Belle Bohème à Londres avec Sonya Yoncheva !

La Bohème

Giacomo Puccini
Livret de : Giacosa et Illica
Création : 1896 à Turin.

Royal Opera House : janvier et février 2020
 Mise en scène : Richard Jones
Direction musicale :  Emmanuel Villaume

Distribution pour la séance du 29 janvier, retransmise au cinéma.
Mimì: Sonya Yoncheva
Rodolfo: Charles Castronovo
Marcello: Andrzej Filonczyk
Musetta: Simona Mihai
Schaunard: Gyula Nagy
Colline: Peter Kellner
Benoît: Jeremy White
Alcindoro: Eddie Wade
Parpignol: Andrew Macnair
Chorus: Royal Opera Chorus
Orchestra: Orchestra of the Royal Opera House
Concert Master: Andrew Haveron

Belle soirée dans au cinéma Publicis des Champs Elysées pas franchement plein ... mais rempli d'une ferveur passionnée !
Avec d'abord quelques découvertes : la mise en scène de Richard Jones bien agréable (en tous cas en retransmission) et fidèle au livret jusque dans tous les détails.
Lors de sa création sur la scène de Londres en 2017, sous la direction d'Antonio Pappano et avec Michael Fabiano et Nicole Car (dont on voit des extraits dans un petit film diffusé à l'entracte), cette nouvelle production qui succédait à quarante ans de bons et loyaux services de celle de John Copley, avait satisfait les « habitués ». La Bohème est l’un de ces opéras où chacun s’imagine les scènes célèbres de la « vie de bohème » avec ses « clichés », tels que la mansarde, le café de Paris, le froid, la neige, et auxquels il est difficile -voire impossible-  de toucher.
Cette mise en scène, reprise déjà deux fois depuis 2017 avec des distributions diverses, a bien des qualités. 
Le décor est simple et plus symbolique que réel, à peu près l'inverse de la mise en scène historique qui avait "tenu" une quarantaine d'années au ROH et multipliait la reproduction de détails dans un décor magnifique mais qui finissait par attirer plus l'attention que les scènes elles-mêmes et ménageait une direction d'acteurs assez sommaire.
Avec Jones c'est le contraire : la mansarde sous les toits est réduite à son infrastructure de bois pour l'acte 1 et l'acte 4 où seule la lumière changera radicalement. Un poêle, un vieux matelas, une couverture, quelques accessoires (crayon, pinceau, manchon, petit bonnet rose), le reste est suggéré.
A l'acte 2 deux décors différents glissent sur la scène : l'un représentant les luxueuses galeries des "passages" parisiens et l'autre les tables du café Momus alignées et les curieux se pressant derrière les vitres pour admirer les "scène" pittoresques du café.
A l'acte 3 au contraire, on est dehors, il fait froid, il neige sans discontinuer et l'auberge apparait comme un simple baraquement assez tristounet. 
En jouant sur les couleurs et les lumières, Jones se moule en quelque sorte dans la tension dramatique qui évolue au travers de la composition de Puccini, notamment l'évolution orchestrale du traitement des thèmes des personnages et de leurs liens.
Et cette mise en scène bénéficie de surcroit d'une très belle direction d'acteurs dès la première minute : les "jeux" insouciants des quatre jeunes gens (l'excès capillaire des quatre joyeux lurons du début est assez remarquable, barbes et cheveux), la rupture que représente l'arrivée de Mimi autour de laquelle une tension s'installe dès le début, le "numéro" de Musetta absolument désopilant, les échanges dramatiques de l'acte 3, l'inconscience des artistes au début de l'acte 4 (le plus impressionnant) qui dessinent à la craie noire leurs fantasmes d'amour sur les poutres de la mansarde tandis que le drame se noue, l'arrivée d'une Musetta presque méconnaissable puis de Mimi mourante, les changements radicaux d'attitude des autres, la mort qui vous arrache des larmes tant la tension est à son comble, et que tout est en phase : accents de l'orchestre, jeu des lumières, jeu des acteurs.
Villaume commence un peu doucement me semble-t-il avant de donner tout le climax nécessaire par des contrastes très bien rendus mais lors des retransmission cinéma, la balance est souvent modifiée en faveur des chanteurs et il est difficile de se rendre compte parfaitement bien de la manière dont l'orchestre joue.
Je venais pour la Mimi de Sonya Yoncheva et je n'ai pas été déçue. La chanteuse a retrouvé toute la plénitude de sa voix y compris dans les aigus lumineux. Elle a gardé tout l'art de colorer son chant, d'émouvoir à chaque phrase et techniquement, par ses longues notes tenues, ses crescendos, diminuendos, la délicatesse de son phrasé, la justesse de chaque note, il faut bien dire qu'elle domine le plateau vocal. Bref c'était la reine de la soirée. 
J'ai toujours un peu de mal avec Charles Castronovo (en dehors de sa plastique impeccable ce qui prouve que c'est insuffisant pour devenir superstar) et de son jeu d'acteur très convainquant (même si j'ai vu meilleur Rodolfo, le sien est un peu excessivement extraverti). Mais au niveau du chant, c'est un peu envoyé n'importe comment à plusieurs reprises, avec une émission pas très belle. Il y a de très grands moments bien sûr, notamment ses duos avec Mimi d'ailleurs et le final où il explose littéralement transmettant le maximum d'émotions au public mais dans l'ensemble, c'est moyen,...
Par contre, une belle découverte pour moi, j'ai beaucoup apprécié le Marcello de Andrzej Filonczyk, un peu nounours sympathique et émouvant, bien chantant avec plus de subtilité que la plupart des interprètes de ce rôle.
Je retiendrai également les deux autres personnages le Schaunard de Gyula Nagyet le Colline de Peter Kellner, artistes qui m'étaient inconnus, qui jouent remarquablement bien (ont beaucoup de personnalité) et incarnent très bien ces deux artistes complices des bons et des mauvais jours. 
Simona Mihai remplaçait Aida Garifulina, malade, en Musetta (et avait remplacé Sonya Yoncheva lors de la Première en Mimi) et s'est bien sortie de ce rôle court mais assez difficile qu'elle a dominé vocalement et scéniquement malgré un timbre qui m'a paru à plusieurs reprises légèrement sous-dimensionné.
En bref, une mise en scène fonctionnelle, dépouillée et séduisante pour un jeu d'acteurs fabuleux qui valait le déplacement et globalement du beau chant...

Photos : © Royal Opera House - Tristram Kenton

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