Les Puritains de Bellini à Bastille : un soleil noir transcendé par l'Arturo magnifique de Javier Camarena

I Puritani

Vincenzo Bellini


Opéra en trois actes
Création en 1835
Livret de Carlo Pepoli, basé sur un drame historique de Jacques-François Ancelot et Joseph Xavier Boniface (Saintine), Têtes rondes et Cavaliers.

Direction musicale : Riccardo Frizza
Mise en scène : Laurent Pelly
Costumes : Laurent Pelly
Chef des Choeurs : José Luis Basso
Décors : Chantal Thomas
Lumières : Joël Adam

Elvira : Elsa Dreisig
Lord Gualtiero Valton : Luc Bertin-Hugault
Sir Giorgio : Nicolas Testé
Lord Arturo Talbot : Javier Camarena 
Sir Riccardo Forth : Igor Golovatenko
Sir Bruno Roberton : Jean-François Marras
Enrichetta di Francia : Gemma Ní Bhriain

Séance du 13 septembre opéra Bastille

Vincenzo Bellini est mort à 33 ans, l’année des Puritani, et ce que je tiens pour l’un des plus beaux opéras du XIXème siècle, aura donc été sa dernière œuvre. Il aura fallu neuf mois pourtant au compositeur de génie pour la gestation de ce dernier opéra, remanié pour cause de longueurs, retaillé en trois actes pour remplacer les deux actes initiaux et bénéficiant d’une « version » dite Malibran, un peu différente quant aux tessitures des rôles pricipaux.
Mélodiste exceptionnel, ménageant des airs magnifiques à tous ses solistes et quelques superbes ensembles, Bellini sait aussi donner à son œuvre une force dramatique au travers d’une orchestration limpide et simple mais efficace et surtout dans le rôle central donné aux chœurs qui se ménagent quelques très grands moments, très forts musicalement.
La mise en scène de Laurent Pelly que nous pouvons revoir en ce moment à l’Opéra de Paris Bastille, ne m’avait pas vraiment convaincue lors de sa création en 2013 : je la trouvais trop simpliste, un peu morne, « perdant » les chanteurs dans l’immensité d’un plateau souvent à nu. 
Curieusement pour cette reprise, j’ai été, à l’inverse, bouleversée par l’intelligence théâtrale et artistique de Pelly et réconcilée avec ce que j’avais considéré comme l’un de ses échecs. Je pense tout simplement, que cette mise en scène avait besoin d’artistes plus en phase les uns avec les autres et à qui la difficile acoustique de Bastille, ne pose aucun problème. Ce qui n’était pas le cas de la première distribution très sous-dimensionnée et souvent inaudible ou dont les voix se perdaient littéralement.
Le travail fait cette fois, est dans tous les cas une réussite. Les décors s’avèrent alors parfaitement fonctionnels, avec cette armature métallique et sombre représentant la forteresse de Plymouth où au mitan du XVIIème siècle, Lord Gualtiero Valton, partisan de Cromwell, s’apprête à marier sa fille Elvira à Arturo Talbot, royaliste partisan du roi, Charles 1erStuart qui vient d’être exécuté. Escaliers, chambre d’Elivra, balcons et terrasses diverses, immensité du lieu, l’inspiration de Pelly puise directement dans les représentations de la première production de 1835 dont voici une image.

La « forteresse » tourne pour dévoiler ses différentes facettes tout en restant toujours aérienne et légère, se simplifie, perdant une partie de sa structure aux actes 2 et 3, concentrant l’attention du spectateur sur la chambre ou la grande salle d’armes, disparait même au moment du superbe duo entre Georgio, l’oncle d’Elvira et Riccardo, amoureux de belle promise d’Arturo, rendue folle dès l’acte 2 du fait de la disparition inexpliquée de celui-ci quelques minutes avant les noces.

Le travail sur les chœurs est également d’une grande clarté et réglé presque comme un ballet : ces dames semblent glisser sur le sol avec leurs longues robes, les soldats entrent ou sortent dans des mouvement millimétrés en phase totale avec la musique très largement valorisée par cette habile chorégraphie. Et jamais sans doute auparavant, n’avais-je ressenti, grâce au jeu lumineux d’Elsa Dreisig, le drame absolu d’Elvira, littéralement broyée par ces intérêts d’état, par la politique alors en œuvre dans cet austère lieu.
Le choix de Pelly d’une mise en scène dépouillée et romantiquement noire, m’a paru alors en adéquation totale avec ce soleil qui ne parvient jamais à briller tout en se devinant sans cesse, que Bellini a si bien illustré dans cette œuvre magistrale.
J’ai lu ici ou là que Riccardo Frizza avait dirigé le tout sans imagination ou de manière terne. Je ne partage pas ce point de vue : le choix du maestro a été de soutenir en permanence ses chanteurs et ses chœurs, sans doute parfois au détriment de l’obsession de certains chefs qui veulent d’abord faire entendre « leur » orchestre, mais les parties orchestrales « nues » qui sont splendides chez Bellini (Ouverture puis introduction des airs et des actes) étaient là pour redonner toutes les subtiles couleurs attendues. Et du coup, les chanteurs ont pu donner tout à la fois beau chant et nuances, virtuosité et romantisme, sans avoir à se préoccuper d’être couverts malgré un décor peu favorable et une acoustique pas toujours idéale.

