Tannhäuser à Bayreuth, 2019, retour sur la mise en scène iconoclaste de Tobias Kratzer

Tannhäuser


 Richard Wagner
Création le 19 Octobre 1845 à Dresde.

Bayreuth, 2019, retransmission de la Première du 25 juillet.

Stephen Milling : Landgraf Hermann
Stephen Gould : Tannhäuser
Markus Eiche : Wolfram von Eschenbach
Daniel Behle : Walther von der Vogelweide
Kay Stiefermann  : Biterolf
Jorge Rodríguez-Norton : Heinrich Schreiber
Lise Davidsen : Elisabeth
Elena Zhidkova : Venus
Katharina Konradi :  Ein junger Hirte (le berger)
le Gateau Chocolat : le Gateau Chocolat
Manni Laudenbach : Oskar

Chef d'orchestre : Valery Gergiev
Mise en scène : Tobias Kratzer
Orchestre et choeurs de Bayreuth.


J'ai eu envie, dans cette "critique", de me concentrer essentiellement sur le travail du metteur en scène Tobias Kratzer. Comment juge-t-on une mise en scène lorsqu’on est un spectateur habitué des opéras et aimant a priori, les metteurs en scène qui sont des créateurs de l’œuvre « jouée » et donc, prennent en charge la transformation d’une partition avec son livret et ses didascalies (indications scéniques du compositeur) pour en faire un spectacle « mis en scène » ?L’œuvre peut en effet être interprétée strictement en enregistrement studio pour un CD ou en version concert sans souci de l’action à proprement parler.
Cette « création scénique » nécessaire pour l’opéra comme pour le théâtre, à mon sens, ne peut en aucun cas être réduite à une simple (et évidente ?) application du livret comme l’écrivent si souvent les détracteurs des mises en scène inventives. Tout simplement parce qu’il n’y a, par définition, aucune application « mécanique » possible de la traduction concrète sur une scène donnée (qui aura ses caractéristiques) d’une œuvre à partir de la partition (pris au sens « complet » du terme).
De ce point de vue, le travail de Tobias Kratzer est intéressant et, même s’il ne m’a pas totalement convaincue lors de la première vision, j’ai constaté qu’il gagnait à être revu et tiendrait certainement la route pour les années qui viennent, voire pourrait bien devenir une référence à Bayreuth. 
Pourtant au départ, elle m’a donné l’impression d’être essentiellement satirique et drôle, prenant ses distances avec le côté guindé et convenu du Bayreuth d’aujourd’hui mais sans entrer vraiment en osmose avec ce fameux Tannhäuser und der Sängerkrieg auf Wartburg (tournoi des chanteurs à la Wartburg). En effet la valorisation du personnage de Vénus d’une part, les deux fortes personnalités ajoutées pour former un trio que Tannhauser quitte mais qui le suit et l’obsède, donne un autre fil rouge à l’œuvre que celui du « tournoi » symbolisant le combat entre amour charnel et amour spirituel.

