Opéras - Au fil des retransmissions - II

Chroniques d’opéras par temps de coronavirus – Partie II 


Privée d’opéras en salle, comme beaucoup d’amateurs passionnés, je me suis « contentée » de regarder nombre des retransmissions proposées par diverses maisons d’opéra, dont le MET, le Mariinsky ou l’opéra de Munich. J’ai noté quelques remarques plus ou moins développées à chaque fois. Les voici « rassemblées », pour cette deuxième partie qui va du 2 mai au 22 mai. En espérant voir bientôt l’opéra reprendre sa place normale dans les salles…

Gala inauguration du Mariinsky 2 le 3 mai
Réécouté hier soir le gala donné en 2013 par toute l'équipe du Mariinsky pour l'inauguration du Mariinsky2, l'autre salle de Saint Petersbourg. 
Superbe spectacle où se mêlent extraits de ballets et extraits d'opéras, et défilé d'artistes de grande qualité, Anna Netrebko dans Macbeth, Ildar Abdrazakov dans Rossini, rené Pape en Mefisto dans Gounod, Evguieni Nikitine dans Boris Godounov, Michail Petrenko dans le superbe et émouvant "Bateliers de la Volga" («Эй, ухнем!»), Ekaterina Semenchuk en Carmen, Alexei Markov dans Iolanta, (et Placido Domingo dans un Wintersturme, catastrophique mais bon, rien n'est parfait en ce bas monde). Final tous ensemble sur un air de DonGiovanni.


Le Prince Igor (Borodine) MET le 4 mai
Ce soir nous avions le Prince Igor de Borodine, représentation du MET qui date de 2014, distribution exceptionnelle notamment par les débuts dans le rôle d’Ildar Abdrazakov, aux côtés d’une impressionnante Anita Rachvelishvili et de la basse russe Mikhail Petrenko que j’apprécie dans tous ses rôles. Mais si je garde (comme toujours la concernant) des réserves sur les stridences d’Oksanna Dyka, je salue également les belles prestations de la basse slovaque Štefan Kocán, ainsi que du ténor Sergei Semishkur. Belle équipe et belles images pour un Prince Igor puissant et qui a marqué cette saison du MET….



Iolanta (Tchaikovsky) le 6 mai Mariinsky
Ce soir, encore un opéra russe, depuis le Mariinsky de Saint Petersbourg, Iolanta de Tchaikovsky, avec Anna Netrebko,  Alexei Markov, Direction Valery Gergiev....Que dire encore de cette osmose entre Netrebko/Markov et le chef Gergiev, tant elle magnifie tout, y compris cette mise en scène peu inspirée et parfois brouillonne dont la fin, bien inutile et purement scénique, trahit le sens de l’œuvre ? Mais bon voilà pour la Iolanta de Netrebko, jeune fille pure et innocente dont les yeux vont peu à peu se déciller, il faut avoir vu cette représentation qui date de 2009 et montre à quel point la soprano russe a déjà, tous les atouts qui font aujourd’hui sa renommée internationale : sens infini des nuances qui font « l’interprétation » propre de l’artiste, couleurs variées et riches sur un timbre de toute beauté, aigus délicats et lumineux et belle ligne de chant soignée dans sa langue natale où on regrette de ne plus guère l’entendre… Elle est formidablement accompagnée par Sergei Skorokhodov, en Vaudémont, ténor aux grandes qualités lyriques, par le formidable Robert d’Alexei Markov (c’est fou que j’ai revu ce baryton russe étonnant de tous les points de vue durant ces retransmissions) et beau René de Sergei Aleksashkin.



