Le charme fou des Contes d'Hoffmann mis en scène par Robert Carsen, belle reprise à l'Opéra de Paris

Les Contes d'Hoffmann

de Jacques Offenbach
Opéra fantastique en un prologue, trois actes et un épilogue (1881) sur un livret de Jules Barbier

Direction musicale : Mark Elder (Pierre Vallet - 2 fév.)
Mise en scène :Robert Carsen
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Olympia : Jodie Devos
Giulietta : Véronique Gens
Antonia : Ailyn Pérez
La muse, Nicklausse : Gaëlle Arquez
Une voix : Sylvie Brunet-Grupposo
Hoffmann : Michael Fabiano
Spalanzani : Rodolphe Briand
Nathanaël : Hyun-Jong Roh
Luther, Crespel : Jean Teitgen
Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, Frantz : Philippe Talbot
Lindorf, Coppélius, Dapertutto, Miracle : Laurent Naouri
Hermann : Olivier Ayault
Schlemil : Jean-Luc Ballestra

Séance du 25 janvier
L'intelligence et la beauté esthétique de la mise en scène de Robert Carsen garde intacte toute sa part de magie et de féérie des sens après tant d'années de bons et loyaux services. Elle aurait même tendance à se bonifier sans doute en comparaison avec toutes les mises en scène vues (ou revues) depuis sa création. Personne ne sait illustrer avec autant de talent et d'intelligence, ce théâtre dans le théâtre, ce chef d'oeuvre du très prolifique Offenbach, pour en faire goûter tous les aspects et en faire autant de surprises délicieuses.
Du plateau nu du prologue où sort du plancher ce long et interminable bar, qui montre que nous sommes déjà dans un monde semi-imaginaire, tandis que la "scène" du Don Giovanni en cours se déplace latéralement et  lentement devant nos yeux déjà charmés, des déambulations formidables du choeur (justement ovationné ce soir) durant le Kleinzack, jusqu'au retour de ce plateau nu avec le final musical et la disparition progressive d'Hoffmann et de sa muse redevenue muse dans un halo de lumière, tout est réussi.
Je retiendrai personnellement pour avoir été émue jusqu'aux larmes hier soir, le magnifique et tragique acte d'Antonia avec sa scène d'opéra et sa fosse d'orchestre sur le plateau de Bastille, le jeu entre les deux fosses, le final joué par les instruments du plateau dirigés par le chef de la fosse (la vraie) bref ce jeu d'ombres et de lumières entre la réalité et la fiction, le rêve et le cauchemar qui sont tout simplement géniaux.
Mais tout se tient d'un bout à l'autre et offre aux chanteurs/acteurs (choeurs et instrumentistes compris) une formidable implication qu'ils ont tous eu à coeur de magnifier pour un soir qui n'était pas tout à fait ordinaire et où le public vibrait à l'unisson des artistes avec une ferveur plutôt rare à Bastille.
Saluons également la direction de Mark Elder, qui ne m'a pas toujours convaincue mais qui, hier soir, était en phase avec l'oeuvre, lui conférant une certaine délicatesse l'éloignant radicalement de certaines lectures un peu "flonflon" que j'ai déjà entendues et qui la trahissent.
Petits décalages avec les choeurs à la fin de l'acte d'Antonia qu'il a rapidement "rattrapé" avec habileté mais un ensemble plutôt sans faute et très intéressant musicalement.
Finalement, j'apprécie toujours de découvrir des aspects mal explorés (par moi) dans une oeuvre que j'ai beaucoup entendue.
Je l'ai dit, les choeurs étaient exceptionnels, on ne peut que les féliciter comme l'un des acteurs essentiels de la représentations, jouant, dansant, chantant avec un talent incroyable.
Le reste du plateau vocal n'est pas exempt de critiques mais il avait l'avantage d'être équilibré vocalement et de montrer d'évidentes qualités scéniques très enthousiasmantes.
Je retiendrai d'abord la muse/Niklausse de Gaelle Arquez qui, tout au long de l'opéra, nous donne du très beau chant, très expressif (quel timbre magnifique), capable de beaucoup de nuances et de colorations différentes, très présente sur scène et décidément incontournable parmi les mezzo bonnes comédiennes et chanteuses hors pair. Sa voix remplit sans problème le volume de Bastille et elle impressionne et séduit en permanence.