Beaucoup de critiques ont souligné à juste titre qu’au-delà de l’opposition entre l’amour charnel et profane et l’amour platonique et sacré, thème dominant de l’œuvre de Wagner (qui est également largement traité), Kratzer avait voulu imaginer que cette querelle correspondait aux deux « vies » de Wagner, celle du révolutionnaire radical de sa jeunesse à Dresde (et des opéras qui ne sont jamais donnés à Bayreuth) et celle du bourgeois installé qui fit construire Bayreuth et ses conventions strictes. En effet le fameux slogan « Frei im Wollen, frei im Thun, frei im Genießen » est la devis anarchiste que Wagner lui-même professe dans son ouvrage « Die Revolution » du temps où Bakounine était son livre de chevet. 
Tobias Kratzer avait déjà utilisé cette interprétation de Tannhauser dans une précédente mise en scène à Brème en 2011.
La partie « révolutionnaire » (en peau de lapin quand même !), est symbolisée par un curieux équipage composé d’une Vénus en combinaison lamée argent et perruque peroxydée qui sniffe beaucoup, du « Gateau Chocolat », personnage traversti, et héros haut en couleurs de la vie artistique allemande « gay », et de l’acteur de cinéma et de théâtre, Manni Laudenbach, qui incarne, lui, le célèbre Oskar du roman de Gunther Grass, « Le Tambour », l’une des plus grandes œuvres littéraire de l’après-guerre, l’histoire de ce petit garçon qui feint une chute dans l’escalier pour justifier le fait qu’il a décidé de ne plus grandir à partir de l’âge de trois ans et qui ne quitte jamais le jouet, un petit tambour, qu’il a reçu pour ce « dernier » anniversaire. Témoin de l’histoire allemande du 20èmesiècle, Oskar, devenu « Nibelung » (nain de la mythologie germanique) par sa propre volonté, hait le monde des adultes, ses violences et ses guerres, son hypocrisie et son abandon délibéré du rêve. Excellente référence dans la problématique de Kratzer bien évidemment.

Tannhauser, d’abord clown dans la joyeuse équipe, qui circule avec un vieux camion Citroen, se défera de son déguisement quand il voudra quitter le Venusberg et rejoindre Elisabeth et le château de Wartburg, pour en revêtir un autre, celui du Minnesang qu’il est, c’est-à-dire celui du chanteur de poésie lyrique du Moyen Age germanique.
L’ouverture (où l’on regrettera le manque de précision de la direction de Valéry Gergiev qui déçoit dans cette première partie) est donc accompagnée d’une vue aérienne qui part du château de la Wartburg pour parcourir une vaste forêt où l’on distingue bientôt sur la route la fameuse camionnette Citroën (qui symbolise la « liberté » des années 70-80) qui sort de la forêt pour longer de vertes prairies avant de virer dans une route très secondaire où, (quel humour !), un employé est occupé à coller un bandeau « Fermé définitivement » sur une pancarte annonçant l’usine de Biogas qui représentait le cadre de la précédente production de Tannhauser à Bayreuth. Une production s'en va, l'autre arrive, tel est le rythme immuable de la colline.

Le rideau où était projeté cette vidéo s’ouvre alors que le camion apparait vraiment sur scène où nos trois joyeux guerilleros apparaissent accompagnant le clown Macdo (Tannhauser) et dansant au rythme de la fin de l’ouverture. Le Gateau Chocolat court d’ailleurs à côté, vêtu d’un très moulant costume léopard, un peu comme l'athlète transportant la flamme des Jeux Olympiques à leur ouverture tous les quatre ans. 

Le ton est donné.  Les quatre compagnons s’adonnent à toutes sortes de drogues, rient beaucoup, s’embrassent joyeusement, tout en menant tambour battant, leur véhicule vers un fast-food (Burger King tant qu’à faire). Notons que, dans le souci du détail, Kratzer a orné son camion très capharnaüm d’une reproduction charmante de la « Vénus » de Boticelli.

Tandis que le Gateau Chocolat et Oskar pénèrent un parking proche dans l’objectif de piquer de l’essence, leur jauge étant proche de zéro, Tannhauser et Vénus sont au drive pour faire le plein de nourriture. Hilare (et assez « perché », Tannhauser sort sa « carte de crédit » pour payer tandis que le Gateau Chocolat distribue des flyers sur les pare-brises des voitures. Au dos de la carte de crédit comme sur les tracts, toujours les fameux slogans révolutionnaires. La farce vire au tragique au moment précis où l’ouverture entame son grandiose final (la plus belle réalisation orchestrale de Wagner, il s’agit bien sûr de la version de Dresde), violons et cuivre menant une sorte d’apothéose magistrale et bouleversante. J’ai et l’aurais toujours des frissons à ce moment précis de l’opéra.
Kratzer fait alors basculer son histoire loufoque pour amener la suite : Vénus écrase un vigile qui s’oppose à leur fuite et le visage de Tannhauser se décompose progressivement, pour virer au tragique avec en arrière-plan la Vénus de Boticelli…

Notons aussi que nos chanteurs composent, en gros plans, de formidables personnages à la hauteur des deux acteurs qui les accompagnent.

