Opéras - Au fil des retransmissions - I

Chroniques d’opéras par temps de coronavirus – Partie 1 


Privée d’opéras en salle, comme beaucoup d’amateurs passionnés, je me suis « contentée » de regarder nombre des retransmissions proposées par diverses maisons d’opéra. Mention spéciale au MET de New York qui nous a sorti quelques uns de ses joyaux les plus emblématiques récents ou plus anciens d’ailleurs. J’ai noté quelques remarques plus ou moins développées à chaque fois. Les voici « rassemblées ». 


Manon (Massenet) Opéra de Paris 17 mars
Beaucoup d'entre nous n'ont pas pu voir Manon, à l'Opéra de Paris, du fait de la crise sanitaire aigue, mais une captation avait été assurée, sans public, le 10 mars dernier. C'est à cette expérience bien singulière que nous sommes conviés ce soir : la dernière séance, le dernier verre avant la guerre. Avec Pretty Yende, Benjamin Bernheim et Ludovic Tézier.
Drôle d’ambiance quand même où les chanteurs et les musiciens se donnent à fond, mais sans avoir l’interaction du public, laquelle est, toujours, un précieux baromètre de la performance. Parfois le public s’ennuie et s’agite, souvent il se tait et se concentre sur les parties les plus réussies et puis, il y a ces instants de miracle pur où le souffle du public tout entier, est suspendu face à l’exceptionnelle réussite d’un moment d’opéra.
Je n’ai pas pu voir du tout ce Manon « en vrai », autrement qu’au travers d’une séance de travail sur l’acte 1 et l’acte 3 ce qui est assez limité…
La retransmission proposée n’est pas totalement convaincante pour deux raisons : une mise en scène conventionnelle sans imagination que j’ai trouvée assez lourde et une direction d’orchestre trop peu allégée pour Massenet, compositeur qui demande de nombreuses respirations, un peu d’humour et de légèreté pour mieux faire ressortir les moments dramatiques de ses œuvres. Dan Ettinger dirige de manière trop monolithique une œuvre qu’on doit ciseler au contraire avec beaucoup de facettes et de subtilité.
Par contre le plateau vocal du trio que j’avais déjà vu ensemble à Garnier en début de saison dans la Traviata, confirme son excellence et son adéquation aux trois rôles, séparément et ensemble.
Pretty Yende a tout compris des contradictions de la jeune Manon, de son aspiration à la liberté, de sa jeunesse dont elle veut tant profiter et du drame qui se nouera autour de ses relations avec Des Grieux. C’est bien chanté et magnifiquement interprété. Benjamin Bernheim est le meilleur Des Grieux de ces dernières années : chant magnifique, souffle infini, timbre exquis, il sait se montrer jeune et volage, puis grave et sérieux, passionné et déchiré (ah la scène de Saint Sulpice !) et vous faire ressentir les mille émotions du personnage. Lescaut de grand luxe, Ludovic Tézier est à son habitude, dominant et royal sur scène, donnant une dimension supplémentaire au personnage parfois un peu négligé dans les distributions, du frère de Manon, par qui une partie des malheurs arrive.
Bref, un gros regret : ne pas avoir vu ce Manon sur scène… en entier !


20 mars, le Trovatore (Verdi), Munich, BSO.
Ce Trovatore que j'ai vu en juillet 2013 à Munich est rempli pour moi de souvenirs émus, sans doute parce qu’il sortait résolument de l’ordinaire du fait d’une mise en scène baroque et moderne d’Olivier Py et surtout parce que le couple déjà mythique formé par Anja Harteros et Jonas Kaufmann, démontrait une fois encore son incomparable talent dans une œuvre parfois assez loufoque au livret abracadabrantesque. Des Trovatore il n’en manque pas, c’est une œuvre régulièrement donnée un peu partout dans le monde. Celui-ci restera unique dans ma mémoire et le voir en retransmission est tout à la fois réconfortant et émouvant face à la question : reverrons-nous bientôt ces artistes merveilleux sur scène dans de nouvelles aventures ?


26 mars, die Walkure (Wagner) MET
Die Walküre, MET Opéra 2011, Eva-Marie Westbroek, Jonas Kaufmann, Bryn Terfel, Deborah Voigt. Mise en scène de Lepage.
Ce « Ring » est un classique désormais, régulièrement donné au MET. Je n’ai regardé à nouveau que la Walküre. Un nouveau « Ring » était prévu à Paris Bastille à partir de début avril qui aurait permis d’ailleurs de retrouver le couple Westbroek/Kaufmann en frère et sœur jumeaux et incestueux, mais tout a été annulé, le monde de l’opéra s’étant tu pour de nombreux mois. De ce premier jour du Ring, revu avec émotion, on retiendra le magnifique et magistral Siegmund de Kaufmann (son premier…), qui offre son interprétation personnelle de Wagner, loin de certaines traditions (pas forcément wagnériennes d’ailleurs) de concours de décibels, offrant un chant rempli de nuances et de changements de style et de ton pour faire vivre le drame du personnage, ses colères, ses moments héroiques et ses moments poétiques comme autant de passages contrastés, du presque « Lied » de Winterstürme au double « cri » de « Wälse » parfaitement contrôlé et impressionnant de longueur, en passant par la rencontre avec la Brünnhilde de Deborah Voigt au deuxième acte juste avant sa mort. Eva-Marie Westbroek faisait aussi des débuts très remarquées en Sieglinde et son incarnation est absolument magnifique là aussi le timbre est encore intact et le phrasé superbe. J’ai eu l’occasion de les réentendre ensemble dans l’acte 1 durant un concert mémorable à Amsterdam, puis de réentendre encore le Siegmund de Kaufmann en entier lors du Ring dirigé par Petrenko à Munich, l’été 2018. En Wotan Bryn Terfel ne rencontre pas son rôle le plus réussi même s’il parvient à nous émouvoir dans sa magnifique scène finale tout comme Deborah Voigt est une Brünnhilde très inégale. Mais on ne boudera pas son plaisir de revoir, dans une très belle mise en scène, un morceau choisi du Ring.
(il existe en DVD complet pour les amateurs).   


