L'inondation de Filidei et Pommerat, création mondiale à l'Opéra Comique

L'inondation  

Musique de Francesco Filidei
Livret de Joël Pommerat

Opéra en deux actes, inspiré du court roman "L'inondation" d'Evgueni Zamiatine, publié en 1929.

Commande de l'Opéra Comique avec l'aide à l'écriture du Ministère de la Culture.
Création mondiale à l'Opéra Comique, 27 septembre 2019.

Direction musicale Emilio Pomárico 
Mise en scène Joël Pommerat 
Décors et lumières Eric Soyer 
Costumes, maquillages, perruques Isabelle Deffin 
Vidéo Renaud Rubiano 
Assistant musical Leonhard Garms 
Collaborateur artistique Philippe Carbonneaux 
Assistante décors Marie Hervé 
Chef de chant Thomas Palmer

La Femme Chloé Briot 
L’Homme Boris Grappe 
La Jeune Fille Norma Nahoun 
La Jeune Fille Cypriane Gardin 
Le Voisin Enguerrand de Hys 
La Voisine Yael Raanan-Vandor 
Le Narrateur, le Policier Guilhem Terrail 
Le Médecin Vincent Le Texier 

Enfants Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique 
Orchestre Philharmonique de Radio France 

Nouvelle production Opéra Comique 
Coproduction Angers Nantes Opéra, Opéra de Rennes, Théâtre de la Ville de Luxembourg, Théâtre de Caen, Opéra de Limoges
Opéra de Rennes 15, 16, 18 janvier 2020
Angers Nantes Opéra 29, 30 janvier, 1er et 2 février 2020


Première mondiale du 27 septembre  
L’Opéra Comique a une forte tradition de « créations » puisqu’il en annonce fièrement 3000 en 300 ans d’existence, belle performance s’il en est ! A l’Inondation, opéra en deux actes de Francesco Filidei et Joël Pommerat, succèdera en mars prochain « Macbeth underworld » de Pascal Dusapin co-produit par la Monnaie et l’Opéra Comique. 
Une première mondiale est toujours un événement dans le monde de la création, du spectacle vivant et singulièrement du genre le plus complexe, l’opéra.

Pour la première fois Joël Pommerat a écrit un livret complet d’opéra à partir d’un récit littéraire. Le compositeur Francesco Filidei en est, quant à lui, à son deuxième opéra mais sa collaboration avec Pommerat est également une nouveauté. 
L’écriture s’est faite en collaboration avec des chanteurs, l’orchestration a suivi et l’ensemble a été enregistré une première fois avant la réalisation finale que nous avons pu voir hier soir dans la belle salle Favart, très largement remplie notamment d’un public plus jeune, intéressé manifestement aux nouvelles formes de l’art lyrique et qui a réservé un excellent accueil à l’œuvre et à sa réalisation.
Pommerat s’est attaché à suivre de très près le roman dont on reconnaitra l’histoire bien sûr, mais aussi le style et le sens. 
Il choisit cependant de placer au début de l’opéra, la scène « fatale » du roman, celle du meurtre de la jeune fille par la femme sans enfants, puis de remonter le temps pour décrire minutieusement, ce qui, dans la vie morose et ordinaire de ce couple ouvrier, a conduit au drame. Pommerat transpose également cette histoire contemporaine de Zamiatine, qui se déroule donc sous l’ère stalinienne ce qui conduit à quelques modifications très secondaires concernant le cadre social et politique de l’histoire.
Pommerat, auteur et metteur en scène de l’Inondation, est coutumier des décors minimaux, hautement symboliques. Pour cette création, il adopte à l’inverse, un décor très explicite et très réaliste, celui d’un immeuble de trois niveaux, vu en coupe, avec deux appartements, au rez-de-chaussée et au premier, et un deuxième étage comprenant tout à la fois le studio du « narrateur » et l’appartement initial de la jeune fille, celui qu’elle occupe avant la mort de son père.
Les deux appartements sont occupés par les deux familles au centre de l’histoire : le couple sans enfant qui adopte l’adolescente et leurs amis et voisins, dotés, eux de trois bambins dont un bébé. La similitude entre la configuration des logements et la banalité de leur décoration, n’est finalement symbolisée que par le lit d’enfant de la chambre du premier. LA différence qui fait du couple d’en bas, celui « qui ne va pas bien » alors qu’en haut, les enfants occupent l’essentiel de l’intérêt de l’homme comme de la femme.
Les hommes sont ouvriers à la « centrale » qui perd ses emplois et risque à chaque instant, de fermer ses portes. Les femmes sont à la maison, font la vaisselle, le repassage, la cuisine ou ramènent les courses.
Décor on ne peut plus explicite donc, histoire d’une clarté et d’une limpidité totale également puisque Pommerat rajoute le personnage du narrateur, qui est aussi « l’homme qui travaillait à la police ». 
La première scène, celle du meurtre, est très courte. Elle reprendra à l’identique et à sa place lors de l’acte 2 mais avec davantage de détails. Ensuite le narrateur fait la liaison pour le retour en arrière, présentant le cadre à la manière du roman de Zamiatine : « Sur une île, presque une île, séparée du continent par un fleuve, mais reliée par un pont, vivait une femme aimant un homme, aimée de lui, mais sans enfant. »
Cette lenteur, langueur, des mots qui se répètent souvent, se chantent presque comme une psalmodie, évoque le temps qui passe de manière si monotone et si mélancolique, jusqu’au moment où le couple recueille d’adolescente et où le couple s’en trouve totalement bouleversé. Les mots se heurtent alors comme les personnages enfermés dans leurs destins, telle la mouche dans son bocal, de la découverte de l’adultère jusqu’à la fameuse « inondation » où le fleuve monte et envahit le logement du bas (vidéo très impressionnante), tout le monde se réfugie en haut et l’homme et la femme retrouvent leurs relations « chez les Voisins ». La scène fatale intervient trois mois plus tard, quand le couple retrouve son appartement du bas et que la femme comprend alors que tout va recommencer. La haine silencieuse et tranquille, calme et déterminée, conduit au meurtre.
Le souvenir la hantera et lui fera perdre la raison, alors qu’elle enfante enfin…
Conte cruel, implacable et désolé, l’Inondation est musicalement très bien servie par le jeune compositeur Filidei. D’abord par le choix des tessitures des chanteurs, puisque du contre-ténor « narrateur » au baryton « l’homme », l’opéra nous propose à peu près tous les genres, y compris les voix d’enfants.
Même si l’écriture musicale est plutôt celle du « sprechgesang » pour les dialogues, Flidei nous propose plusieurs « arias » de facture plus traditionnelle, et même de beaux monologues comme « ça s’est passé très vite », récit du voisin décrivant la montée des eaux ou « c’est moi qui l’ai tué », celui de la femme racontant son crime, et quelques duos, trios, très impressionnants et très réussis ( tel le « duo » entre la Jeune fille et l’Homme « Il y a, il y a une mouche, elle veut sortir » et « le vent, le vent s’est levé » lors de la scène 8).
Orchestralement, le style de Filidei privilégie les percussions sous toutes leurs formes, y compris un nombre impressionnant d’instruments de bruitage divers, et les cuivres parfois très puissants. S’il n’y a pas d’ouverture, il y a par contre quelques intermèdes musicaux assez courts mais qui participent efficacement de la montée des tensions.