Lorsque l’acte 1 commence, nos quatre compagnons se sont posés près d’un petit chalet avec des automates aux portes et aux fenêtres : nain de jardin (qu’Oskar va voir avec intérêt…) et autres figures bavaroises, chalet buvette avec Parking (réservé aux visiteurs). Le gâteau Chocolat se déguise en Blanche Neige et couvre la table de pique-nique d’une belle nappe écossaise tandis que s’élève, invisible et superbe le « Naht euch dem Strande"d’un choeur invisible. Vénus et ses deux accolytes mangent de bon cœur mais Tannhauser s’est isolé.
Il faut un peu d’imagination pour voir la fameuse grotte de Vénus dans ce chalet montagnard qui accumule les « poncifs » bavarois mais peut-être est-ce finalement, le clin d’œil ironique à Wagner et à son mécène et ami le roi Louis II de Bavière qui se fit construire une « grotte de Vénus » artificielle dans son château.
Comme Oskar dans Gunther Grass, comme le Gateau Chocolat, comme ces fast food internationaux qui s’installent dans des installations folkloriques régionales, tout a une double lecture et bien des facettes. Comme Wagner lui-même.

Et c’est en sortant de gros sac de voyage une partition « Wagner » que notre clown Tannhauser chante son "Dir töne Lob!" à Vénus, ses remerciements pour le bon temps passé mais son aspiration à retourner sur terre et vers dieu.
Partie très difficile pour l’interprète avec de gros écarts de notes à chanter plutôt sur le mode du heldentenor (Tannhauser est véhément) et des ruptures de rythmes assez difficile. Gould, prudent, chante de manière assez monolithique cet air et du coup, le mène au bout assez brillamment.
La Vénus d’Elena Zhikdova est surprenante et inattendue, l’allure comme la voix sont loin des Vénus traditionnelles, plus gorgonnes que séductrices, le timbre est beau mais m’a semblé manqué un peu de l’ampleur attendue dans ce rôle. Ceci dit, elle épouse parfaitement la mise en scène pourant travaillée avec la titulaire prévue Ekaterina Gubanova au physique et à la voix plus impressionnants, mais qui s’est blessée aux répétitions.
Sa véhémence dans ses répliques hostiles aux déclarations de Tannhauser, m’a semblé à la limite de ses moyens vocaux et comme le célèbre « Aus deinem Reiche, muss ich fliehn! O Königin! Göttin! Lass mich ziehn! » qui suit, voit Gould en légère difficulté, avec un legato presque absent et quelques notes « savonnées » , on peut considérer que l’acte 1 ne commence pas au mieux. Mais c’est vocalement souvent le cas dans Tannhauser, le «démarrage » étant particulièrement difficile pour des voix qui ne sont pas forcément encore chauffées. 
Le discours de Tannhauser semble plonger Vénus dans l’incompréhension la plus totale tandis que le camion est reparti puis s’arrête finalement pour laisser descendre Tannhauser sur un glorieux « "Mein Heil ruht in Maria" (Gould triomphant cette fois !)