Roberto Devereux MET 30 mars
Revu Roberto Devereux (Donizetti) dans la mise en scène de Mc Vicar que nous aurions du voir au Théâtre des Champs Elysées si le coronavirus n'avait pas frappé... C'est donc l'une des représentations du MET en 2016 qui nous était proposée. Je l'avais vu à l'époque en retransmission cinéma. Exceptionnelle distribution et très belle direction d'acteurs : Sondra Radvanovski, très engagée et fascinante reine Elizabeth, on peut trouver parfois le timbre un peu strident, mais impossible de ne pas succomber à l'exceptionnelle incarnation, Elina Garanca dans l'un de ses plus beaux rôles (avec la Favorite du même Donizetti), noblesse, beauté, douleur, le magnifique baryton Mariusz Kwiecien quo'n ne voit plus guère hélas suite à des soucis récurrents de santé mais qui à l'époque était au sommet de son art et de son talent (et que j'avais également vu dans la Favorite à Munich), et Matthew Polenzani, son art de la nuance et là aussi, si on excepte quelques toutes petites faiblesses, démontre une bien belle adéquation au rôle. Une version de référence...au final littéralement époustouflant.


1er avril Lucia Di Lamermoor (Donizetti) Munich BSO
C'est la retransmission d'une des représentations de la première série de cette production qui est proposée actuellement (et exceptionnellement comme programme "alternatif" du fait de la fermeture des salles, sur le site de l'opéra de Munich.
Il s'agit de la séance du 8 février 2015 sous la direction de Kiril Petrenko et avec 
Lord Enrico Asthon Dalibor Jenis 
Lucia Asthon Diana Damrau 
Sir Edgardo di Ravenswood Pavol Breslik 
Lord Arturo Bucklaw Emanuele D'Aguanno 
Raimondo Bidebent Georg Zeppenfeld 
Alisa Rachael Wilson 
Normanno Dean Power
Rien que pour la qualité de l'orchestre, la beauté du Glass Harmonica (que la caméra filme plusieurs fois), la direction inventive de Kiril Petrenko, ce spectacle vaut d'être vu (ou revu pour moi...).
Diana Damrau n'est pas ma Lucia préférée mais l'engagement est impressionnant (trop peut-être même dans la folie ?), et l'ensemble de la distribution masculine est de très bonne tenue, notamment Dalibor Jenis (qu'on ne voit pas assez souvent :wink: ) et surtout Georg Zeppenfeld qui donne un relief inhabituel au personnage.
J'avais vu cette mise en scène quelques années plus tard avec une autre distribution (dont Adela Zaharia, découverte de la soirée remplaçant Diana Damrau malade, Piotr Beczala dont la voiture n'avait pas voulu démarrer au moment-clé et Ludovic Tézier).



2 avril Parsifal (Wagner) BSO Munich
J'ai vu hier soir, la retransmission de ce Parsifal proposé actuellement par l'opéra de Munich à l'occasion du confinement. J'étais dans la salle le jour de la captation, je n'avais donc pas vu le film retransmis à l'époque en direct une seule fois. C'était le 8 juillet 2018, au début du festival d'été de la BSO, et le jour de l'oper für alle, celui où l'ont peut suivre gratuitement la projection sur grand écran sur la place devant l'opéra qui était, à l'occasion, noire de monde, les 5 heures de Parsifal ne rebutant pas le bavarois enthousiaste et wagnérien dans l'âme.
Si l'on perd un peu, du fait des gros plans, de la vision d'ensemble d'un décor et d'une scénographie fidèle à la lettre à un Wagner repeint avec talent par Bazelitz (et Audi), on gagne une vision des détails des expressions et émotions traduites par les visages des protagonistes d'une distribution de très grande qualité. Le jeu des lumières prend un relief particulièrement séduisant quand les éclairages caressent les corps valorisant les souffrances et les doutes, la peine, le sang, la douleur, et la beauté tout à la fois.
Je ne reviendrai pas sur les détails de la mise en scène très esthétisante et à plus d'un titre bouleversante, pour m'attacher surtout à l'absolue réussite du choix musical fait par Kiril Petrenko qui insuffle en quelque sorte une homogénéité de style aux artistes (fabuleux choeurs compris) où l'art de la nuance, l'expressivité, la coloration du timbre, les changements de style, tout ce qui créée l'émotion, sont dominants. Jamais les voix ne sont forcées, toujours les timbres sont harmonieux, on est loin très loin des recherches de décibels de certains chefs d'orchestre qui poussent à l'extrême l'orchestre forçant les chanteurs à hurler. Et je dois le dire... Nina Stemme dans ce cocon musical parfait, livre une prestation d'une beauté sidérante où la voix se fait charmeuse, amoureuse, malheureuse, remplie de pitié et d'empathie, campant une Kundry aux multiples facettes (la voix comme le physique évoluent de manière impressionnante). Je ne vois pas de meilleur Parsifal aujourd'hui que Jonas Kaufmann, physiquement magnifiquement valorisé par la prise de vue, non seulement du fait d'un chant qui reste exceptionnel et peut-être encore plus fouillé et complexe que ses précédents Parsifal déjà passionnants, d'une diction qui frise la perfection, et d'un sens des nuances qui s'exprime au milieu même d'une phrase musicale "héroïque" (avec toujours le merveilleux accompagnement de Petrenko) mais parce que à chaque seconde et sans relâche, il incarne cet enfant naïf et vaguement effrayé qui sauvera le Graal après avoir résisté à la séduction. La caméra permet de profiter pleinement de cet art qui se lit sur ses traits et ses postures et qui lui est propre à l'heure actuelle. Et sacrément séduisant. 
René Pape est également un habitué de Gurnemantz qu'il campe avec une certaine bonhomie qui sied au personnage le rendant plus qu'humain et véritable éducateur du jeune étourdi qu'est Parsifal à l'acte 1. Son long récit est si coloré musicalement, si parfaitement prononcé, qu'il ne créée aucun ennui malgré son incroyable longueur, nous faisant vivre les malheur du Graal et d'Amfortas sans effet particulier de mise en scène, sur le simple talent immense de chanteur de la basse allemande. Chapeau.
L'Amfortas de Christian Gerhaher a fait l'objet à l'époque de controverses que je ne partageais pas lorsque je l'ai vu en live, et qui me paraissent toujours très exagérées dans le cadre de cette retransmission. Certes le timbre du baryton, spécialiste du Lied mais interprète génial également d'un Wozzek et d'un Wolfram, n'est pas forcément celui qu'on attend dans le rôle d'Amfortas, qui manque sans doute parfois un tout petit peu de relief, mais l'incarnation est subtile et ne dépare absolument pas dans le choix musical équilibré d'un Petrenko.
Le Klingsor de Wolfgang Koch est parfait dans le rôle du "méchant" traité là aussi sans la moindre caricature, avec subtilité et richesse d'interprétation qui sont le propre du baryton rompu à toutes sortes de rôles wagnériens et qui excelle si souvent sur la scène de Munich qu'il en est devenu un incontournable.
Une lecture de Wagner que j'apprécie de plus en plus, qui valorise les timbres et les couleurs, et permet à chaque chanteur d'exprimer le meilleur de lui même sans rechercher l'effet "décibel" (qui dominait par exemple dans le Parsifal à la Bastille deux mois plus tôt). Dans cette salle à l'acoustique parfaite (en dehors des sièges latéraux extrêmes), le relief de cette partition qui frôle souvent le génie, et les dialogues entre l'orchestre et les chanteurs, étaient parfaitement rendus.
Les ovations à la fin de chaque acte et l'ovation finale qui s'est terminée avec la sortie des chanteurs et du chef sur l'esplanade de l'opéra, ont été à la hauteur de ce premier événement du festival de 2018 (quinze jours plus tard, un Ring mémorable était donné dans cette même salle).
Un peu de nostalgie aussi en évoquant ce souvenir...