Mazeppa (Tchaikovsky) Mariinsky 7 mai
Ce soir Mazeppa, l'un des superbes opéras de Tchaikovsky, rare hélas, que nous devions entendre en Version concert à la Philharmonie de Paris le 14 mars dernier, donné par le Bolchoi (de Moscou) sous la direction de Tugan Sokhiev, et qui a été annulé suite au coronavirus. Le Mariinsky (de Saint Petersbourg), avait donné une version mise en scène par Ilya Shlepyanov, sous la direction de Valery Gergiev, avec Vladislav Sulimsky en Mazepa, Stanislav Trofimov en Kochubei, Ekaterina Semenchuk en Lyubov et la magnifique et émouvante Maria Bayankina en Maria. Mariinsky TV nous donne décidément de superbes retransmissions (Iolanta hier soir, avec Anna Netrebko dans un de ses meilleurs rôles d'il y a quelques années). J'avais chroniqué ce Mazeppa sur mon blog.


8 mai - War and Peace (Prokofiev) Mariinsky 
Et ce soir, encore une rare retransmission du Mariinsky (honneur aux Russes en ce 8 mai), War and Peace de Sergei Prokofiev dans la brillante mise en scène de Andrei Konchalovsky, avec Prince Andrei Bolkonsky: Vladimir Moroz, Natasha Rostova: Anna Netrebko, Sonya: Ekaterina Semenchuk et Pierre : Alexei Steblianko direction de Valery Gergiev, mise en scène de Andrei Konchalovsky. Opéra en "tableaux" qui sont plutôt bien rendus par la mise en scène (et la captation), représentation de 2000 où irradie littéralement l'interprétation exceptionnelle de la jeune Anne Netrebko (déjà célèbre cependant) en Natacha tour à tour jeune fille amoureuse, impétueuse, impatiente, malheureuse, révoltée, désespérée, un timbre juvénile mais déjà corsé, une voix divine qu'on reconnait immédiatement d'ailleurs, et un talent de comédienne qui fait merveille (et puis l'opéra russe lui convient si bien...). Elle est accompagnée de la très belle Sonya de Ekaterina Semenchuk qu'on voit et entend toujours avec plaisir. Bon et émouvant Vladimir Moroz en prince, bien qu’il soit sans aucun doute en dessous de l’interprétation que Dmitri Hvorotovsky donna de ce rôle, dans la même formation (Gergiev/Netrebko) au MET. L'oeuvre est un peu inégale du fait de très longs moments mettant en scène l'armée, le peuple, valorisant des choeurs superbes par ailleurs, tout ceci restant fidèle à l'épopée du roman de Tolstoi mais déséquilibrant parfois les scènes plus intimistes. Mais c'est à (re)voir absolument !



10 mai - La Bohème (Puccini) MET 1987
Bon ben ce soir hein, on rate pas l'immense et irremplaçable Pavarotti et sa regrettée Mimi préférée (la mienne aussi d'ailleurs), la touchante Renata Scotto mais aussi la Musetta étonnante et de très forte personnalité de Maralin Niska, et les barytons Ingvar Wixell et Allan Monk, ainsi que la basse Paul Plishka.
Redécouvrir le talent inimitable de Pavarotti dans un de ses rôles fétiches, quand la voix était jeune et sublime est un plaisir en soi. Constater que le ténor mythique chantait aussi bien sans le moindre effort apparent et avec un sens de l’incarnation qui allait bien au-delà du simple « beau » chant, voilà une des grandes jouissances de cette soirée. Quant à Renata Scotto, si son physique ne se mariait guère avec l’image qu’on se fait de la petite cousette Mimi, le fait est que la voix, le style irréprochable, la beauté du regard et bien d’autres merveilles encore, nous la rende inoubliable.
Rien de plus beau que les solos et les duos Pavarotti-Scotto, direction Levine irremplaçable aussi et un final qui laisse sans voix (mais avec des larmes), juste impossible de savoir comment Pavarotti nous donne ce "Mimi" sans crier mais en donnant de la voix, une voix enroulée littéralement dans la musique de l'orchestre, quelque chose d'unique pour un opéra que j'ai pourtant vu des dizaines de fois. Mythique...


