Un Orlando enlevé et vraiment furieux de Handel au Théâtre des Champs Elysées

Orlando 

Georg Friedrich Haendel
D'après l'Orlando Furioso de Ludovico Ariosto
Création en 1733 au King's Theater de Londres.

Séance du 13 janvier à Paris, au Théâtre des Champs Elysées.
Christophe Dumaux Orlando
Kathryn Lewek  Angelica
Delphine Galou Medoro
Nuria Rial Dorinda
John Chest Zoroastro
Francesco Corti direction
Il Pomo d’Oro

Les amoureux du baroque finissent par bien connaitre l'histoire d'Orlando (le "Roland", soldat de l'armée de Charlemagne) racontée dans le poème épique et éponyme de l'Arioste, écrit entre 1516 et 1527. Cette oeuvre monumentale a inspiré notamment l'Orlando furioso de Vivaldi (1727) et l'Orlando Paladino de Haydn (1782).
C'est l'histoire d'un amour qui rend fou, l'amour d'Orlando, héros de guerre pour la princesse païenne Angelica laquelle aime d'un amour fusionnel, le prince Medoro. C'est le mage Zoroastre qui les sauvera, Orlando de la folie meurtrière et les amants d'une mort impitoyable. Il rendra sa raison à Orlando.
Quand Handel compose ce magnifique opéra seria, il est installé depuis longtemps à Londres où il a littéralement popularisé l'opéra italien et cet Orlando est son avant-dernière oeuvre créée au King's Theater avec le castrat alto Francesco Bernardi, dit "Senesino" pour lequel le rôle d'Orlando a été écrit.
La richesse orchestrale et vocale de cet opéra ne lasse pas d'émerveiller tant elle atteint des sommets pyrotechniques à plusieurs reprises avec des audaces réellement novatrices comme le fameux air acrobatique de la "Folie" d'Orlando tandis que la tension dramatique est à son comble dans un récit qui ne ménage guère de respirations, récitatifs courts et continuo très riche (deux luths différents hier soir alternant accompagné du clavier, d'un violoncelle de génie et parfois de la basse), arias époustouflants avec da capo et changements de style au cours même de l'air pour tous les protagonistes.
Sans atteindre me semble-t-il, le niveau des prestations de René Jacob dans cette oeuvre, la formation très (trop ?) réduite d'Il Pomo d’Oro sous la direction très séduisante de Francesco Corti, atteint un très bon niveau grâce à des instrumentistes de grand talent : j'ai parlé de l'un des violoncelles, il faut saluer également la prestation des violons, des bois et des luths, qui, savent incroyablement bien valoriser la sonorité "baroque" de leurs instruments d'époque, donnant du Handel vivant, agité, coloré, comme on l'aime.

Christophe Dumaux est un Orlando réellement "furioso" et sa fureur qui gagne peu à peu l'artiste "physiquement" est terriblement réaliste. Très belle prestation tant vocale (ahurissantes séries de vocalises dans l'air de la folie notamment) que scénique a remporté l'adhésion immédiate du public, la première partie étant particulièrement enlevée et la deuxième partie lui ménageant ses plus beaux airs qu'il nous a offerts dans une maitrise parfaite et très impressionnante (mais quel rôle en or pour un contre-ténor doué).

Kathryn Lewek en Angelica n'est pas en reste au contraire. C'est, à l'instar de sa superbe Euridice dans l'"Orphée aux enfers" de Salzbourg l'été dernier, une actrice qui "entre" dans son rôle avec une confondante facilité, surtout dans une version concert, et qui affronte toutes les difficultés vocales avec beaucoup de conviction, campant une Angelica déterminée et courageuse, amoureuse et fière, sans doute la meilleure prestation de la soirée, vocalises impeccables et aigus -en général- très percutants. C'est tout simplement superbe et quel personnage ! On se rappelle peut-être qu'elle s'était élevée contre des remarques très déplacées sur son "poids" après son Euridice, je voudrais souligner à quelle point, elle était hier soir tout simplement magnifique, drapée dans son opulente chevelure et si douée que tout le reste (et d'ailleurs quel reste ? c'est une très belle femme) n'avait aucune espèce d'importance.
Et il faut souligner que du Handel aussi bien servi, c'est vraiment jouissif (quand on aime le baroque...). Parce que les autres ne déméritaient pas dans ce très bel ensemble (qui comporte peu de duos et un seul trio...tous magnifiques). 
Delphine Galou, la plus androgyne des trois femmes, est un Medoro très princier, très touchant dans son amour fou pour Angelica auquel on croit très fort tant les regards des deux artistes l'une vers l'autre sont véridiques, tant leurs voix se marient bien en se répondant, tant le contraste de leur style enrichit l'interprétation d'une partition magnifique.

Nuria Rial est une Dorinda plus douce vocalement, une jolie soprano au timbre délicat, parfois moins audible dans le médium mais aux aigus tendres et romantiques ce qui sied au rôle là encore.

Quant à John Chest il campe un Zoroastro bien chantant, aux graves un peu confidentiels malheureusement, mais qui ne démérite pas dans un rôle assez court qu'il mène tambour battant au début et à la fin de l'opéra.

Belle ovation d'un public généralement acquis au baroque (et à Handel que le TCE donne souvent par bonheur) dans une salle plutôt bien remplie.

Le "Tour" Orlando d'Il Pomo d'Oro comprend : 
Vérone, le 9 janvier
Paris TCE, 13 janvier
Essen le 19 janvier
Madrid le 26 janvier

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