3 avril les Pêcheurs de Perle (Bizet) MET
Revu avec plaisir cette très belle production bien jouée et plutôt bien chantée. Magnifique scène d'affrontement entre Zurga et Leila, une des plus impressionnantes de la représentation et très émouvant Nadir. Belle direction d'orchestre de Noseda et choeurs impressionnants.
La mise en scène de Penny Woolcock, pour cette série de représentations du MET, transpose l'action au Sri Lanka de nos jours, avec un rare bonheur : décor superbe de maisons sur pilotis, un peu d'exotisme mais pas trop, la mer et ses pêcheurs en eau profonde, et ses vagues menaçantes, et son tsunami en guise d'orage, représentés (fort bien) dans une vidéo de fond d'écran, la maison de Zurga, sorte de gigantesque fatras de livres, de dossiers, et l'incendie du final, tous les décors font mouche. Si on rajoute ces scènes de foule au mouvement précis et rythmé avec un choeur musicalement très au point, tout est fait pour donner un cadre enchanteur à l'ensemble de l'opéra, qui lui sied fort bien. 
Mariusz Kwiecień campe un Zurga magnifique, même si sa voix est un peu terne au départ, le baryton Polonais a parfois un peu de mal à se chauffer mais c'est juste la critique d'une fan inconditionnelle car ensuite la voix prend son envol magnifique habituel, son jeu d'acteur est phénoménal comme à l'habitude. Mariusz Kwiecień est un des meilleurs barytons actuels, sans doute parce qu'il allie une très belle lignes de chant, un véritable interprétation de ces rôles (le baryton est souvent le "méchant", mais il a presque toujours une part d'humanité et de contradictions), et un engagement scénique d'acteur très efficace. Il a malheureusement eu quelques problèmes de santé ces deux dernières années, qui l’ont conduit à annuler beaucoup de ses engagements….
Diana Damrau a le charme discret de la prêtresse, belle sous ses voiles de toutes les couleurs, et module magnifiquement une voix parfois un peu acide dans les aigus, mais avec un style de grande classe. On croit à sa Leila, d'un bout à l'autre de l'opéra, à ses hésitations, à sa loyauté, à son amour pour Nadir, à ses réserves dues à sa fonction. Je ne suis pas fan de la soprano allemande, mais elle prouve que, bien dirigée, elle est très convaincante.
Matthew Polenzani nous offre une belle leçon de chant dans un rôle difficile, qu'il prend en "voix mixte" sans chercher la facilité, nous emmenant dans son beau rêve de pêcheur amoureux et rêveur. Son "Je crois entendre" est un modèle du genre. Et, un peu à la manière du Rodolfo de Calleja, il sait utiliser son physique pour camper un Nadir émouvant, un peu naïf, la tête dans les étoiles, jouet du destin qui émeut à plusieurs reprises jusqu'aux larmes.
Nicolas Testé, le seul chanteur Français de la troupe (mais ils chantent tous très bien dans notre langue), a l'autorité nécessaire à son rôle et impressionne dans ses scènes. Globalement le spectacle vaut d'être réécouté et revu.
Belle direction d'orchestre pour moi, ni trop rapide, ni trop lente, interprétant un Bizet très chantant, sachant mettre les accents sur les côtés tragiques et donnant un relief nouveau aux thèmes les plus connus.
Très, très belle réussite que j'avais déjà noté à l'écoute, qui se confirme en voyant l'ensemble.