Eugène Onéguine 11 mai Komische Oper de Berlin
Retour sur Eugène Onéguine, mis en scène par Barrie Kosky au Komische Oper de Berlin, avec l'émouvante Asmik Grigorian en Tatiana.
Cette retransmission reste disponible quelques temps sur la chaine Youtube de Operavision, et je vous la recommande pour sa fraicheur et sa modernité, une vision musicale et esthétique très enthousiasmante de la célèbre histoire d'Eugène Onéguine, des soeurs Larina et du pauvre Lenski. D'abord Barrie Kosky (directeur du Komische Oper de Berlin) prend le parti de situer l'intégralité de l'action dans un parc où tout est vert : l'herbe qui forme parfois des collines ou se déplace en pans entiers pour valoriser les danses des paysans (acte 1) et des aristocrates (acte 2). Dans le fond des arbres qui barrent l'horizon, charmant paysage bucolique qui n'a pas d'avenir comme l'aristocratie russe du 19ème siècle n'en avait guère, prairies dont l'aspect paisible dissimule mal les passions douloureuses des êtres, leurs passés et leurs présents emprisonnés dans les obligations morales, sociales et politiques. Le pot de confiture (dans lequel on met des doigts gourmands) est l'accessoire essentiel qui symbolise le désir et l'envie. A l'acte 1 madame Larina et la nourrice se racontent leurs jeunesses en remplissant des pots de confiture, Lenski et Olga se draguent en s'échangeant un pot de confiture, Tatiana avoue son désir à Oneguine en trempant enfin son doigts dans le pot de confiture qu'il tient... Et quand des "murs" plus que des bâtiments complets viennent illustrer l'intérieur de la demeure des Larina où se tient le bal pour l'anniversaire de Tatiana à l'acte 2, ou la riche demeure du Prince Grémine l'acte 3, l'herbe est toujours là et même les arbres qui bouchent décidément l'horizon du bonheur.
Kosky est magnifiquement servi par la distribution qu'il a choisi : ils sont tous jeunes, excellents acteurs, valorisés par son choix de leur donner bien plus de relief et de caractère que ce n'est généralement le cas dans cet opéra très souvent joué. Ainsi Lenski par exemple ( Aleš Briscein) est-il un jeune homme clairement jaloux et possessif, blessé et vexé par l'attitude d'Olga, qui devient brutal, méchant et injuste (ce qui correspond à ce qu'il fait par ailleurs en la repoussant et en provoquant Onéguine en duel), loin de l'amoureux romantique généralement valorisé par un "Kuda, Kuda" qui vous arrache des larmes. Là son célèbre air est plus "rageur" que désespéré, enfin c'est un mélange des deux, tout comme d'ailleurs les deux amis éprouvent le besoin de boire plus que de raisons pour se résigner à se battre en duel puisque les codes de l'honneur l'exigent. Onéguine aussi est tout à la fois un jeune homme qui brûle la vie par tous les côtés après une adolescence sinistre, et ne se croit pas capable d'apporter du bonheur et de la joie dans un foyer, et finalement, un jeune homme plus "humain" et vraisemblable dans ses hésitations et surtout ses regrets que bien souvent. Saluons d'ailleurs la très brillante interprétation de Günter Papendell qui nous offre notamment une scène finale déchirante qui suscite un délire dans la salle tout à fait justifié. Mais tout tourne autour de la magnifique Tatiana d'Amis Grigorian qui nous stupéfie à chacune de ses incarnations. Elle est de ces artistes qui plonge à bras le corps dans le rôle, en étudiant toutes les facettes (et Tatiana n'est pas un personnage lisse loin de là), faisant ressortir les contradictions inhérentes à la situation d'une jeune fille qui rêve de l'exceptionnel et devra se contenter de l'ordinaire prévu pour elle de longue date finalement. Outre le chant qui est absolument parfait, timbre divin, nuances et colorations dénotant la qualité d'une technique très maitrisée, Asmik Grigorian a la jeunesse dans la voix et dans la gestuelle, de cette toute jeune fille cruellement désillusionnée sur les hommes et qui renoncera à ses passions par raison. Si on ajoute la charmante Olga de Karolina Gumos, qu'on voudrait défendre et prendre dans ses bras quand Lenski la repousse méchamment parce qu'elle a osé vouloir un tout petit peu s'amuser, elle le feu follet sans arrière pensée, la touchante nourrice de Margarita Nekrasova qui raconte comme elle a été mariée à 13 ans et a tout simplement "changé" de maison, ou l'aristocratique mais très humaine Madame Larina de Christiane Oertel ou même la très belle basse d'Alexei Antonov en Prince Grémine (l'un de ces rôles très courts de l'opéra où l'on fait son succès garanti sur un air...), on comprend que c'est l'ensemble de l'équipe qui fonctionne parfaitement, de même que les choeurs d'ailleurs qui ont toute leur importance dans cette oeuvre et l'orchestre habilement dirigé par Henrik Nánási.
Bref à ne pas rater : sous-titres disponibles en français.

