Un Ercole Amante à l'Opéra Comique enchanté et enchanteur !

Ercole Amante


(Hercule Amoureux) 
Francesco Cavalli
Livret : Francesco Buti
Création : 7 février 1662 à Paris (Tuileries).

Première du 4 novembre 2019, salle Favart à l'Opéra Comique 
Direction musicale Raphaël Pichon 
Mise en scène Valérie Lesort et Christian Hecq (Sociétaire de la Comédie Française) 
Ercole Nahuel di Pierro 
Giunone Anna Bonitatibus 
Dejanira Giuseppina Bridelli 
Jole Francesca Aspromonte 
Hyllo Krystian Adam 
Pasithea Clerica, Terza Grazia, Secondo Pianeta Eugénie Lefebvre 
Venere, Bellezza, Cinthia (prologo) Giulia Semenzato 
Nettuno, Eutyro Luca 
Tittoto Il Paggio Ray Chenez 
Licco Dominique Visse
Choeur et Orchestre Pygmalion

Globalement jubilatoire, cet Ercole Amante que nous propose l’Opéra Comique, est une découverte par bien des aspects et ne serait-ce que pour cela, il vaut franchement le déplacement. Nous n’entendons pas si souvent d’œuvres du compositeur vénitien (1). Francesco Cavalli. Stéphane Lissner nous avait déjà concocté l’étonnant Eliogabalo (1667) à l’opéra Garnier au début de son mandat. A présent c’est au tour d’Olivier Mantei de nous offrir sur un plateau d’or et d’argent, cet Hercule Amoureux, allégorie composée en l’honneur des épousailles du roi Soleil avec l’infante d’Espagne. 
Le baroque est décidément à l’honneur après le succès exceptionnel des Indes Galantes à Bastille et ne cesse de nous offrir maintes surprises, révélant la modernité d’un répertoire dont on oublie souvent la richesse, l’opéra « médiatique » se réduisant le plus souvent aux œuvres du XIXème siècle (et encore, la partie « italienne » pour l’essentiel…).
Avec Cavalli nous sommes dans ce fameux « Seicento », ces années 1600, celles de la naissance du genre. 
Cet Ercole, créé en 1662, est donc déjà un opéra (2) tout en restant une oeuvre hybride formée finalement de "tableaux" successifs avec fil conducteur (la destinée d'Ercole, comme modèle pour le jeune roi Soleil) et comprenant, outre quelques parties orchestrales assez réussies, pas mal de récitatifs parfois un peu répétitifs et longuets. La pyrotechnie vocale des arias viendra plus tard dans le baroque tout comme l’introduction du drame.
Là nous avons encore un divertissement qui oscille entre le comique voire le burlesque, et la leçon de morale avec scènes un peu grandiloquente.
L'oeuvre est musicalement très belle mais elle dure trois heures sur un livret assez réduit malgré tout, l'intrigue et le propos étant assez simples. Pas de coupures (et même des rajouts) la rendent un peu longuette et non sans "tunnels".
On imagine les moyens "mécaniques" fabuleux qui, du temps de la cour du roi Soleil, présidaient à ces spectacles de sept heures où l'opéra à proprement parler, était entrelardé de ballets où les aristocrates, roi compris, étaient invités à danser sur la scène.
Là, c'est un peu "bricolage" d'imitation avec des idées sympathiques et drôles et beaucoup d'humour, de poésie et de recul face au caractère solennel et parfois pompier de cet Ercole.
La mise en scène du couple Lesort/Heck qui nous avait déjà proposé une illustration très colorée du Domino Noir (Auber) un peu avant la réouverture de l’Opéra Comique, joue tout à la fois sur le respect scrupuleux des didascalies (tout ce qui est écrit, aussi fantaisiste que ce soit, se voit sur la scène) et des « dialogues » et sur sa traduction humoristique parfois au second degré arrachant un sourire amusé quasi-permanent aux spectateurs. Costumes et décors sont à l’avenant et contribuent au charme de la soirée par leur fraicheur volontairement naïve. 
Mais c’est Raphael Pichon, à mon avis, qui est l'artisan essentiel de la réussite du spectacle proposé même si la mise en scène est très astucieuse (et manie le second degré comme un art de haute voltige), elle n'est pas si déterminante. 
A l’inverse, la lecture musicale du chef est passionnante et d’une créativité qui rajeunit littéralement l’œuvre.