Laurent Naouri se joue avec beaucoup de facilité de ses quatre rôles successifs, Lindorf, Coppélius, Dapertutto et Miracle, changeant son style vocal avec son apparence, et montrant une fois encore, son aisance sur scène, la qualité incroyable de sa diction (je dis "incroyable" parce que je la trouve d'un naturel rare) et la belle projection d'un timbre toujours aussi beau.
Un peu plus de nuances à propos de Philippe Talbot, qui de ma place en fond de parterre, a quelques soucis pour se faire entendre et c'est de tous ses rôles (Andrès, Cochenille, Pitichinaccio, Frantz), celui de Frantz qu'il chante sur la scène dans la scène, donc en hauteur, qu'il réussit le mieux. Mais son talent de comédien fait merveille dans l'ensemble de l'opéra. Il est juste un tout petit peu victime de l'acoustique de Bastille et de ses mystères...
Jodie Devos est une Olympia pétillante et remplie de charme, qui "exécute" ses airs périlleux sans le moindre problème, très à l'aise dans la mise en scène de Carsen (particulièrement inventive et drôle dans cet acte) et s'impose comme une grande, très grande interprète.
Véronique Gens est une Giulietta d'une très grande élégance, grande classe et charme fou, dont la voix, un peu en retrait dans la barcarolle, chantée au milieu des sièges mouvants du théâtre donc en fond de scène, éclate dès qu'elle vient à l'avant du plateau. Très belle prestation, très bien incarnée.
L'Antonia d'Ailyn Pérez m'a un tout petit moins convaincue, j'ai trouvé le timbre plus uniforme et moins riche en harmoniques que ceux de ses deux rivales mais globalement c'était très bien chanté et sa confrontation avec sa mère -la voix impressionnante de Sylvie Brunet-Grupposo- absolument dramatique comme il se doit, un grand moment musical.
Reste le rôle-titre et le surinvestissement de Michael Fabiano qui déploie beaucoup de talents de comédiens, rentrant littéralement dans le personnage, se dépensant sans compter sur scène (à tel point qu'il en perd sa perruque lors de l'acte d'Olympia), incarnant l'ivresse du personnage avec une force de conviction qui se transmet au public très rapidement. Côté chant, c'est un peu plus problématique. Son ténor est de moins en moins lyrique et il lui manque du legato. C'est un peu rude, un peu heurté et parfois très approximatif quant à la justesse, alors que par ailleurs, malgré un timbre un peu ingrat, il montre dans certains passages, une belle capacité à nuancer son chant. Bref c'est inégal mais c'est un peu à l'image habituelle de Fabiano et s'il emporte l'adhésion, c'est sans doute parce que sa très forte personnalité "marque" le rôle d'une empreinte intéressante.
Les autres rôles sont fort bien tenus avec beaucoup de justesse et du beau chant là aussi. 
Une excellence uniforme incontestable pour les petits rôles de Spalanzani ( Rodolphe Briand), Nathanaël ( Hyun-Jong Roh), exceptionnels Luther puis Crespel de Jean Teitgen (sous employé !), Hermann ( Olivier Ayault) et incroyable Schlemil de Jean-Luc Ballestra. Bref beaucoup de bonheur pour une soirée très enjouée.
Précisons également que la diction de tous et toutes en français va de l'excellence (Naouri, Devos, Arquez) à l'acceptable (Fabiano, Perez), et que, pour l'essentiel, les sous-titres sont superflus.
Belles ovations au rideau pour toutes et tous.

Ce n’était pas une soirée de routine puisque les artistes choristes, instrumentistes, danseurs  et techniciens de l’Opéra de Paris avaient voté la reprise des représentations après une grève très longue (depuis le 5 décembre) contre la réforme des retraites. Leur intersyndicale a donc lu un texte avant le lever du rideau pour explique le sens de leur combat et leur profond attachement à l’excellence de la maison. Ce qu’ils ont amplement confirmé hier soir. Un grand salut et un grand merci à eux.

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