Werther (MET) 12 mai
Retour sur ce poignant Werther (Massenet) revu avant-hier (grâce aux exceptionnelles retransmissions que nous offre la période de fermeture des opéras pour tenter de nous consoler).
En comparaison avec la même distribution des rôles principaux (Jonas Kaufmann en Werther et Sophie Koch en Charlotte) qui défraya à juste titre la chronique en 2010 à Paris Bastille dans la mise en scène du cinéaste Benoit Jacquot, cette représentation du MET en 2014 marque une nette rupture de l'interprétation. C'est assez rare finalement que des artistes chanteurs et acteurs d'opéra, proposent à quatre ans d'intervalle, deux visions assez différentes de leurs personnages. Mais c'est un fait. Beaucoup ont d'ailleurs à l'époque regretté le Werther, tout jeune, fougueux, impétueux, trop amoureux, lumineux et tragique du Kaufmann de 2010, et l'innocence empêtrée dans ses obligations qui oscille entre la jeune fille et la "mère" de substitution de Sophie Koch alors elle aussi très pure. Personnellement, j'avais été plutôt sidérée par l'assombrissement très net du personnage de 2014 sous les traits du ténor bavarois, épousant sans hésiter le côté "Tempête et passions" du personnage romantique créé par Goethe, un Werther très allemand, terriblement sombre et tourmenté, qui joue avec la mort presque dès les premières notes, n'a jamais de moment de répit dans sa course vers le suicide et entraine finalement Charlotte dans ce désir de mort plus fort que l'amour. Vocalement Kaufmann est à son sommet, les airs sont plus soutenus, moins lyriques qu'en 2010, c'est différent, tout aussi bouleversant et surtout passionnant et envoûtant. Sophie Koch, sublime en 2010, semble là vocalement parfois dépassée par les envolées héroïques de son partenaire et sa rage passionnelle, mais campe une Charlotte globalement très convaincante malgré tout. La mise en scène, esthétique et irréprochable sur le plan de sa fidélité au texte, n'a pas le caractère épuré de la tragédie en marche qu'avait su recréer Jacquot (sa mise en scène a d'ailleurs été reprise de multiples fois à Bastille d'une part, à Londres d'autre part avec une galerie de stars...). Les décors un peu lourds semblent sans cesse en contradiction avec l'importance du texte qui devrait relativiser tout accompagnement superflu. J'avais découvert à l'époque (et beaucoup revu depuis) la délicieuse et mutine Sophie de Lisette Oropesa, sans doute la meilleure Sophie entendue dans les multiples Werther que j'ai vus. Et regretté l'absence d'Elina Garança prévue à l'origine en Charlotte et dont nous avions pu voir les premières notes avec Jonas Kaufmann, dans un gala mémorable à Baden Baden en 2013. La direction d'Alain Altinoglu sans égaler celle de Michel Plasson à Paris en 2010, est suffisamment colorée et riche pour valoriser une partition qui reste l'une des plus belles de Massenet.




