et très bien joué lui aussi) et Issachah Savage campe un Grand-Prêtre de Neptune un peu précautionneux mais le rôle est court, quant à la Voix (et Neptune) c'est l'impressionnant Jonathan Lemalu qui leur prête son talent. (froid dans le dos...) sans oublier la basse David Steffens pour le solo de Thamos et les très beaux danseurs Brittne Mahealani Fuimaono et Arikitau Tentau.
Mes réserves iront, hélas, à la prestation de Russell Thomas en Idomeneo. Le ténor américain avait également chanté Titus mais je ne crois pas que son répertoire soit essentiellement mozartien et cela s'en ressent dès le début : peu de legato, pas de vocalises, des difficultés dans les aigus (je pense qu'il était souffrant par ailleurs) pour lesquels le timbre s'amenuise dangereusement, peu de notes longuement tenues, bref il m'a semblé qu'on tenait là un contre-emploi manifeste pour un ténor qui chante plutôt Otello (de Verdi), Radamès et Manrico.
Globalement, c'est un spectacle passionnant malgré tout et il est toujours possible de réécouter des gloires du passé dans ce superbe rôle !


Retransmissions 

Lien vers le blog de Pierre avec un très bel article, très documenté, sur Idomeneo.

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