Jeune et superbe distribution pour cette reprise du Barbier de Séville à l'Opéra de Paris

Il Barbiere di Siviglia

de Gioacchino Rossini sur un Livret de Cesare Sterbini
Opera buffa en deux actes (1816)
D'après Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais

Direction musicale : Carlo Montanaro
Mise en scène : Damiano Michieletto
Décors : Paolo Fantin
Costumes : Silvia Aymonino
Lumières : Fabio Barettin
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Production originale du Grand Théâtre de Genève
Quatrième reprise à l’OnP.
Il Conte d'Almaviva : Xabier Anduaga
Bartolo : Carlo Lepore
Rosina : Lisette Oropesa
Figaro : Ilya Kutyukhin
Basilio : Krzysztof Bączyk
Fiorello : Tommaso Barea
Berta : Marion Lebègue
Un ufficiale : Bernard Arrieta

Séance du 26 janvier 2020
 Je ne reviendrai pas trop longuement sur la mise en scène de Damiano Michieletto déjà maintes fois commentées. Elle fonctionnait magnifiquement hier et plaisait manifestement énormément au public, pour partie très jeune qui découvrait l'oeuvre et trouvait le déroulement de l'action particulièrement claire et explicite au travers de ce petit huis-clos dans un quartier de Séville, qui ressemble plutôt à Naples mais cela n'a aucune importance évidemment. Le souci de Damiano Michieletto d'illustrer chaque parole chantée et chaque situation, de jouer sur les facettes de la maison en animant en permanence son propos, d'offrir une direction d'acteurs fabuleuse à tous les protagonistes, leur proposant même durant leurs grands airs les plus impressionnants, des mouvements qui font sens, le jeu extraordinaire des éclairages (la lumière verdâtre pendant l'air de calomnie, le petit matin, le plein jour, le soir, la nuit... on s'y croirait).
C'était la première fois que je voyais cette mise en scène depuis le deuxième balcon et j'ai trouvé qu'elle y était valorisée favorisant une vue d'ensemble des mouvements de tous dans toutes les pièces. On ne rate rien et c'est finalement d'une richesse qui ne s'apprécie parfaitement qu'après plusieurs visions.
La direction de Carlo Montanaro (déjà à la baguette lors de la création de cette production à Bastille) est sans doute un peu lente au départ mais elle s'accélère de manière littéralement enivrante quand l'action se tend et notamment pour les merveilleux ensembles de la partition. Ainsi les airs de la fin du premier acte sont si enlevés que l'ensemble de la salle vibre manifestement à l'unisson de cette envolée sans faille et qu'il est plaisant de voir le maestro virevoltant pour diriger chaque partie de son orchestre et les chanteurs en leur insufflant toujours plus de vitesse, de mouvement, la musique tournoie et laisse, avec le baisser de rideau, une délicieuse impression d'ivresse.
L'acte 2 sera à nouveau plus lent à son démarrage pour prendre également une vitesse de croisière puis entrer à nouveau dans le tourbillon fou du final où la salle surexcitée n'attend d'ailleurs pas la dernière note pour ovationner l'ensemble du spectacle.
Côté plateau vocal, j'ai été impressionnée par l'étonnant Almaviva de  Xabier Anduaga que je découvrais. Dès son entrée et son "Ecco ridente", on pressent qu'on a affaire à un très grand chanteur. Pas seulement un bel Almaviva mais aussi un superbe ténor, excellent dans le répertoire belcantiste mais qui pourrait en remontrer à bien des ténors actuels dans le répertoire lyrique tant la voix est belle, large, profonde, en un mot, une grande voix associée à une technique précise, sûre et sans faille. Le timbre est d'ailleurs si brillant qu'il résonne dans la grande salle de la Bastille comme jamais jusqu'à présent un ténor belcantiste n'avait résonné à mes oreilles. Vocalises, rythme, souffle, aigus, tout semble si facile qu'on en reste assez confondu mais c'est bien sûr dans le "Cessa di più resistere" qu'il laisse la salle sans voix avant une immense et très, très longue ovation. Pas de coupure dans cet air magnifique cette fois, Anduaga fait le tour complet du décor qui tourne en même temps pour sa prestation et je pense que chaque spectateur est comme moi à cet instant, scotché par la qualité du chant (les diminuendo et les reprises en piano ne lui posent aucun problème, le timbre est toujours aussi beau et audible dans ce mode), le naturel du jeu, la décontraction du jeune chanteur et la découverte d'un immense talent. Quel potentiel !