Le berger qui apparait alors à Tannhauser (dans une superbe vallée en principe) a pris la forme d’une jeune cycliste en parka rose qui le conduit dans… les jardins du Festspielhaus tandis que les chœurs se font entendre (hymne des Pélerins) et apparaissent sous la forme des spectateurs chics et guindés du festival, leur programme vert à la main. 
Le Landgrave Hermann et les Minnesanger apparaissent à leur tour, déjà pour partie en costume de scène (pantalons et bottes, veste sur l’épaule et badge en bandoulière), comme s’ils se rafraichissaient un peu dehors avant le début, buvant une bière sur la pelouse près d’un « Wagner » nain de jardin. 
Beau jeu de scène tandis qu’ils tentent de convaincre Tannhauser toujours déguisé en clown de les rejoindre, partition de Wagner en main. Et apparition d’Elisabeth en peignoir (qui n’a pas eu encore le temps de se vêtir pour la représentation) et qui le gifle pour ses hésitations.
Tannhauser se décide enfin – superbe sextuor final avec le « zu ihr » dominé par la voix d’airain de Gould qui a définitivement pris ses marques vocales. Chacun a revêtu sa veste ou sa cape, Tannhauser s’est défait de son costume et les voilà tous les six, au son de la fanfare, entrant résolument dans la salle du festival tandis que – ultime image- nos trois rebelles apparaissent sautant de leur camionette… 

L’acte 2 commence par la procession des chevaliers et de leurs dames qu’on voit arrivant de la coulisse vers la scène en vidéo, et sur la scène en réel. Séance très classique d’une représentation traditionnelle en costume (très moyennageux) de Tannhauser dans le château de Wartburg, où le livret est scrupuleusement respecté pour la scène 1 (manifique « Dich, teure Halle, grüss ich wieder » d’une Elisabeth juvénile et joyeuse, incarnée par la jeune Lise Davidsen, heureuse surprise, qui a joué le rôle il y a a peu à Munich d’ailleurs dans une mise en scène très différente). La scène 2 est un modèle de conventions où chaque didascalie est respectée sur la scène, (Elisabeth et Tannhauser s’expliquant l’un avec l’autre, superbe duo très bien chanté).
Puis le rideau noir se ferme toujours pendant l’interlude musical au début de la scène 3 et une vidéo montre ce qui se passe dehors pendant ce temps là…
Le monde de Vénus, guérilleros chamboule-tout, s’introduit à nouveau dans l’ordre retrouvé à l’acte 2. 
Vidéo en noir et blanc, surplombant la scène où nos pieds nickelés iconoclastes arrivent d’un pas décidé (et en rythme !) sur la pelouse devant le festpielhaus, boivent les restes de champagne laissés par les spectateurs sur les tables de cocktail, le Gateau Chocolat en tutu blanc, Vénus en combinaison lamée argent et le petit Oscar qui trouve une échelle pour leur permettre d’entrer dans le saint des saints par une fenêtre restée ouverte. Grimpette puis accrochage à la balustrade de la banderolle « ""Frei im Wollen, frei im Thun, frei im Genießen"» qu’on peut lire tandis que le rideau se lève à nouveau sur la scène « de théâtre » et que les invités chantent « "Freudig begrüssen wir edle Halle".

On suit quand même toujours les périples de nos trois insurgés au dessus de la scène sur un demi-écran, en noir et blanc. Assez impressionnant procédé qui ne cesse de « tromper » ce qui se joue -en faux- sur scène par une réalité insolente des coulisses. Trompe l’œil permanent, on voit donc sur écran en noir et blanc, Vénus réussir à neutraliser une choriste aux toilettes pour prendre sa place et arriver, en chair et en os et en couleur, sur la scène pour tenter de se fondre dans la foule costumée tandis que le Landgrave (magnifique Stephen Mills) se prépare à donner les règles de la joute lyrique confiée aux chanteurs : Könnt ihr der Liebe Wesen mir ergründen? (quelle est la nature de l’amour).
Vénus, déguisée, est dans la salle, attentive…