La palme du chant revient au magnifique Arturo de Javier Camarena qui dès son « A te, o cara » de l’acte 1, donne une véritable leçon de chant belcantiste tout en offrant la beauté d’un timbre solaire et rayonnant : chaque inflexion est travaillée, chaque vocalise précise, les couleurs de la voix changent pour exprimer les sentiments avec une infinie subtilité, bref, Camarena vocalise dans une pyrotechnie impressionnante sans jamais oublier qu’il est à l’opéra et incarne un rôle. C’est sans doute actuellement le meilleur ténor dans ce répertoire et, si je puis dire, le festival des beautés de son art, s’est poursuivi et amplifié au cours de la soirée, créant tout à la fois le silence où l’on retient son souflle des grands soirs et l’explosion des applaudissements et hurlements qui manifeste le plaisir d’entendre du si beau chant, éveillant tous les sens.
Et l’acte 3 qui contient les plus grands airs de virtuose demandé au ténor, le voit littéralement se surpasser dans un véritable feu d’artifice des sens. Cela laisse bouche bée. Le Corre a valle, corre a monte arrache des larmes, le duo Vieni fra queste braccia avec Elvira provoque une longue ovation alors que fusent les demandes « encore » que Camarena hésite un peu à satisfaire avant de renoncer, sa partenaire étant moins agile que lui au jeu belcantiste et enfin le Credeasi, misera sans contre-fa (bien inutile au demeurant) mais avec deux splendides contre-ré que peu de ténors réussisent avec autant de naturel et de flamme tout à la fois.
Rien que pour lui il faudrait ne pas rater ces Puritani.
Elsa Dreisig a d’autres talents et notamment celui d'actrice : ce n’est pas une soprano rompue aux virtuoses et aux acrobaties vocales du Bel Canto et si elle réussit quelques vocalises (malgré de petites erreurs de reprise de souffle) et quelques aigus claironnants (qu’on sent quand même moins assurés que ceux de son partenaire), ce n’est pas dans la technique vocale pyrotechnique qu’il faut l’attendre (et c’est un peu dommage mais bon…). Par contre la voix est belle, ronde, homogène, sans le moindre vibrato, chaude et vivante, avec énormément de sentiments exprimés dans les couleurs du timbre et une présence scénique jeune et fraiche qui fait mouche auprès du public à juste titre.
Une belle Elvira malgré les réserves ci-dessus, bien soutenue par ses partenaires et dont la jeune carrière est à suivre assurément au vu de son parcours actuel. Elle joue sur scène comme elle respire. Avec un naturel confondant.
L’un des plus beaux moments de l’opéra est le fameux duo des « clés de fa », entre Georgio et Riccardo à la fin de l’acte 2, morceau de choix, absolument magnifique que Bellini a rajouté en remaniant son opéra, Suoni la tromba, e intrepido
Lors de la création de cette production en 2013, ce duo avait été franchement raté par les protagonistes de l’époque. Là c’est un festival d’émotions, notes superbes, élan réciproque entre les deux chanteurs,  montée de la tension dramatique, bref un final si émouvant qu’il a lui aussi provoqué une solide et longue ovation du public. D’une manière générale, il faut saluer le Georgio très humain de Nicolas Testé tout comme le Riccardo décidée et vindicatif de Igor Golovatenko, qui ne sont pas non plus de grands belcantistes mais savent nous donner du très beau chant tout en incarnant des personnages dont l’épaisseur psychologique est au rendez-vous.
Logique et juste d'évoquer les grandes gloires du passé qui se sont illustrés si brillamment dans ces belles pages musicales (voir une des référence CD donnée ci-dessous) mais un ténor comme Camarena se hisse sans peine au même niveau ! Qu'on se le dise !

Si on ajoute le splendide Lord Gualtiero Valton de Luc Bertin-Hugault, timbre magnifique et belle présence scénique et la courte mais belle intervention de Jean-François Marras en Sir Bruno Roberton, on comprend que l’ensemble du plateau (chœurs compris) sert l’œuvre avec intelligence et talent. Mes plus sérieuses réserves iront à l’Enrichetta di Francia de Gemma Ní Bhriain dont le timbre mat est souvent inaudible mais le rôle est anecdotique.
Beaucoup de critiques ont été formulée à l’enconte de la technique insuffisante d’Elsa Dreisig. C’est sans doute vrai mais ce n’est pas l’essentiel à mon goût. L’essentiel de ma soirée réussie, a résidé dans cette alchimie gagnante des artistes entre eux, portés par l’excellence du meilleur ténor belcantiste actuel et par la profonde compréhension collective du sens de leurs rôles. Ils sont su transmettre tout cela au public. Bravo.


Petit plus, le duo Camarena/Pretty Yende, acte 3, bissé à l’opéra de Barcelone l’an dernier

Références au CD

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