8 avril Cavaliera Rusticana - Festival de Salzbourg
Ce soir, j’ai revu le magnifique Cavaliera Rusticana du festival de Salzbourg (disponible en livestream sur le site), vu en salle en 2015, Jonas Kaufmann, Ambroglio Maestri, Luidmyla Monastyrska sous la direction de Christian Thielemann. Du grand opéra vériste...
Cinq ans après avoir vu la représentation en salle, je retrouve une émotion intacte avec cette montée de la tension perceptible et très bien rendue tant par la mise en scène que par le jeu et le chant des interprètes et la direction serrée, précise et dramatique de Thieleman. Pas de pathos superflu, un drame sicilien presque "ordinaire" dans un village très réaliste avec ce formidable "jeu" des fenêtres qui s'ouvrent et se ferment sur les secrets d'alcôve et les passions déchainées.
Kaufmann exceptionnel dans un rôle dont il chante souvent en récital les grands airs (je l'avais d'ailleurs entendu avant Salzbourg au gala de Baden Baden en juillet 2013, dans une interprétation époustouflante des duos avec la Santuzza de Elina Garança) mais qu'il n'a jamais depuis Salzbourg interprété intégralement. Liudmyla Monastyrska passe un peu moins bien à la retransmission qu'en "vrai", ce n'est pas une voix très phonogénique (contrairement à celle de Kaufmann d'ailleurs) et c'est un peu dommage. Le timbre semble parfois devenir un peu ténu alors que la soprano nous avait donné une très belle prestation, très égale sur toute la tessiture, dans un rôle qui sied aux mezzo-soprano comme aux sopranos dotées, comme elle, d'un solide médium.
Maestri comme à l'ordinaire époustouflant.
Les applaudissements ont été gommés à l'enregistrement, mais, dans mon souvenir, beaucoup de grands airs et de duos ont été chaleureusement applaudis en cours de route.
Pagliacci (à suivre dans la retransmission du festival), était donné le même soir dans la foulée et un Requiem de Verdi assez inoubliable lui aussi avait été donné deux jours avant (Liudmyla Monastyrska- Anita Rachvelishvili- Jonas Kaufmann · Ildar Abdrazakov ).



9 avril Falstaff (Verdi) MET
Falstaff ce soir, les retransmissions du MET opéra, à ne pas rater !
Dans une très belle mise en scène de Robert Carsen (entre modernité et frantaisie), ce Falstaff est l’un des plus réussis de ces dernières années.
Ambroglio Maestri (encore !) dans le rôle titre, le meilleur Fasltaf actuel est éblouissant de drôlerie et de bêtise, infatué de lui-même et aveugle aux moqueries de ses proches, explose littéralement musicalement et scéniquement sans temps mort. C’est très bien chanté avec les excès du personnage parfaitement maitrisés et une leçon de chant de très haut niveau. Mais c’est l’ensemble du plateau qu’on revoit avec plaisir : le Ford très bien chanté de Franco Vassalo, la truculente Alice d’Angela Meade, la désopilante Mistress Quickly de Stephanie Blythe et le charmant couple formé par Lisette Oropesa and Paolo Fanale en Nannetta and Fenton. Et puis, surtout, la formidable direction musicale de James Levine.

11 avril Parsifal (Wagner) MET
Parsifal au MET cette fois, enregistrement de 2013. Plaisir et émotion de revoir cette superbe mise en scène de Girard, sans doute la plus belle, la plus réussie, la plus émouvante depuis une quinzaine d'années (et j'en ai vues pas mal...). Version plus spirituelle et "biblique" que celle qu'Audi avait réalisée pour Munich (et qu'on peut encore revoir sur le site de l'opéra de Munich), la deuxième dans mon ordre de préférence et qui serait, disons, plus "légendes des forêts profondes germaniques". Les deux interprétations sont extrêmement satisfaisantes et illustrent magnifiquement ce qui pour moi, reste le plus bel opéra de Wagner (avec Tristan). La direction de Daniele Gatti n'égale pas à mes oreilles, celle de Kiril Petrenko (Munich) notamment lors de l'ouverture et de l'acte 1 qui m'ont paru un peu lents et manquant de couleurs. Par contre dès l'acte 2 (le plus impressionnant musicalement) et à l'acte 3, le maestro italien brille de mille feux. Et puis reconnaissons lui la qualité de donner, lui aussi, du Wagner contrasté sans avoir pour objectif de faire du décibel là où les infinies nuances sont nécessaires.


Question "interprétation", nous avions déjà en 2013 au MET, le "couple" Jonas Kaufmann en Parsifal et René Pape en Gurnemantz. A la réserve près des différences de mise en scène avec Munich (qui ne sont pas, dans leurs rôles, si importantes que cela), les deux chanteurs étaient déjà exceptionnels et finalement, possédaient déjà cette qualité du chant wagnérien capable d'exprimer de longues lignes musicales lyriques brusquement interrompu avec force par l'irruption du chant héroïque, sans que leurs voix ne paraissent affectées par la parfaite maitrise de cet art. Ajoutons l'extrême humanité (déjà) du Gurnemantz de René Pape, et l'habileté de Kaufmann à changer totalement de voix et de personnage au milieu de l'acte 2 avec le fameux "Amfortas die WUnde", devenu légendaire. 
Exceptionnel aussi dans cette "version" du MET, l'Amfortas de Peter Mattéi (inégalé sur ces quinze dernières années à mon avis même si j'en ai entendu d'excellents). Il y a, je crois, pour Peter Mattéi, ce "plus" qui fait qu'après l'avoir vu, on n'imagine plus Amfortas autrement que dans la peau de ce chanteur grand par la taille et par la qualité d'incarnation, appuyé sur ses béquilles humaines, à bout de force, prêt à mourir juste avant que la lance de Parsifal ne le sauve enfin...
Là où le bât blesse (un peu), c'est avec la Kundry de Katharina Dalaymann, nettement moins convaincante de Nina Stemme (Munich), timbre trop ténu pour un rôle qui nécessite un très solide médium colorée et changeant que la soprano ne domine pas vraiment. Du coup le chant et le personnage sont assez uniformes alors qu'à l'instar de Parsifal, Kundry subit de très importantes métamorphoses durant l'opéra.
Le Klingsor d'Evguenni Nikitine n'est pas non plus exempt de défauts mais au moins, a-t-il, avec un faux air de Jack Nicholson dans Shinning, l'air d'un parfait méchant.
Les choeurs, masculins, féminins, l'ensemble et les solistes des superbes filles-fleurs, parachèvent une représentation "de référence" ne serait-ce que par la beauté des décors et des ensembles fresques "picturaux" que la mise en scène imagine, tableau par tableau, dans un ensemble terriblement émouvant.