Tiré au sort, c’est Wolfram et son beau chant vantant l’amour pur qui débute la joute. Un très belle jeune fille l’accompagne à la harpe sur l’estrade réservée à la joute. J’en profite pour dire là que, si Markus Eiche a une grande maitrise du rôle, je le trouve insuffisamment lyrique, trop peu « chanteur de Lied » pour ce rôle. Il nous manque quelques notes longuement tenues au lieu d’un chant parfois un peu haché.
On le sait, Tannhauser qui succède à Wolfram, va vanter, lui, l’amour sensuel provoquant la colère de Biterolf et de Walther soutenant le point de vue de Wolfram tandis qu’en coulisse Oscar et le Gateau Chocolat se cherchent des déguisements après être passés regarder la galerie de portraits dont celui de Thielemann, le directeur musical du festival…

La joute oppose de plus en plus violemment les protagonistes. Tannhauser jette Walther du haut de l’estrade et le blesse. Epoustouflante prestation de Stephen Gould durant tout cet acte 2 qui le voit vocalement particulièrement à l’aise et admirable jusqu’au final où il revendique d’avoir passé toute son absence avec Vénus à Venusberg et qui voit avec l’étrange musique de Wagner, l’incursion officielle des rebelles au milieu de la scène repoussé par la foule des chevaliers (le Gateau Chocolat en tutu jaune vif jette un éclat de lumière incroyable dans la salle sombre). 
Grand moment tandis qu’Elisabeth toujours aimante, intercède en la faveur d’un Tannhauser retourné à l’état « sauvage ». Pendant le chant d’Elisabeth (tout en nuances sur la dernière partie, un peu strident dans la première), Vénus et ses deux compères franchissent une ligne blanche « sortant » de la scène. Tannhauser hésite puis les rejoint, heureux. 
C’est alors qu’on voit en vidéo, Katarina Wagner (directrice du festival) appeler la police à la rescousse. Les policiers regardent longuement la banderole rebelle avant de donner l’assaut au batiment. Incroyable scène quand les rideaux se déchirent sur leur irruption tandique le Landgrave annonce la sentence contre Tannhauser condamné à aller à Rome en pèlerin pour se faire pardonner. Scène d’une force inouie qui conclut magnifiquement l’acte 2, sans doute le meilleur ce soir-là à Bayreuth. Tannhauser accepte sa pénitence malgré les tentatives de Vénus de le détourner… sur le « Nach Rome » (A Rome), Vénus s’assoit désespérée tandis que le Gateau chocolat toujours aussi lumineux, jette le drapeau arc-en-ciel de la fierté gay sur la harpe.

L’acte 3 nous conduit dans une sorte de terrain vague jonché d’ordures. Le camion citroen est tout déglingué et Oscar a froid. Il a désossé son tambour fétiche pour en faire une gamelle où il cuisine sur un réchaud de fortune et semble fort désemparé tandis que l’orchestre commence le fameux thème des Pélerins de Rome (qui introduit également l’ouverture de l’opéra). Arrive Elisabeth en robe de princesse moyennageuse mais elle est pieds-nus et se laisse convaincre par Oscar de partager sa pitance, assises par terre à ses côtés. Arrive Wolfram qui lui chante son "Wohl wusst' ich hier sie im Gebet zu finden", et si je suis davantage convaincue par la prestation très subtile et très fine de Eiche (sans atteindre l’exceptionnel) dans sa quête pour rassurer Elisabeth qui attend comme lui, le retour des pélerins de Rome.
Chœurs dans le lointain, commençant hors scène et annonçant l’arrivée des pélerins, absolument sublimes en revanche. Magnifique crescendo et formidable accompagnement de l’orchestre (c’est Wagner qui est extraordinaire mais là, Gergiev met un peu de nerf dans sa direction assez molle sinon). Les pélerins sont, sans surprise dans le contexte de la mise en scène, des pauvres dépenaillés et miséreux qui s’éloignent après leur « Halleluja in Ewigkeit ». 
Très beau « Allmächt'ge Jungfrau! Hör mein Flehen" de l’Elisabeth de Lise Davidsen mais là aussi, cela reste encore un peu timide et manque de conviction (léger vibrato persistant qui donne l’impression que la voix tremble), malgré la beauté et la pureté du timbre. 