14 mai : Ariadne auf Naxos – MET
Ariadne auf Naxos (2e version), avec Jessye Norman, Tatiana Troyanos, Kathleen Battle, James King, Dawn Upshaw, Barbara Bonney, Orchestre du Metropolitan Opera de New York, James Levine Un enregistrement de 1986. Encore un petit plaisir offert par le MET que la possibilité de revoir la grande Jessye Norman dans ce superbe rôle de la Diva puis d'Ariadne. Mise en scène classique sans problème pour l'illustration de cet opéra de Strauss qui s'interroge sur la création, l'art, et finalement les "droits" d'auteur (au sens non pécunier du terme) avec humour et gravité. On notera l'excellent "compositeur" (tristement bafoué) de Tatiana Troyannos, l'étonnant Bacchus (très lyrique, voix très claire) de James King, et la Zerbinetta de Katherine Battle qui m'a un peu déçue je dois dire par un manque de sonorité à la retransmission. Très belle direction musicale de James Levine.


15 mai 2020 Peter Grimes MET
Ce soir, Britten au MET pour le plaisir de voir cet opéra musicalement foisonnant, le premier de Britten, qui contient toute la passion du compositeur britannique, ménage des choeurs phénoménaux qui résonnent comme la foule des pêcheurs et des villageois en quête de vérité tandis que les solistes se frayent un chemin vocal au milieu de la tempête des mots et des notes. Orchestration impressionnante. La mise en scène propose une illustration très fidèle de l'oeuvre, très réussie, avec une direction d'acteurs remarquables. Plaisir de voir le ténor Anthony Dean Griffey, qui excelle dans l'opéra contemporain (récemment "Marnie" puis "A streetcar named desire") et qui campe un puissant Peter Grimes à la voix tout à fois claire et expressive, très colorée, et dont le jeu est parfait jusque dans l'évolution subtile du personnage dans sa confrontation avec la communauté villageoise comme avec l'institutrice Ellen Ford, magnifiquement incarnée par Patricia Racette. Très bon Anthony Michaels-Moore en capitaine également et mention spéciale à tous les autres rôles, qui ont toute leur importance dans l'oeuvre de Britten et qui "marquent" profondément la représentation par leur présence vocale et leur charisme scénique. Direction plutôt rajeunie de Runnicles. Très agréable notamment dans les nombreux interludes de la partition. Bref, à voir !

16 mai Lucia di Lamermoor MET
Ce soir Lucia, le bel canto et la "Stupenda" (pour les initiés), c'est à dire Joan Sutherland, l'immense....(et puis il y aussi Alfredo Kraus...)
Un enregistrement de légende pépite musicale parmi les joyaux que nous offre le MET, seul opéra au monde qui aligne les chefs d'oeuvre de son répertoire offerts en retransmission depuis le début du confinement. Il n'est pas sûr que la grande maison, qui tient ses subventions du privé et adultes licencier ses musiciens, les principes du chômage partiel n'existant pas aux USA, se relève facilement de la crise. Le talent vocal, la technique fabuleuse dans les trilles et vocalises du rôle, et les allures de diva de Joan Sutherland transportent en tous cas au septième ciel assez rapidement dès l'apparition de Lucia (applaudie par le public, comme il se doit, avant même qu'elle ouvre la bouche d'ailleurs) et la scène de la "folie", donnée dans son intégralité, restera dans les annales, même si, sauf erreur de ma part, la diva a alors 56 ans, ce qui n'est pas exactement l'âge de la jeune Lucia quand elle assassine son époux suite au mariage forcé dont elle est victime. Son âge il se voit d'ailleurs physiquement dans cette presque ultime représentation mais on l'oublie rapidement, parce que la voix est presque intacte et tellement sublime... Elle est accompagnée de l'élégant Alfredo Kraus (même âge d'ailleurs à l'époque) en Edgardo, sans doute là aussi, l'Edgardo le plus "chic" et le plus "old fashioned" vu depuis longtemps dans cette oeuvre. Le timbre est là aussi, resté de toute beauté dans ces exercices belcantistes complexes où l'immense ténor ne perd jamais de vue le rôle qu'il interprète. Pablo Elvira ne semble pas avoir eu forcément la carrière qu'il méritait quand on le réentend ainsi en 1982, très brillant interprète de Enrico le frère implacable de Lucia et la basse Paul Plishka assure par sa présence et sa prestation, un très beau Raimondo. L'ensemble du plateau vocal est assez époustouflant (choeurs compris) ce qui nous donne quelques scène "d'ensembles" anthologie elles aussi, sous la baguette de Richard Bonynge, lui aussi chef mythique de cette oeuvre qu'il maitrise parfaitement. On regrettera que l'air de folie ne soit pas accompagné du "Glass Harmonica" de rigueur mais par une flûte. Il n'empêche... quelle suprême élégance que l'ensemble de ces talents réunis....

