L'équipe du Mariinski et son maestro Gergiev nous offre un Iolanta magistral à la Philharmonie de Paris

Iolanta 



Piotr Tchaïkovski
Opéra en un acte

Philharmonie de Paris - Samedi 21 septembre 2019

Irina Churilova | Iolanta
Najhmiddin Mavlyanov | Vaudémont
Alexeï Markov | Robert
Stanislav Trifomov | René
Evgeny Nikitin | Ibn-Hakia
Yuri Vorobiev | Bertrand
Andrei Zorin | Alméric
Natalia Evstafieva | Martha
Kira Loginova | Brigitta
Ekaterina Sergeeva | Laura

Chœur du Théâtre Mariinski
Marina Mishuk | Chef de chant
Andrei Petrenko | Chef de chœur
Orchestre du Théâtre Mariinsky
Valery Gergiev | Chef d'orchestre

Sur un livret de Modeste Tchaikovski, Iolanta a été créé en décembre 1892 au Mariinski de Saint-Pétersbourg. Ce fut le dernier opéra de Tchaikovski mort en 1893.
Opéra en un acte, il a été composé en même temps que le ballet Casse-noisette et inspiré à Piotr Tchaikovski par la pièce « le Roi René » du dramatuge danois Henrik Hertz qu’il avait vue cette années-là.
C’est une œuvre courte qui comporte surtout de superbes mélodies proposées d’ailleurs à toutes les tessitures, avec un très bel « ensemble » masculin de basse, de baryton et de ténor, des ensembles (de jeunes filles notamment), des chœurs et des parties purement orchestrales qui vont de la douceur des cordes à la violence des cuivres alternant en contrastes musicaux saisissants.
Comme souvent dans les opéras de Tchaikovski on commence d’ailleurs très doucement pour voir progressivement l’orchestre enfler et se transformer sous nos yeux. Beaucoup de solistes instrumentistes sont régulièrement sollicités, flûte, harpe, trompettes, cor etc…annonçant les personnages et les situations.
Sans être le meilleur opéra de Tchaikovski, c’est une très belle illustration de son talent.
Iolanta est évidemment magnifiquement servie par la troupe du Mariinski sous la baguette de son chef Valery Gergiev. Avec son orchestre et ses magnifiques chanteurs, le chef russe est parfaitement dans son élément et personne ne dirige Iolanta avec autant de ferveur et de justesse.

Dans les opéras de Bel canto il est coutume de s’extasier des contre-notes en suraigu des ténors et sopranos, mais là, il faut en plus saluer les notes en dessous de la portée des graves profondes.
Après un superbe air de Iolanta où la soprano Irina Churilova donne à voir tout à la fois la douceur d’un timbre angélique et les aspects corsés d’un médium très riche en harmoniques, et envoie quelques aigus tout en douceur mais très bien timbrés, et les chœurs magnifiques du Mariinsky, arrive l’air du roi René où la basse Stanislav Trifomov se joue de tous ces graves abyssaux avec classe et reçoit à juste titre la première ovation du public. Outre la prouesse technique, c’est superbement interprété. Comme Evgeny Nikitin en Ibn-Hakia, est en superbe forme vocale (bien loin de son difficile Wotan de l’an dernier), leurs échanges sont extraordinairement bien chantés et touchants. La montée d’intensité de leurs airs respectifs est tout simplement bluffante de vérité. 
Notons une attention remarquable de l’orchestre à leur égard avec des nuances reprises à l’unisson. Cette fanfare de cuivres ponctuant les dernières paroles est, par exemple, en crescendo puis finissant en pianissimo, est d’une grande puissance évocatrice de l’infinie torture intérieure du personnage.
Comme toujours avec le Mariinsky, les artistes se livrent à un minimum de mise en espace, et jouent leurs rôles, chantant sans partition et se déplaçant sur les marches du haut de l’estrade à gauche.
Arrivent l’excellent baryton Alexeï Markov en Robert de Bourgogne et l’étonnant (mais inconnu pour moi) ténor Najhmiddin Mavlyanov en Vaudémont avec leur jeunesse et leur fougue. Le timbre du baryton est d’une beauté impressionnante, là encore tout comme la projection magnifique et sans le moindre effort envahit tout l’espace de la Philharmonique. Sa jeunesse et sa fougue se transmettent immédiatement au public complètement conquis.
Le ténor fait preuve d’une vaillance sans faille, même si la voix est un peu moins « assurée » au moins au début que celle du baryton, rendant justice à une partition très tendue et où il doit donner la réplique à un baryton au timbre particulièrement corsé.
Le contraste entre leurs deux voix est du plus bel effet et leur élan est tout simplement magnifique traduisant parfaitement une solide amitié. On est presque tenté de danser sur leurs airs qui ont la vivacité d’une valse. Les notes sont longuement tenues et la richesse de leurs timbres est un véritable plaisir des oreilles.
L'aria de Robert, très bel air au demeurant, voit Markov à son zénith dans cette œuvre qu’il maitrise parfaitement.
La rencontre entre Vaudémont et Iolanta est elle aussi de très grande beauté et on est profondément touchés par leurs échanges et le malentendu qui s’installe avant que Vaudémont ne comprenne la situation.
Au fur et à mesure d’ailleurs, le ténor monte en puissance, terminant dans les ensembles de la dernière partie, avec une belle assurance et une ligne de chant superbe.
Soulignons aussi la belle prestation de Yuri Vorobiev en Bertrand, toute en nuances et celle de Natalia Evstafieva en Martha, voix superbe là aussi tout comme les « amies » de Iolanta, Kira Loginova en Brigitta et Ekaterina Sergeeva en Laura. Ma seule réserve concernera le ténor Andrei Zorin qui en Alméric, nous offre dès le début un fort vibrato pas très élégant.
Le final est tout simplement éblouissant avec ces chants en canon de tous les protagonistes, avec chœurs et orchestre, y compris un pianissimo sublime précédant le forte terminal (et l’ovation du public).

Ajoutons que l’acoustique de la Philharmonie est valorisée par une disposition finement étudiée et très astucieuse des chanteurs et des chœurs, (et des instruments de l’orchestre, les cuivres étant à l’opposé des solistes par exemple), qui fait que du haut du deuxième balcon, on entend parfaitement bien tout le monde.

Belle version concert d’un bel opéra avec le talent habituel de l’équipe du Mariinsky. Ils reviennent quand ils veulent dans le répertoire russe qui est le leur, et avec lequel aujourd’hui, aucune formation ne peut rivaliser.


Retransmission disponible sur Medici TV

Les grands airs de Iolanta :
Arioso de Iolanta : « Отчего это прежде не знала » (« Pourquoi n'ai-je pas souffert autrefois ? »)
Arioso du roi René : « Господь мой, если грешен я » (« Seigneur, si j'ai péché »)
Monologue de Ibn-Hakia : (« Два мира » (« Il y a deux mondes »)
Air de Robert : « Кто может сравниться с Матильдой моей » (« Qui peut égaler ma Mathilde ? »)
Romance de Vaudémont : « Нет! Чары ласк красы мятежной » (« Non ! Les charmes de la beauté agitée ne me disent rien »)
Duo de Iolanta et Vaudémont : « Чудный первенец творенья » (« Je ne comprends pas ton silence »)

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