Benvenuto Cellini à Versailles : le Berlioz magnifique de John Eliot Gardiner

Benvenuto Cellini

Hector Berlioz

Opéra-comique en deux actes et quatre tableaux sur un livret de Léon de Wailly et Auguste Barbier, créé en 1838 à Paris.

Opéra de Versailles, dimanche 8 septembre
Version concert mise en espace.
Concert donné dans le "Palais de marbre rehaussé d'or", décor conçu par Ciceri dans lequel Berlioz lui-même dirigea un concert à l'Opéra Royal le dimanche 29 octobre 1848.

Benvenuto Cellini - Michael Spyres
Teresa - Sophia Burgos
Balducci - Maurizio Muraro
Pope Clement VII - Tareq Nazmi
Francesco - Vincent Delhoume
Fieramosca - Lionel Lhote
Ascanio - Adèle Charvet
Bernardino - Ashley Riches

Monteverdi Choir
Orchestre Révolutionnaire et Romantique
Direction musicale : Sir John Eliot Gardiner
Mise en espaceNoa Naamat
Lumières : Rick Fischer
Costumes : Sarah Denise Cordery

Benvenuto Cellini est une œuvre maudite, qui connut un échec retentissant lors de sa création. Composée par un Berlioz souvent mal-aimé à son époque, à partir des mémoires du célèbre dessinateur, sculpteur, fondeur, orfèvre et écrivain de la Renaissance italienne, elle est un peu la rencontre de deux génies incompris. 
Quand John Eliot Gardiner dirige Berlioz, il fait redécouvrir l'oeuvre tant son imagination musicale au service d'un compositeur qu'il vénère, est sans limite. Son orchestre révolutionnaire et romantique étincèle de mille couleurs chatoyantes, les cordes répondent aux cuivres, il parvient à littéralement éteindre les instruments avant de les faire vibrer en fanfare, c'est tout simplement du jamais entendu à ce point dans cette oeuvre rendu alors passionnante à chaque mesure, à chaque détour, à chaque minute durant ces presque trois heures dans l'écrin fort joli de l'opéra royal de Versailles. 
Son Monteverdi Chor mériterait également à lui seul le détour, les choristes sont tout autant acteurs que chanteurs (et quels chanteurs !) sans cesse en mouvement, interprétant l’air des ciseleurs triomphant comme le chœur des matelots mélancoliques avec autant de bonheur et de subtilité, alors accompagnés de deux guitares sèches, appuyées doucement par les cordes caressées des violons.
L'ouverture est jouée debout puis les musiciens et le maestro s'assoient ménageant au sein même de l'orchestre une sorte de corridor par où entreront et sortiront les solistes et parfois mêmes quelques éléments échappés des choeurs dont le terrain de jeu sera essentiellement l'arrière de l'orchestre devant le superbe décor d'époque en trompe l'oeil.
Chaque introduction orchestrale des quatre tableaux verra à nouveau briller l’orchestre seul dans toute sa magnificience avec ses beaux contrastes.
Et Berlioz révèle alors tous ses aspects, ses pièges, son incroyable modernité, sa grandeur orchestrale.
Impossible d'énumérer toutes les idées contenues et magnifiquement exécutées par orchestre, choeurs et solistes dans ce qui est une véritable mise en scène au milieu des instrumentistes, qui fait vivre l'opéra sans doute bien mieux que de nombreuses réalisations en principe plus sophistiquées. Avec quelques accessoires, des déguisements sommaires et beaucoup de mouvements réglés comme pour un ballet, un jeu de lumière impressionnant, l'histoire vit devant nos yeux, teintée d'énormément d'humour et d'une dose de dérision sympathique qui nous a permis de passer une après-midi d'exception et, en ce qui me concerne, une rentrée lyrique bien agréable.
Chœur et orchestre dominent donc par leurs qualités et leur complicité perceptibles en permanence dans une œuvre qui ne peut briller sans ces deux conditions réunies.


Restent les solistes, sans doute un petit cran en dessous mais qui assurent leurs parties avec talent et précision.
Restent les solistes, sans doute un petit cran en dessous mais qui assurent leurs parties avec talent et précision.
Michael Spyres est un beau Cellini, d'une grande intelligence musicale au chant subtil et agréable à la diction impeccable, mais qui a eu un peu de mal sur la fin du rôle. Le timbre est beau, la voix, ferme et assurée et l’engagement scénique parfait, mais son problème avec les aigus se confirme malheureusement, ceux-ci se rétrécissant systématiquement et mettant finalement le ténor en difficulté dans son grand air « sur les monts les plus sauvages ». Spyres nous a donné une très belle prestation générale mais un peu gâchée par ce final peu maitrisé qui a semblé le désoler lui-même aux saluts, malgré les gestes de réconfort de ses collègues (je reste davantage convaincue par le Cellini d'Osborn, plus impressionnant sur l'ensemble du rôle à mon avis).


Grosse suprise par contre de la qualité de chanteur et d’acteur du baryton Lionel Lhote que je n’avais jamais entendu : une faconde, une aisance, un culot et un humour dépassant tous ceux que j’avais déjà vu dans ce rôle de Fieramosca, fortement applaudi d’ailleurs lors de son numéro d’escrime, (Ah qui pourrait me résister) littéralement époustouflant. Très belle voix d’une projection insolente qui dominait souvent les ensembles.
J’ai beaucoup aimé également l’Ascanio coquin et délicieux d’Adèle Charvet, une jeune mezzo au talent insolent, qui s’est promenée dans son rôle avec un « mais qu’ai-je donc » magnifiquement chanté et interprété et un très beau duo avec la Teresa un peu moins brillante mais globalement joliment chantante de la belle Sophia Burgos. Cette dernière était à son aise dans l’acoustique flatteuse de l’opéra royal mais la voix est un peu petite et probablement un peu « juste » pour un espace plus grand. Son investissement, son jeu et de très beaux moments, en font une Teresa tout à fait agréable cependant.

Tareq Nazmi campe un Pape Clément étonnant, drôle et franchement décalé et a été l’une des grandes figures de ce Benvenuto Cellini avec Lhote et Charvet. Voix grave et magnifique qui ne perd jamais son petit grain de folie, Nazmi joue en permanence de son personnage avec humour et fait mouche à chacune de ses interventions, provoquant un tonnerre d’applaudissements, rare pour le rôle, lors des saluts. Diction française parfaite là aussi. Nous l’avions déjà vu et remarqué à Munich dans Fidelio en Don Fernando. Il confirme un très grand talent à suivre de près.

J’ai déjà vu plusieurs fois le Giacomo Balducci de Maurizio Muraro. Il possède bien le rôle mais la voix accuse un vibrato parfois un peu envahissant. Bel investissement scénique pour lui aussi.
Très bons rôles secondaires avec Vincent Delhoume en Francesco, Ashley Riches en Bernardino et Duncan Meadows en Perseus.
La représentation était filmée et enregistrée et devrait être diffusée sur Mezzo TV. A suivre et … à voir !

La même représentation a déjà été donnée à La Côte-Saint-André au festival Berlioz, à la Philharmonie de Berlin, au PROMS de Londres.
Le concert des PROMS est toujours disponible à la réécoute par ce lien

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