A se damner ! Le nouveau CD Berlioz/Nelson/Spyres/DiDonato, à se procurer d'urgence !

La damnation de Faust


Hector Berlioz

Direction musicale : John Nelson, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, le Coro Gulbenkian et les petits chanteurs de Strasbourg.

Michael Spyres : Faust
Joyce DiDonato : Marguerite
Nicolas Courjal : Méphisto
Alexandre Duhamel : Brander

CD Warner Classics. Sorti le 22 novembre 2019.

Dès le « Vieil hiver a fait place au printemps », le « ton » est donné : l’orchestre chatoyant de mille nuances, cordes soyeuses et tempo idéal, légèreté des flûtes, continuo soutenu et obsédant des violoncelles, nous sommes dans du très beau Berlioz. Comme personnellement je l’aime et qui rejoint dans sa belle interprétation, l’idéal actuel que constitue les réalisations de John Eliott Gardiner. 
La voix alors très juvénile et splendide de Michael Spyres s’élève avec grâce avant que les chœurs ne prennent le relais avec « Les Bergers jaillissent », ensemble sautillant des danses villageoises. En écho la voix de Spyres devient progressivement plus sombre dans ce dialogue.
Evolution qu’il confirme avec l’air suivant « mais d’un éclat guerrier » tandis que grondent les percussions en roulement de tambour. Spyres amène tout doucement alors à la célèbre marche Hongroise que John Nelson dirige avec une élégance séduisante qui nous change de certaines lourdeurs en la matière.
Saluons à ce stade la qualité de l’orchestre et des chœurs dont on connait l’importance primordiale dans cette œuvre. John Nelson en tire le meilleur, cela chante, cela danse, et la beauté orchestrale de l’œuvre de Berlioz en est magnifiée. On se répond de gauche à droite de l’orchestre, les phrases musicales s’élèvent doucement avant de s’amplifier avec les cuivres d’une justesse impressionnante pour accélérer légèrement le tempo de manière presque imperceptible mais réelle qui donne une impression de montée vers le ciel incroyable. Magnifique.
Le mélancolique « sans regret j’ai quitté » suit ce superbe morceau orchestral, que Spyres négocie avec son talent incomparable qui lui permet de nous proposer un superbe timbre allié avec un sens des nuances et une expressivité touchante. Diction impeccable comme à l’habitude mais sans aucun effet « mécanique » bien au contraire. Spyres exprime ce qu’il chante, il ne fait pas du beau chant « gratuit », le grain de sa voix s’éraille parfois légèrement pour rendre compte de la peine « il faut finir », de la peur « je tremble », avant de s’élargir à nouveau pour finir triomphalement « offre moi le poison qui doit illuminer ou tuer ma raison ».
Et c’est sans doute cette alternance contrastée qui sert si bien l’œuvre de Berlioz qui est la grande réussite de cet enregistrement : pas une once d’ennui au cours de cette véritable épopée dominée par les chœurs et le Faust de Spyres dans cette première partie.
« Aux armes… », avec ce diminuendo divin par exemple, puis Michael Spyres qui reprend « Hélas doux chants… » scandant chaque mot, tout doucement, allongeant la note ensuite, puis amenant sa rencontre avec le Mefistofeles de Nicolas Courjal (O pure émotion) dont on peut apprécier l’engagement mais qui, hélas, à notre goût, fait montre d’une légère instabilité de la voix qui contraste un peu trop fortement avec l’excellence du chant de Spyres, malgré une belle diction et un grand sens des nuances. Dommage.
Et quel bel orchestre à nouveau. Léger, pétillant avant de se « ramasser » pour accompagner les chœurs dans la chanson à boire. Très bon Brander d’Alexandre Duhamel, très à l’aise dans ce style de chant qui valorise cette fameuse « chanson du rat », elle est suivie de la parodie du « Amen » là aussi intelligemment négociée par le chœur.
Nicolas Courjal nous offre avec les chœurs un joli « Dors, dors, heureux » d’une voix moins forcée et plus stable avant le magnifique ballet des Sylphes. Les chœurs sont à nouveau à la fête (et nous aussi) avec le « Jam nox stellata » l’ironique chanson d’étudiants menée tambour battant.
Puis on aborde la troisième partie avec le magistral « tambour et trompettes » par Alexandre Duhamel avant le « Merci doux crépuscule » où il est impossible de ne pas rendre les armes devant l’interprétation de Michael Spyres. A cette étape je me permettrais de savourer la beauté de ce chant comme j’ai savouré il y a quelques années le même air magnifique interprété par Jonas Kaufmann qui est mon « autre « Faust de référence dans Berlioz. Et pouvoir disposer de deux aussi belles incarnations quasi-contemporaines (Kaufmann chante encore cet air dans ses récitals de grand opéra français), c’est quand même un vrai bonheur qu’il faut souligner, les « critiques » étant souvent enclins à aller exclusivement chercher les « grandes voix » dans le passé lyrique.
Les deux ténors n’ont pas le même timbre du tout, mais ils ont la même passion de la transmission d’émotions, la même technique qui sait alléger l’émission et murmurer à notre oreille. 
Spyres excelle à nous séduire tout particulièrement dans cet air mais l’ensemble de son Faust est admirable je le répète.
Et ses capacités de « baryténor » font qu’il négocie les contre-notes aigues en voix pleine et non en « falsetto » comme la plupart des autres ténors et c’est franchement très très beau.
Et nous arrive enfin la très belle Marguerite de Joyce Di Donato. Car le couple vedette est parfait, un excellent Faust seul n’aurait pas suffi à rendre le CD incontournable.
Mais là… quelle grâce, quelle belle diction (surprenante d’ailleurs, j’ai entendu beaucoup de Marguerite y compris francophones, incompréhensibles…), quel timbre moelleux, quelle belle musique des mots. J’adore cette Marguerite de grande classe qu’on adore immédiatement, elle et son roi de Thulé…
Je passe sur les interventions moins convaincantes de Courjal, j’ai dit ce que je pensais de l’instabilité d’une voix un peu forcée et pas très naturelle, pour souligner que tout au long de cette partie, c’est la beauté des premiers duos de Joyce Di Donato et Michael Spyres (et des magnifiques contre-notes de ce dernier).
Et puis Joyce Di Donato nous réserve encore un magnifique « D’amour l’ardente flamme » que personnellement je trouve très abouti et très émouvant juste avant le « Nature immense » de Michael Spyres, on nage dans le bonheur asbolu.
Et quel superbe sens des nuances pour les deux chanteurs qui ont la même manière d’amener délicatement leurs notes, de les tenir ou de les scander, du très grand art conjugué à deux avec l’orchestre et les chœurs.
Tension palpable avec le « Dans mon cœur retentit sa voix désespérée » qui annonce un final dominé (religieusement) par les chœurs avec un égal talent.
Cet enregistrement s’écoute (et se réécoute) avec beaucoup de plaisir. Un plaisir à ne pas bouder en remerciant les artistes merveilleux qui ont permis sa réussite, chœurs et orchestre compris.

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