14 avril Rusalka (Dvorak) MET
Reprise de cette mise en scène diffusée en 2014 au cinéma en retransmission direct, proposée ce 14 avril pendant le coronavirus par le MET en retransmission gratuite
Si la voix de Renée Fleming se perd un peu dans les grandes salles en « live », elle est plutôt valorisée dans cette retransmission et c'est avec plaisir qu'on retrouve cet art et cette grâce assez unique (pareil pour son interprétation de la Maréchale ou d'Arabella par exemple) et ce beau timbre qui compense largement quelques faiblesses dans les passages plus héroïques d'un rôle qui est loin d'être anecdotique vocalement même si Renée Fleming semble tout maitriser même la langue.
Emily Magee est également royale dans son rôle tout comme Piotr Beczala qui campe un prince un tantinet mièvre (pour mon gout) mais après tout, le personnage assez ambigu de ce conte, peut aussi s'interpréter ainsi. Personnellement, trois ans plus tard, celle de Brandon Jovanovitch (époustouflante dans sa rudesse et son originalité) m'avaient paru beaucoup plus adéquates. Question de goût, ces deux ténors sont radicalement différents dans leurs approches des rôles.
Bonne princesse de Dolora Zajick mais papa décevant de John Relyea dont je n'ai pas trouvé le timbre très séduisant et qui manque singulièrement de couleurs dans le timbre.
La mise en scène est kitsch mais cinématographiquement, elle est agréable à regarder, comme un écrin de jolis tableaux assez évocateurs des situations et les costumes jouant, comme les décors, sur le contraste couleurs chaudes/couleurs froides sont plutôt réussis. Dans le genre traditionnel selon le coeur de Jérome, j'aime bien celle-ci pas trop chargée et très bien vue.
Enfin Yannick Nézet Séguin, à son habitude, donne du relief à l'ensemble avec sa fougue habituelle et son délicat respect pour les chanteurs et les solistes instrumentaux de cette superbe partition.

15 avril Boris Godounov MET
Honnêtement j’ai moyennement accroché à ce Boris Godounov dans une mise en scène de Stephen Wadsworth, conventionnelle et un peu terne. Pourtant la direction musicale de Gergiev était magnifique tout comme l’interprétation du rôle-titre par le grand, l’immense René Pape, qui est sans doute l’un des plus grands interprètes de ce rôle difficile dont il fait ressortir les nuances et la complexité avec génie. Mais dans l’ensemble j’ai eu plutôt l’impression d’une succession de belles performances que d’une histoire racontée avec interaction entre les personnages. Question « voix » c’est très réussi dans l’ensemble en particulier la Marina d’Ekaterina Semenchuk, le splendide Pimène de Mikhail Petrenko, décidément en tous points remaquable tout comme Alexey Markov qui campe l’autorité de Schelkalov avec un talent insolent, ou même le Rangoni de Yevguenni Nikitine. Par contre je resterai décidément vraiment pas convaincue par les prestations du ténor Aleksandr Antonenko, dont la voix avait déjà à l’époque des « trous » et des problèmes récurrents avec la justesse et qui nous offre un Dimitri assez débraillé vocalement (je précise que je l’ai vu par la suite dans pas mal de rôles, notamment à Bastille, dont Radamès, Samson et Otello et que j’ai fini par le mettre définitivement sur ma « liste noire » malgré les critiques favorables qui se sont longtemps succédées à son propos).

17 avril Macbeth Liège
Revu hier sur Mezzo ce Macbeth permet surtout de revoir l'exceptionnelle Lady de Tatiana Serjan qu'on ne voit pas assez souvent, hélas.
Engagement, subtilité, nuances, force du drame, couleurs, tout y est pour une chanteuse/actrice qui brûle les planches. J'ai adoré la revoir.
Léo Nucci donne l'impression d'être un peu au bout du rouleau. Bref, il garde une belle allure malgré tout !


16 avril Dame de Pique (Tchaikovsky)  Mariinsky
Valery Gergiev (Direction)
Maxim Aksenov (Ténor) : Herman
Irina Churilova (Soprano) : Lisa
Roman Burdenko (Baryton) : Count Tomsky
Maria Maksakova (Mezzo-soprano) : Countess
Le soir c'est opéra pour moi, et ce soir c'était la Dame de Pique, une de mes oeuvres préférées du merveilleux répertoire russe, retransmission depuis le Mariinsky de Saint Pétersbourg, une magnifique mise en scène de 2015, sous la direction du maestro Valery Gergiev, avec une distribution époustouflante dominée par l'étonnant et fascinant Herman du jeune Maxim Aksenov. Très belle production impressionnante de beauté dotée d'une magnifique direction d'acteurs. Gergiev très à son aise dans son répertoire préféré.
Distribution plutôt homogène, haute qualité russe avec l'étonnant et fascinant Herman du jeune Maxim Aksenov qui mériterait une carrière moins confidentielle. Il n'avait alors que 25 ans et sa maitrise vocale et scénique d'un rôle qu'il habite littéralement, est assez bluffante.
très beaux "tableaux" à l'occasion des scènes de choeurs.
Duos magiques notamment Liza/Polina. De très grands moments avec la comtesse également.
Barytons excellents (mais qu'on a déjà vu dans ces rôles).
Bref, une super belle soirée