La star est évidemment Lisette Oropesa, chouchou du public de Bastille depuis les Huguenots puis l'Elisir, à juste titre d'ailleurs. Quelle belle et pétillante Rosina. Elle ne reste pas une minute en place courant d'un bout à l'autre de la maison avec la fraicheur de la jeunesse et l'ardeur de l'amour qu'elle porte au beau Lindoro. Mais l'extrême justesse de son jeu (quelle actrice consommée !) s'accompagne d'un chant là aussi exceptionnel : le timbre est toujours aussi joli, les nuances parfaites, les changements de style et de couleurs dans sa voix expriment parfaitement ses changements d'humeur, sa passion est perceptible et ses acrobatiques vocalises très soignées avec des aigus que j'ai trouvés tout à la fois percutants (et excitants) comme parfaitement maitrisés. Dès son "und voce poco fa" elle recueille d'ailleurs une ovation méritée et le couple qu'elle forme avec Anduaga est le plus beau vocalement, musicalement, scéniquement (et physiquement) vu depuis longtemps dans ce double rôle.
Le Figaro de Ilya Kutyukhin est lui aussi, irréprochable sur le plan de la technique belcantiste. Le chant est soigné, racé, élégant, assez éloigné d'autres interprétations plus "bouffones" de ce rôle. Avec les deux autres, il forme finalement un trio de "gentils" très bien chantants et fort agréable à entendre et à regarder. Le seul bémol réside dans un timbre un peu mat et une émission parfois engorgée un peu desservie par le brillant des deux autres. Sa "voix" passe moins bien la rampe de Bastille ce qui est perceptible dès le duo avec le comte "ha ha que Bella vita". Il est possible que cet effet ait été renforcé par la place où je me trouvais. A part cette réserve, je l'ai trouvé personnellement très bien assorti dans le style et la qualité du chant à la Rosina de Lisette Oropesa et à l'Almaviva d'Anduaga. Une très grande complicité les unit tous les trois qui se sent tout au long de la représentation.
Le Bartolo de Carlo Lepore, un habitué très brillant du rôle, confirme sa parfaite adéquation à l'interprétation du tyrannique barbon trompé par tout le monde. C'est très très bien chanté et très crédible de la première note à la dernière. Et puis il y a la truculence italienne qui est inimitable...
J'aurais par contre un peu plus de réserves sur le Basilio de Krzysztof Bączyk dont la voix peine à se faire entendre dans les ensembles et qui n'est pas suffisamment "brillant" dans l'air de la calomnie. je me demande si la technique belcantiste est tout à fait dans ses cordes...d'ailleurs il me semble que nous n'avons eu aucun très bon Basilio dans le Barbier de cette production à Bastille ?
Bons seconds rôles de Tommaso Barea, Marion Lebègue (très drôle en plus et qui "occupe" magnifiquement son rôle) et Bernard Arrieta.
Une reprise attendue à juste titre pour sa distribution qui tient ses promesses et même un peu plus


Rappelons ici que les artistes et techniciens de l’Opéra de Paris avaient voté pour la veille la reprise des représentations après une grève très longue (depuis le 5 décembre) contre la réforme des retraites. Leur intersyndicale a donc lu à nouveau cet après midi, un texte avant le lever du rideau pour explique le sens de leur combat, sa poursuite et ses objectifs et leur profond attachement à l’excellence de la maison. Ce qu’ils ont amplement confirmé encore une fois dans ce Barbier. Un grand salut et un grand merci à eux.

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