Magique et féérique Cenerentola de Karine Deshayes à l'Opéra Royal de Wallonie sous la direction de l'électrique Speranza Scappucci

La Cenerentola


Gioachino Rossini
Création à Rome en 1817.

Direction Musicale - Speranza Scappucci
Mise En Scène, Chorégraphie, Décors, Costumes Et Lumières Cécile Roussat, Julien Lubek, 

Angelina, dite Cenerentola Karine Deshayes
Don Ramiro Levy Sekgapane
Dandini Enrico Marabelli
Don Magnifico Bruno De Simone
Alidoro Laurent Kubla
Clorinda Sarah Defrise
Tisbe Angélique Noldus
Orchestre & Chœurs de l'Opéra Royal De Wallonie-Liège

Le 20 décembre 2019
Opéra Royal de Wallonie.

Liège arborait un air de fête avec son marché de noël et ses multiples guirlandes amlgré une pluie fine et persistante. L’Opéra Royal de Wallonie proposait une reprise de la Cenerentola de Rossini dans la mise en scène ludique de Cécile Roussat et Julien Lubek, créée en 2014 avec une distribution et une direction musicale différente.Entretemps en effet, la célèbre maison a accueilli l’un des jeunes chefs les plus prometteur du moment et sans aucun doute, la cheffe à suivre dans cet univers encore très masculin, l’italienne Speranza Scappucci qui a posé ses valises dans la capitale de la Wallonie il y a seulement deux ans.
Un hommage à son talent et à ses qualités de femme et de musicienne, était rendu ce 20 décembre, au moment de la reprise suivant l’entracte, par le directeur de l’opéra, Stefano Mazzonis di Pralafera, et le bourgmestre, Willy Demeyer, qui lui ont remis sur scène les insignes de citoyenne d’honneur de la Ville. 
« Elle dirige en basketts mais vient saluer en hauts talons » a dit notamment d’elle le directeur de l’opéra tandis qu’elle venait le rejoindre chaussée de magnifiques escarpins d’un rouge vif. Italienne, elle a, à son tour, rendu hommage à cette ville du Nord qui l’a accueilli et fait d’elle la première directrice musicale d’une grande maison d’opéra.
Et il est vrai qu’elle ne laisse personne indifférent dans sa manière toute personnelle de diriger le bel orchestre de l’opéra et l’ensemble des magnifiques chanteurs de cette soirée très festive et qui restera dans les mémoires.
Dès l’ouverture, que Rossini a repris d’une autre de ses œuvres, la Gazzetta,  elle donne le ton : celui de la légèreté le plus souvent mais aussi celui de la leçon de morale plus grave et parfois même solennelle, qui sied à cet opéra buffa à la partition riche de dizaines d’airs splendides de référence, touffue et exemplaire, notamment par ses incroyables « ensembles » vocaux à trois, quatre, cinq,  six et même sept chanteurs, où chacun entame son air, rejoignant l’autre, pour former une très excitante musique des mots en formation « tutti » parfois même rejoints par les chœurs, tel le célèbre « parlar, pensar, vorrei, non so ».
Cette étoffe musicale très riche, sur le plan de l’orchestration comme sur celui du matériau vocale belcantiste demandé aux interprètes, est valorisée par la baguette précise de la cheffe dont on perçoit parfaitement l’adéquation à cette musique excitante voire ennivrante. Et les quelques récitatifs « secs » sont subtilement accompagnés au pianoforte.
Ce Cendrillon, très italien, a été inspiré au « Cygne de Pesaro », par le célèbre conte rendu célèbre par Charles Perrault puis par les frères Grimm.
Rossini prend quelques libertés avec la trame du conte pour les besoins de son opéra -il n’y a pas de « pantoufle de vair » mais un bracelet qui permettra à la vérité de triompher- mais le thème principal est puissamment illustré, notamment ce triomphe de la beauté et de la probité face à la méchanceté et à l’envie qui constitue comme on dit « la morale de l’histoire ».
La mise en scène de Cécile Roussat et Julien Lubek, saluée lors de sa création à Liège en 2014, a gardé tout son pouvoir de séduction. Nos deux artistes se sont connus lors de la formation au mime auprès de Marcel Marceau et leurs mises en scène, pour lesquelles ils assurent ensemble les chorégraphies, les éclairages, les décors, s’inspirent largement des arts du cirque et de la féérie des contes de notre enfance.
Répliques « clonées » du mages Alidoro, une dizaine de danseurs vont ainsi accompagner ce grand livre d’histoires magiques, que l’on va voir et revoir sur la scène au fur et à mesure que les pages se tournent.