Torturée par l’attente, Elizabeth ote sa longue robe qu’elle accroche à un arbre mort, pour rester en courte combinaison blanche, devant le regard abasourdi d’Oscar et tandis que Wolfram entre dans le camion, y trouve la veste de clown et la revet puis met la perruque rousse et le chapeau haut de forme. Sur les dernières notes de cette première scène, toutes orchestrales et douces, il se laisse entrainer par Elisabeth et fait l’amour avec elle tout en concluant, désespéré par son plus bel air « "Wie Todesahnung Dämmrung deckt die Lande… O du mein holder Abendstern», superbe hymne d’une tristesse infinie à l’étoile du soir (Romance à l’étoile), air accompagé par harpe et violoncelle. Le décor tourne pour dévoiler une immense publicité du « Gateau Chocolat » (récupération des idéaux par la société de consommation) tandis qu’arrive enfin Tannhauser, cheveux longs, sale et misérable qui va entamer le fameux Romerzählung ou « récit de Rome », air emblématique des Heldentenors où Tannhauser désespéré, raconte comment le Pape lui a refusé son pardon. Très bel échange entre Wolfram et Tannhauser juste avant le récit vif et emporté, avant le superbe monologue, là aussi le plus bel air du héros. On sent malgré tout une certaine fatigue de Stephen Gould sans qu’il démérite dans cet air qu’on a entendu mieux chanté (y compris par lui à Bastille il y a une petite dizaine d’années). Mais les nuances y sont comme l’expression du désespoir et de l’incompréhension, voire de la colère. Le timbre manque parfois d’homogéneité mais ce n’est que furtif.
Wolfram et Tannhäuser se mettent à déchirer les pages d’une énorme partition de Wagner, avant d’allumer un feu. Tannhauser désespéré veut retourner à Venusberg et provoque l’apparition de Vénus, en colleuse de l’affiche des slogans révolutionnaires de Wagner qui lui chante alors "Willkommen, ungetreuer Mann!" (Elena Zhidkova toujours pleine d’énergie). Tannhauser est partagé, supplié par Wolfram de ne pas abandonner Elisabeth tandis que Vénus chante « zur mir » ! en vain. Et c’est en répétant ce nom « magique » «Elisabeth » que Tannhauser se libère de Vénus tandis que le chœur annonce le pardon du Pape et que Tannhauser découvre le cadavre de sa bien-aimée. Et c’est sur la reprise du thème des pélerins, que l’histoire s’achève par la mort de Tannhauser touché par la grâce. ( "Der Gnade Heil ist dem Büsser beschieden, er geht nun ein in der Seligen Frieden!").
Valery Gergiev, assez en retrait durant l’ensemble de la représentation, nous donne un final émouvant et grandiose, enfin…

Cette mise en scène, sans être totalement convaincante, m’a finalement plutôt donné envie d’en explorer les dessous et les intentions avec minutie. Il faut parfois approfondir un sujet (en connaissant bien l’œuvre) pour « pénétrer » le parti pris du metteur en scène.
Une chose est sûre : le travail de Tobias Kratzer est sérieux et créatif et de ceux qu’il faut avoir vu plusieurs fois pour en estimer la portée à sa juste valeur.
Je n’ai eu l’occasion, ces dernières années, de ne voir que des mises en scène de Tannhauser très « décalées » : celle de Carsen à Paris Bastille (avec Stephen Gould, Sophie Koch et Nina Stemme), celle de Harms à Berlin (avec Andreas Schager et Emma Bell qui chantait Vénus et Elisabeth), celle de Castelucci à Munich (avec Klaus Florian Vogt, Elena Pankratova et Anja Harteros). C’étaient toutes des mises en scène de très grande qualité. Celle de Kratzer entre dans la série sans problème.

Revoir la Première à Bayreuth, le 25 juillet 2019, par ce lien
https://www.3sat.de/kultur/festspielsommer/bayreuther-festspiele-2019-100.html



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