18 avril  - Die Frau Ohne Schatten Munich 
Quelques mots à propos de cette "Frau Ohne Schatten" de Richard Strauss, production de Warlikowski de 2013 à Munich : il faut d'abord souligner l'excellence de Kiril Petrenko, alors nouveau directeur musical de Munich, déjà connu et apprécié par pas mal d'entre nous à cause (notamment ) de ces Ring à Bayreuth. Les applaudissements qui lui sont réservés montrent en effet que le public du BSO, adopte d'emblée cette exceptionnel chef qui confirmera d'année en année, son talent avant d'être élu chef d'orchestre du Berliner Philharmoniker. Espérons qu'en ces temps troublés, la prochaine saison, dernière avec la présence du maestro, pourra se dérouler sans encombre mais rien n'est moins sûr, hélas.
J'ai trouvé également que Elena Pankratova en teinturière et Wolfgang Koch en Barak, dominaient nettement le plateau vocal : je l'ai revue à Berlin l'an dernier (dans la mise en scène de Guth au Staatsoper), elle incarne son rôle avec énormément de sensibilité sans faiblir face aux acrobaties vocales (un tout petit peu de fatigue sur la fin peut-être mais très secondaire) et campe une femme blessée qui cherche sa raison de vivre avec beaucoup de crédibilité. J'aime son timbre et son style, elle vous touche par la puissance de sa voix sans jamais paraitre à bout de souffle ou criarde, bref, pour moi, c'est l'une des meilleures teinturières.
Wolfgang Koch, magnifique baryton, à la voix sombre et sobre, que nous avons eu l'occasion d'entendre dans de multiples rôles (notamment wagnériens) dans son port d'attache de Munich, montrait là une belle interprétation techniquement impressionnante (mezzo voce, diminuendo, changements de couleurs très bien maitrisés) et humainement touchante.
Adrianne Pieczonka est une très belle et très élégante Kaiserin mais la voix ne suit pas toujours et les aigus sont parfois bien tirés (elle me fait penser aux problèmes actuels d'une Eva-Marie Westbroek avec la même tendance à "jeter" ses aigus qui peuvent devenir soit criards, soit en délicatesse avec la justesse) mais elle a des moments magnifiques notamment tout le dernier acte qui sollicite moins les excès vocaux et lui permet de déployer son beau soprano/
J'ai trouvé que Deborah Polaski en nourrice était un peu le point faible de la distribution : elle peine à avoir l'air vraiment méchant, la mise en scène ne la sert pas vraiment, et elle parait à plusieurs reprises un peu dépassée par le rôle.
Johan Botha chantait bien et même très bien mais hélas avec bien peu de charisme, pas vraiment de passion, pas mal de "transparence". Les qualités vocales du regretté ténor sont incontestable dans ce rôle comme dans d'autres tels que Tannhauser, Walter, Lohengrin ou Otello, et sa technique est toujours d'une grande qualité mais l'incarnation de ses personnages restait souvent un peu en surface.
La mise en scène de Warli est foisonnante, colorée, avec de multiples références cinématographiques à son habitude (premières images vidéo de L'année dernière à Marienbad d'Alain Resnais), pas forcément tout à fait convaincante mais avec des images fortes dominées par l'enfant, son absence, sa présence, son omniprésence même, les obsessions que fait naitre le désir d'enfant. A voir même si ce n'est pas dans cet opéra, ma mise en scène préférée.
Et puis quand même, quelle oeuvre phénoménale sur le plan musical....
A revoir par ce lien

19 avril Norma (Bellini) ROH de Londres 
Revu hier soir sur Mezzo et mis du temps à retrouver le fil. 4 ans déjà...
Bref rien à dire sur la mise en scène, je n'avais vu cette Norma qu'en salle (quel souvenir) et moult détails n'apparaissaient pas nettement (surtout depuis le haut de l'amphi au ROH) : c'est le décor monumental et impressionnant de cette "fusion" de croix christiques comme enserrant littéralement les personnages qui dominait presque exclusivement avec des jeux de lumière très impressionnants.
Le détail est nettement moins impressionnant évidemment, voire sans grand intérêt. Contrairement à ce qui se dit parfois ici, les mises en scène sont souvent bien meilleures "en vrai" (ne serait-ce que par leur amplitude) qu'en retransmission où l'on ne voit plus qu'un personnage en gros plan.
Bref.
Par contre Pappano+Yoncheva+Calleja, c'est un trio gagnant qu'on réentend avec un immense plaisir. 
Calleja est, comme dans mon souvenir, le meilleur Pollione entendu ces dernières années, il a tout, le timbre, le style, l'engagement, l'intelligence du rôle. Yoncheva faisait ses débuts en Norma, débuts qu'elle n'a pas confirmé par la suite, passant à autre chose et c'est bien dommage : sa Norma avait une classe folle et aurait pu murir encore, tant le rôle comporte des airs magnifiques, différents, qui nécessitent un travail de fond. Bref, elle m'émeut toujours autant malgré tout....
Plutôt agréablement surprise a posteriori par Ganassi qui s'en sort mieux que dans mon souvenir.
Et puis Pappano, royal, formidable. Orchestre et choeurs très en forme aussi.
Bref à revoir....


20 avril - Rosenkavalier (Strauss) MET 
Revu ce Rosenkavalier de Strauss dans la splendide mise en scène de Carsen : trois actes, trois décors fabuleux, une direction d'acteurs intelligente à tel point qu'on se demande comme les interprètes font preuve d'autant de charisme scénique tout en chantant merveilleusement bien. Ils sont tous épatants mais je ne me rappelais pas à quel point Günther Groissböck était excellent en Baron Ochs. Elīna Garanča se surpasse en permanence en Octavian, sans jamais surjouer passant d'un genre à l'autre, d'un état d'âme à l'autre avec un talent fou. Erin Morley a énormément de personnalité dans un rôle parfois mièvre à qui elle donne un sacré caractère et Renée Fleming se fond parfaitement dans le costume très "classe" de la Maréchale (c'était sa dernière) et nous fait fondre littéralement lors de ses adieux émouvants.
Bref, une grande soirée avec un grand opéra.