Il allie grâce et légèreté, ré-enchantant Cavalli, traitant la partition en l'allégeant au maximum avec son bel orchestre lui-même parfois sollicité par les artistes sur scène, ménageant quelques effets de spatialisation des cuivres, et de gros effets de tempête et tonnerres avec ses percussions sans oublier un joli feu d'artifice final. Les musiciens (que ma place au premier rang me permettait d’observer à loisir), sont d’ailleurs invités à opérer différents bruitages comme le fait de tapoter en mesure le bors de leurs pupitres pour évoquer la pluie qui tombe pendant l’orage et sont tous de merveilleux musiciens, souvent multi-instruments. Il y a beaucoup de récitatifs dans lesquels Pichon s’est fait un honneur de ne rien couper. Mais il nous propose un continuo de luxe, deux harpes, théorbe, luth "classique", violoncelle et son propre clavecin et c’est tout simplement prodigieux.
Les Chœurs de Pygmalion sont magnifiques également comme toujours avec cette formation qui sait tout autant chanter que danser et jouer et se mouvoir dans les différents niveaux de cette scénographie assez complexe.
Pour compléter la réussite, nous avons une excellente interprétation globale des chanteurs solistes offrant une grande homogénéité dans la qualité vocale autant que scénique. Nous disposons manifestement d’un grand nombre de chanteurs de baroque de grand talent – les Indes Galantes récentes l’avaient déjà démontré- qui ne sont pas toujours ceux qui défrayent le plus la chronique ou font le plus de tapage médiatique, mais qui représentent la fine fleur d’une qualité lyrique qu’il faut valoriser.
L’ensemble est mené avec enthousiasme par le splendide Ercole de Nahuel di Pierro, tout à la fois drôle, un peu ridicule et soudainement tragique au moment de sa mort (immense moment très bien rendu) avant de devenir le sage devisant sur un nuage et l’exceptionnelle Giunone d'Anna Bonitatibus dont le timbre chaud et riche en harmoniques donne autorité et grandeur à la déesse. Mais il faut tous les citer pour leurs qualités globales et notamment les remarquables Il Paggio de Ray Chenez et surtout Licco de Dominique Visse, qui seuls ou en duo, sont époustouflants. Ou Giulia Semenzato qui ouvre le bal lors du très réussi Prologue qui vous met d’ailleurs d’entrée de jeu dans cette ambiance jublilatoire. Comme Eugénie Lefebvre d’ailleurs, elle joue plusieurs rôles. Ou encore les Dejanira de Giuseppina Bridelli et Jole de Francesca Aspromonte très sollicitées tout au long de l’opéra et qui savent nous émouvoir tout au long du récit de leurs déboires, le Hyllo de Krystian Adam avec son faux-air de Jean-Claude Brialy et l’impressionnant Nettuno, Eutyro Luca
Je ne sais pas si c'est "la revanche de Cavalli" dont l'opéra est là donné sans les ballets étrangers à sa composition et sans la moindre coupure de l'oeuvre à proprement parler non plus, mais c'est un joli coup (de plus) pour l'opéra comique au vu des critiques unanimes et enthousiastes, les trois autres séances devraient se remplir rapidement.
N'hésitez pas, l’œuvre est rare !
Rediffusion sur ARTE et sur France Musique.


(📸 S.Brion - Opéra Comique)


(1) Ercole Amante fut créé dans la fameuse « salle des Machines » inaugurée à cette occasion. Située dans le palais des Tuileries entre les jardins des Tuileries et la cour du Louvre, cette salle de 4000 places possédait une machinerie complexe permettant des changements de décors et des arrivées de musiciens/chanteurs en groupe. C’est de l’existence de cette salle que vient l’expression « côté cour » (Louvre) et « côté jardin » (Tuileries). Elle abrita également la convention nationale sous la révolution avant d’être détruite dans l’incendie sous la Commune de Paris.

(2) On considère que les "premiers opéras" sont l' Euridice de Caccini, 1600, Euridice de Peri en 1605 et Orfeo de Monteverdi en 1607

Commentaires

  1. Le Domino Noir, ce n'est pas Gounod mais Auber :D
    Sinon merci pour ce retour... ça donne envie!

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