La scène elle-même est un peu comme ces ouvrages pour enfants où d’habiles découpages représentent les lieux de l’action quand on en ouvre une nouvelle page. Le décor, sobre mais rempli de détails amusants, tourne sur lui même, dévoilant tantôt la cour intérieure de la maison, ses extérieurs, la chambre de Don Magnifico puis plus tard, le trône du prince, et ainsi de suite. Les murs de la demeure du père et des trois sœurs, sont un peu délabrés, la tapisserie se déchire, l’horloge comtoise s’ouvre pour laisser entrer les personnages, l’escalier qui descend de la galerie vers le lit de Don Magnifico est formé de grosses malles qui s’ouvrent pour livrer des secrets. On n’en finit pas de sourire aux évocations poétiques mais aussi comiques des tours et détours de cette très belle mise en scène : le carosse qui arrive et d’où sortent une dizaine de figurants, le cache-bouteille d’où l’on extrait des dizaines de bouteilles, le renard et le cygne qui réapparaissent périodiquement, marionnettes presque vivantes, l’âne qui déambule , la montgolfière qui descend régulièrement des cintres pour y remonter avec les héros.
Joli livre d’images, la mise en scène sert magnifiquement l’histoire mais aussi les chanteurs en leur ménageant par exemple systématiquement une positions confortable pour leurs grands airs et un alignement devant le public pour les ensembles qui assure une grande homogénéité musicale tout en gardant son dynamisme à l’action, par quelques gestes mécaniques et similaires, façon « automates ».
La distribution de cette reprise est de très haute volée. Saluons d’abord l’inoubliable Angelina de Karine Deshayes, qui excelle dans ce rôle très exigeant vocalement, nous livrant un véritable festival de virtuosité lyrique belcantiste, qui ira crescendo pour commencer par la chanson mélancolique « Una volta c'era un re » et se terminer par un éblouissant « Nacqui all'affanno », le rondo final de l’œuvre, où chacune de ses notes est un tourbillon de plaisirs, vocalises, trilles, notes piquées, aigus somptueux, timbre ambré superbe égal dans tous les registres, qui lui vaut un triomphe bien mérité aux saluts. Elle campe une très belle Cendrillon, émouvante et juste, qui nous touche profondément à chaque instant par la simplicité de son jeu allié à une vocalité impressionnante.
Son Prince, le Don Ramiro du jeune ténor sud-africain Levy Sekgapane, possède lui aussi une fort belle technique belcantiste et montre une prestance très crédible dans le rôle. Les suraigus sont assumés crânement avec beaucoup de facilité et la musicalité du ténor rappelle souvent quelques uns des plus brillants de ses prédecesseurs comme Juan Diego Florez. Dommage que sa projection soit bien moindre et que sa voix soit celle qui sonne le moins bien dans les ensembles et surtout dans les duos.
Bruno De Simone habite littéralement le rôle de bouffon prétentieux de Don Magnifico qu’il campait déjà lors de la création de la production à Liège. Son aisance vocale et scénique font merveille pour représenter le « méchant » de comédie, m’as-tu-vu imbécile et ridicule à la voix sonore et au timbre expressif, irrésistible sur scène et précieux atout d’une distribution « maison », déjà présente en 2014 et très brillante pour tous les autres rôles. 
Ainsi en est-il du valet Dandine interprété par Enrico Marabelli, dont le ressort comique et roublard est là aussi, très bien rendu. Le matériau vocal est splendide également et le beau timbre du baryton ressort avec grande classe des ensembles.
Laurent Kubla est également un habitué de l’opéra de Wallonie, sa haute taille rend très impressionnant son Alidoro tout droit sorti des Mille et Une Nuits et son grand air « La del ciel » a toute la solennité et la beauté requise ce qui lui vaut une salve d’applaudissements.
Enfin les deux sœurs Sarah Defrise (Clorinda) et Angélique Noldus (Tisbe) campent les deux chipies jalouses et cruelles avec beaucoup de talent théatral et d’aisance vocale mais on regrettera peut-être un peu d’acidité dans leurs timbres, sans doute volontaire pour évoquer les mégères qu’elles sont, mais qui a rendu parfois leurs prestations légèrement moins audibles que celles de leurs partenaires, surtout dans leurs échanges avec Don Magnifico.
Il faut donc remercier sans réserve l’Opéra Royal de Wallonie d’avoir repris cette belle production avec des interprètes d’exceptionnelle qualité, notamment répétons-le, la belle Cenerentola de Karine Deshayes, sous la baguette de la formidable Speranza Scapucci. Le public Liégeois était aux anges pour ce noël avant l’heure et nous aussi.

Hélène Adam
Article écrit pour le site ODB

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