23 avril Les contes d’Hofmann (Offenbach)  MET
 Ce soir, les Contes d'Hoffmann d'Offenbach, production du MET de New York de 2009 avec Anna Netrebko, Kathleen Kim, Ekaterina Gubanova, Joseph Calleja, direction James Levine.
Belles retrouvailles avec ces Contes dans une mise en scène de Bartlett Sher, et surtout sous la baguette franchement géniale dans ce répertoire (mais pas que…) de James Levine.
Joseph Calleja alors en grande forme vocale, prouve s’il en est besoin, qu’il maitrise particulièrement bien ce rôle, sans doute l’un des meilleurs Hofmann de ces dix dernières années, élégance de la ligne de chant, beau timbre et incarnation séduisante, chapeau ! Ebouriffante Kim en poupée mécanique, belle Gubanova et excitante Netrebko dans une de ses réussites incontestables. J’ai d’ailleurs beaucoup vu Anna Netrebko dans toutes ces retransmissions, et franchement, repasser en revue une partie de sa carrière éblouissante a été l’un des grands plaisirs de cette série….



24 avril - Eugène Onéguine (Tchaikovsky ) Mariinsky
Ce soir un magnifique Eugène Onéguine (Tchaikovsky) issu du Mariinsky de Saint Petersbourg (2015), sous la direction de Valery Gergiev. Très belle mise en scène très efficace d'Alexei Stepanyuk, artistes de la troupe du Mariinsky, parfaitement adéquats aux rôles, excellents acteurs et chanteurs. Plateau vocal grand luxe finalement par la subtilité des interprétations du cynique Eugène Onéguine de Roman Burdenko qui comprendra trop tard ce que sa morgue de dandy lui aura coûté, la délicieuse juvénile et rêveuse Tatiana de Yekaterina Goncharova, le romantisme déchirant du merveilleux Lenski de Evgeny Akhmedov sans oublier les seconds rôles luxueusement tenus par tous et toutes. Saint Petersbourg excelle décidément dans l'opéra russe, et nous réserve toujours d'excellentes surprises.


27 avril Attila Mariinsky
Ce soir, Attila, retransmission du Mariinsky de Saint Petersbourg (2010) avec le meilleur Attila du moment, Ildar Abdrazakov et une très belle équipe Anna Markarova, Vladislav Sulimsky, Sergei Skorokhodov, Mikhail Makarov, Timur Abdikeyev (jeunes interprètes russes remarquables comme l'est toujours la troupe de Saint Petersbourg), direction Valery Gergiev, belle mise en scène, choeurs superbes, et surtout un rôle-titre (le premier Attila d’Iladar ?) magistralement maitrisé par la jeune basse déjà star d’ailleurs à l’époque au moins chez elle à Saint Petersbourg. Efficace et impressionnante retransmission.


27 avril Munich Récital Jonas Kaufmann/Helmut Deutsch
Dichterliebe de Schumann. En direct, en « vrai » mais sans public….
Concert de Munich magnifique, une tristesse insondable de voir la salle vide de l'opéra que nous connaissons si bien et tellement d'émotions de voir et d'entendre les artistes "maisons" et "notre Jonas Kaufmann" comme l'a affectueusement présenté le directeur Bachler. 
Un Kaufmann en état de grâce (et la voix étonnamant claire) créant une intense émotion par une interprétation inspirée, plus extravertie et intense que traditionnellement, presque rageuse par moment (« Ich grolle dich » fascinant) mais toujours infiniment maitrisée, remplie de couleurs et de variations sur chaque mesure, sur chaque note, autour de ces magnifiques Dichterliebe (les « amours du poète » de Robert Schumann. Et puis il y a l’immense complicité (même à « distance ») avec le pianiste Helmut Deutsch, son professeur de Lieder qui, à l’époque de l’école de musique de Munich, l’avait choisi pour sa fougue et son caractère vif. Qu’il a su « dompter » d’ailleurs, canaliser plutôt, tout en laissant à son élève cette manière bien à lui d’interpréter le Lied allemand. Il y a des années maintenant qu’ils sont partenaires dans cet exercice de « Liederabend » dont j’ai entendu de nombreux cycles à Munich, Paris ou même Barcelone, toujours avec beaucoup de bonheur.
J’ai d’ailleurs entendu chanter ces Dichterliebe par Jonas Kaufmann (et par quelques barytons de talent), à plusieurs époques de sa carrière et, comme souvent chez les grands interprètes, le plus passionnant est de découvrir sa faculté à faire évoluer sa lecture du répertoire. Il est facile d’imaginer que le contexte a rajouté, cette fois, quelques touches supplémentaires dans la charge émotionnelle que Kaufmann renvoie à un public virtuel dans une salle qui est presque la sienne. Avec ses derniers mots avant le « baisser » du rideau : « ce n’est pas pareil sans audience ».


28 avril Anna Boleyna (Donizetti) MET 
Ce soir.... (mais ce n'est pas la première Anna Boleyna d'Anna....qui avait pris le rôle quelques mois plus tot à Vienne.
Très belle production "classique" mais avec une superbe direction d'acteurs de Mc Vicar (en costumes mais simples). Un vrai plaisir de retrouver Anna Netrebko dans l'un de ses très beaux rôles qu'elle incarne avec talent, timbre tout à la fois délicat et corsé, quelque chose d'assez unique qui n'est jamais vulgaire tout en ayant une force de caractère étonnante, bref notre "Anna" dans un rôle de bel canto qu'elle maitrise bien, et qui n'est certainement pas devenue la superstar qu'on connait aujourd'hui par hasard. Quel talent et quelle présence sur scène. Ildar Adrazakov qui chantait le roi un an à peine après son éblouissant Attila revu avant-hier depuis le Mariinsky de Saint Pétersbourg, lui donne la réplique de sa belle voix de basse, encore juvénile et séduisante de même que la troisième russe du plateau, Ekaterina Gubanova, belle "Seymour" remplie d'émotions à fleur de peau, presque fragile par instant face à la force incroyable de sa compatriote. Et puis jolie surprise avec le Percy de Stephen Costello qui était manifestement au sommet de sa forme, ténor énergique au bel canto agréable et partenaire engagé sur scène. Direction enlevée d'Armiliato et hélas, quelques coupures fâcheuses dans les reprises et cabalistes qui coupent un peu les ailes de l'oeuvre de Donizetti.



