Christian Gerhaher dans un Wozzek poignant à Munich
Wozzeck
Alban Berg
Sur un livret du compositeur, d'après la pièce Woyzzeck de Georg Buchner.
Création en 1925 à Berlin
Musikalische Leitung : Hartmut Haenchen
Inszenierung : Andreas Kriegenburg
Bühne : Harald B. Thor
Wozzeck : Christian Gerhaher
Tambourmajor : John Daszak
Andres : Kevin Conners
Hauptmann : Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Doktor : Jens Larsen
1. Handwerksbursche : Peter Lobert
2. Handwerksbursche : Boris Prýgl
Der Narr : Ulrich Reß
Marie : Gun-Brit Barkmin
Margret : Heike Grötzinger
Mariens Knabe Solist des Kinderchors Kinderchor
Kinderchor der Bayerischen Staatsoper
[b][u]Séance du 23 novembre[/u][/b]
Troisième soirée de suite dans la salle de l'opéra de Munich dont l'intérieur ressemble à une jolie bonbonnière alors que ce qui se déchaine ensuite sur scène, représente en général un violent contraste.
Sans le faire exprès, attirée par les oeuvres évidemment mais aussi par les distributions (deux prises de rôles, celle de Mattila en Otrud et celle de Kaufmann en Paul), je ne me suis rendue compte que lorsque la musique atonale d'Alban Berg a commencé pour ce Wozzeck très poignant, que regarder Wagner, puis Korngold puis Berg, permettait de voir l'étendue de la richesse musicale (et orchestrale) de l'opéra de culture germanique fin XIXème, début XXème, ses évolutions et l'évident rôle innovateur joué alors par les compositeurs.
Si Lohengrin date de 1850, en plein romantisme, on sait que Korngold qui écrit die Tote Stadt en 1920 est influencé autant par Wagner que par Strauss ou Malher. Déjà très exubérant orchestralement, l'oeuvre reste cependant "tonale" alors que Berg qui compose avec son Wozzeck, tiré de la pièce inachevée de Georg Buchner, à la même époque (création en 1925), un oeuvre atonale tout à fait "achevée" sur le plan de la maitrise musicale.
Wozzeck est un opéra "coup de poing", court puisqu'il ne dure qu'une heure quarante, donné sans entracte comme une suite de tableaux, où les sentiments des personnages hauts en couleur, sont illustrés par divers leitmotiv tandis que la partition prévoit, jusque dans les détails, la présence de solistes instrumentaux ou de groupes de musiciens sur la scène.
La direction musicale de Hartmut Haenchen est d'ailleurs tout à fait remarquable. Excellent chef il excelle tout particulièrement pour maitriser ces différenciations instrumentales incessantes, ces colorations complexes et subtiles des différentes scènes où Berg a composé de véritables petits morceaux qui se succèdent dans des styles en rupture permanente les uns avec les autres. L'orchestre sert l'oeuvre avec une ampleur et une qualité rarement entendue et c'est un vrai plaisir de voir ainsi servie une oeuvre aussi complexe.
Andreas Kriegenburg semble décidément nettement plus inspiré par l'opéra germanique que par le grand opéra français. J'avais beaucoup aimé son Ring à Munich et j'ai trouvé son illustration de Wozzeck très astucieuse et de très grande qualité alors qu'il avait, à mon sens, raté ses Huguenots à Paris.
J'ai lu que les décors et les costumes étaient fort laids. D'une part, l'opéra se passe dans les bas-fonds et est tout sauf "joli" dans ce qu'il montre et raconte. D'autre part le décor quasi unique était d'une esthétique remarquable adéquate à l'oeuvre : on reconnaissait (pour les habitués du BSO) le caisson utilisé il y a peu dans l'Otello, dont l'articulation permet de le reculer en fond de scène, de l'avancer presque au bord, de le rehausser pour laisser se développer l'action sur le plateau lui même. Le sol du plateau est en permanence couvert d'eau où les protagonistes quand ils ne sont pas à l'abri dans le caisson (représentant la chambre de Marie comme la salle de consultation du docteur), pataugent et qui permet par un très beau jeu de lumière, le reflet régulier comme un miroir des scènes du "haut".
Kriegenburg joue sur le rythme de la musique pour faire évoluer ses personnages comme s'ils étaient d'immenses marionnettes tirées par des fils invisibles et marchant en rythme, voire esquissant une sorte de lent ballet.
Comme dans le Ring, il utilise des "figurants" ou les choeurs pour représenter tout à la fois la misère des hommes, leur soumission et leurs révoltes, tut en en faisant des éléments du décor : hommes en noir soutenant la scène où apparait le petit orchestre de chambre puis le piano désaccordé.
Le "graphisme" sur les murs ou les pancartes, vient appuyer certaines scènes : l'enfant écrivant "papa" quand Wozzeck l'ignore au grand désespoir de Parie, les hommes en noirs réclamant "Arbeit" et "Geld". Le tout est assez fantastiquement "orchestré" et une fois encore, on admire le savoir-faire qui "prend" le spectateur dans ses filets, sans temps morts, pour un opéra admirablement joué et... chanté.
Le baryton Christian Gerhaher est un fin "diseur", un roi du Lied, un magnifique Wolfram, un étonnant mais séduisant Amfortas et c'était un plaisir pour moi de le découvrir dans ce rôle qu'il sert magnifiquement. Le timbre est magnifique et le style irréprochable. Son Wozzeck est une victime des puissants et des dominants, dont la folie apparait progressivement et atteint son paroxysme lors des dernières scènes. Comme pour son Amfortas, Gerhaher ne s'extériorise que modérément et c'est sans doute ce qui fait l'originalité de son Wozzeck.
Gun-Brit Barkmin était déjà une remarquable “Marie” dans la dernière série de la mise en scène de Marthaler, donnée à l’Opéra de Paris Bastille en 2016.
Elle incarne très bien les contradictions de son personnage, mère mais aussi pleine des désirs de la jeunesse, confrontée à un monde de misère sans fin. Le chant est également très séduisant, jamais "crié" tout en étant bien projeté avec cet art du "sprechgesang" alors à ses débuts.
Les autres personnages très typés du Docteur, du Tambourmajor, du capitaine et d'Andres sont tout simplement admirables de justesse, respectant le côté caricatural de leur rôle tout en nous donnant du très beau chant, énergique et puissant et Heike Grötzinger est une Margret parfaite.
Cet opéra d'abord un peu difficile, voit sa lecture éclairée par cette mise en scène intelligente.
Il a été retransmis en vidéo en direct.
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