La direction musicale de Emilio Pomárico donne de la vie à une partition complexe, animant merveilleusement l’orchestre philharmonique de radio France, tout à la fois présent dans la fosse et dans les loges d’honneur côté cour et jardin, créant une spatialisation impressionnante qui enveloppe littéralement la scène.
La « Femme » est tout à la fois magnifiquement jouée et chanté par Chloé Briot qui entre dans le personnage, voix monocorde et mélancollique avant de s’animer et de se métamorphoser devant nos yeux. Admirable prestation d’une justesse totale, l’interprète ayant tous les atouts en main pour un exercice difficile, la voix est belle et le timbre homogène et riche. En « Homme » Boris Grappe est également de haut niveau : très à l’aise dans toutes les facettes de ce personnage très typé, sa voix de baryton offre avec celle de la soprano un beau contraste « croisé » avec les voix plus légères et haut perché du Voisin (ténor) et la Voisine (mezzo). La Jeune Fille est « double » dans la mise en scène de Pommerat : quand elle chante, c’est la soprano Norma Nahoun, voix adulte, quand elle joue ou parle c’est Cypriane Gardin, jeune actrice de 14 ans, l’âge du rôle. Le couple de « Voisins » est chanté par Enguerrand de Hys (assez tête à claque et transparent mais c’est son rôle de père parfait et comblé qui veut cela et le ténor s’en tire brillamment) et Yael Raanan-Vandor, très belle mezzo qui en mère de famille inquisiteur, est parfaite.  Le Narrateur et le Policier c’est Guilhem Terrail, très beau contre ténor dont la voix se projette bien et qui sait nous offrir la tension nécessaire au caractère dramatique de son récit.  Vincent Le Texier en Médecin est par contre plus difficilement audible mais c’est le seul pour un plateau vocal plutôt homogène et très complice dans cette aventure. Soulignons aussi l’efficacité exceptionnelle de la direction d’acteurs.
Une œuvre intéressante à découvrir, dont les thèmes assez obsessionnels vous trottent dans la tête un moment après la fin de la représentation et que le public a ovationné.
N’hésitez pas, ces deux heures sans entracte se regardent avec passion, et il faut se féliciter des créations d’opéra quand elles sont de cette qualité (et les encourager).

Article publié pour le site ODB
http://www.odb-opera.com/viewtopic.php?f=6&t=22153


Le roman d'Evgueni Zamiatine est un court récit, sec et percutant, qui commence ainsi :
"Autour de l'île de Vassilevski s'étendait en une vaste mer le monde; là-bas il y avait eu la guerre, puis la révolution. Mais dans la chaufferie de Trofim Ivanytch, la chaudière continuait de vrombir ; le manomètre indiquait toujours neuf atmosphères. Seul le charbon avait changé : avant c'était du Cardiff ; désormais c'était du Donetsk".
Sofia et Trofim sont des gens ordinaires, qui n'ont pas d'enfant. Ils vont en adopter un, ou plutôt une. L'inondation provoquée par la montée de la Neva à Saint-Petersbourg va précipiter les destins. 
Ce tout petit roman d'une soixantaine de pages se lit très vite comme une sorte de concentré de "Crime et châtiment".


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