Le 29 avril - la Nonne Sanglante (Gounod) Opéra Comique 
Gros plaisir hier soir en regardant cette retransmission de la "Nonne sanglante", opéra "rare" de Gounod que j'avais vu en salle avec délice à l'époque. La captation cinéma est soignée, valorise les étranges et mystérieux éclairages, le jeu des acteurs/chanteurs, tous et toutes excellents, le charme un peu macabre de la mise en scène de David Bobée. Michael Spyres allie beauté du timbre, intelligence du chant, incarnation très crédible et diction parfaite pour camper un Rodolphe dont le rôle semble écrit pour lui. Il est magnifiquement accompagné par l'émouvant et majestueux Pierre de Jean Teitgen (quelle voix là aussi et quelle justesse ...), la mystérieuse et magistrale nonne de Marion Lebègue, la belle et énergique Agnès de ma chère NiNa Vannina (Santoni) que j'ai revue avec beaucoup d'émotion dans un de ses très beaux rôles, sans oublier l'excellent Jérôme Boutillier en Ludorf ou Jodie Devos, désopilant Arthur, et tous les rôles secondaires très bien tenus, le choeur Accentus comme toujours exceptionnel et la direction de Laurence Equilbey qui a participé à la dramaturgie avec le metteur en scène pour la re-création de cette oeuvre oubliée et lui donne cette touche de magie noire parfaite qui vous transporte. A regarder, lien sur le site de l'opéra comique.


Le 30 avril Boris Godounov Munich
Et ce soir pour moi ce sera Boris Godounov (production de 2013) retransmission de l'opéra de Munich avec Alexander Tsymbalyuk (direction Kent Nagano), mise en scène complexe et troublante de Calixto Bieito qui ne m’a pas convaincue, la transposition moderne ne fonctionnant pas très bien sur un opéra décidément difficile à mettre en scène. La représentation vaut surtout pour Alexander Tsymbalyuk, du fait de l’extrême beauté de sa voix et de sa prestance générale dans le rôle, renforcée par la crédibilité de sa jeunesse et de son élégance naturelle. Je l’ai revu dans ce rôle quelques années plus tard à Bastille, en alternance avec Ildar Abdrazakov, avec grand plaisir. C’est René Pape qui devait reprendre le rôle en juin…



2 mai L’Ange de Feu (Prokofiev) Munich 
A propos de l'Ange de Feu (Prokofiev) retransmis par Munich (Bayerische Staatsoper), production du metteur en scène Barrie Kosky, dont j'avais vu la retransmission en direct le 12 décembre 2015 et qui repasse dans les propositions de Munich au temps du coronavirus.
Barrie Kosky déplace l´action vers le 21ème siècle dans la suite d´un hôtel de luxe que les protagonistes ne quitteront pas un peu comme si tout ce cauchemar éveillé était tout droit sorti du cerveau de l'extravagante Renata qui sort d'ailleurs de sous le lit de la suite dès les premières minutes.
C'est très efficace, on entre très rapidement dans l’histoire, pas de temps mort, pas de diversion. Comme le lit bouge, les autres meubles vont également se déplacer trompant le spectateur (tiens ce n’était comme ça il y a quelques minutes) et le rétrécissement de la scène (dommage que la retransmission ne cadre pas toujours au bon endroit de ce point de vue) devient vite cauchemardesque. Ambiance correspondant parfaitement aux thèmes de l’opéra, à la musique, au chant et au jeu (très développé et très convaincant) des artistes.
La scène comme enfermée dans une boite (qui s'écrasera peu à peu d'ailleurs) devient rouge au moment de l'arrivée de Mefisto comme si elle avait littéralement pris feu. Beaucoup de représentations d'un expressionnisme exacerbé. C'est hallucinant et inoubliable et surtout, comme souvent avec Kosky, parfaitement en phase avec la musique du compositeur russe.
Le chef russe, Vladimir Jurowski, semble lui aussi possédé par la musique aux très riches contrastes de cet Ange de Feu. La tension qu'il imprime à la partition magnifique de Prokofiev (compositeur dont on n'entend, hélas, rarement les magnifiques opéras) n'est pas pour autant synonyme de décibels. Au contraire la musicalité domine à chaque instant et cette lecture analytique rend justice à une oeuvre magistrale.
Mais cette retransmission vaut aussi pour l'excellence de son plateau vocal et notamment la grande et belle surprise (et découverte à l'époque) du chant et du jeu de Svetlana Sozdateleva en Renata (Evelyn Herlitzius qui devant tenir le rôle, est tombée malade et a annulé). Un nom à retenir absolument : non seulement elle chante avec une voix beaucoup plus belle que celle d’Herlitzius mais en plus, elle a un engagement physique largement égal à cette dernière.
J’ai déjà entendu plusieurs fois Evgeni Nikitin (Klingsor, Don Pisarro, le Hollandais) mais je ne l’avais jamais trouvé aussi brillant que dans ce répertoire russe qui lui va comme un gant : superbe timbre, plein et entier dans le grave comme dans les aigus, aucun décrochage dans une partition pourtant difficile (et qui sollicite beaucoup ses solistes presque tout le temps sur scène), un jeu d’acteur parfait. 
Les autres rôles sont également très bien tenus avec la qualité munichoise habituelle qui ne se dément jamais ( citons : Goran Jurić (L’inquisiteur) ; Heike Grötzinger (L’aubergise) ; Elena Manistina (Diseuse de bonne aventure) ; Okka von der Damerau (Abbesse) ; Vladimir Galouzine (Agrippa von Nettesheim) ; Kevin Conners (Méphistophélès)


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