17 mai - La Légende de la ville invisible de Kitège de Rimski-Korsakov, Dutch Opera
Ce soir retour à l'opéra russe mais issu d'une production de l'opéra d'Amsterdam qui date de 2012, « La Légende de la ville invisible de Kitège et de la demoiselle Fevronia » de Rimski-Korsakov. 
Cette oeuvre est, avec Snegorouchka et le Coq d'Or, l'un des plus beaux opéras de Rimsky-Korsakov dont on sous-estime généralement, hélas, la beauté et la richesse de l'oeuvre lyrique. Comme les deux autres, et comme son titre l'indique, cette oeuvre est tirée d'une légende russe où se mêlent, comme toujours, puissantes évocations de la nature et des saisons, histoires d'amour et épopées héroïques. On a donc tout à fois ces magnifiques airs de l'acte 1 où la jeune Fevronia, qui vit dans la forêt au milieu des animaux et des plantes, évoque les fleurs, les oiseaux (le "coucou" avec écho dans l'orchestre...), les arbres, les transformations du printemps, les mystères de la puissance des arbres, avant de rencontrer le prince égaré de la ville de Kitège (la "magnifique"), puis à l'acte 2, les préparatifs de la Noce avec ses figures hautes en couleur du peuple en liesse dans la "petite" Kitège bientôt menacée par l'invasion des Tatars (superbes choeurs de lamentation des habitants et massacres, vacarme des cuivres et des percussions), récit épique et tragique de Fyodor au "grand" Kitège devant le peuple cherchant les moyens d'échapper à leur tour au massacre, puis un superbe et sinistre interlude décrivant la défaite des troupes du grand Kitège et la mort du Prince. Mais la ville a été rendue invisible par les prières de Fevronia qui s'enfuit pour retrouver sa forêt où deux oiseaux magiques lui annoncent qu'elle va mourir, trouver l'immortalité et le Prince, et terminer enfin ces noces tragiquement interrompues.
Tcherniakov, metteur en scène souvent controversé, nous offre une lecture assez contrastée de ce poème épique et élégiaque. Après un très bel acte 1 où les symboles de la vie simple de Feyronia sont joliment illustrés de même que sa rencontre avec le jeune Prince, les deux actes suivants sont moins réussis, la transposition dans le monde actuel faisant des Tatars des hordes fascisantes, Tcherniakov multipliant à son habitude, les symboles dans les costumes et les décors, se rapportant à des scènes contemporaines et s'éloignant un peu trop de la magie du conte qu'il retrouve heureusement au dernier acte au "Paradis" et avec quelques scènes assez fulgurantes précédemment comme l'incendie du petit Kitège ou les nuages enveloppant progressivement le grand Kitège. La distribution est, à l'inverse, remarquable de qualités vocales et scéniques. La jeune Svetlana Ignatovich est éblouissante de fraicheur, de beauté, timbre juvénile infiniment émouvant, elle est Fevronia dans toute son éclatante jeunesse. Et Maxim Aksenov en jeune prince, a lui aussi, l'âge du rôle comme on dit et du talent en reste. Leur couple est magique d'un bout à l'autre et on se laisse entrainer par ce fil rouge de leur amour contrarié qui se retrouvera dans un ailleurs rêvé. Puissant Fyodor, Alexey Markov nous donne une scène du récit des massacres, hallucinante de vérité, et Vladimir Vaneev (Prince Yuri) et John Daszak (Grichka) campent de solides personnages. Le tout est magnifiquement chanté dans un russe irréprochable et très bien prononcé. L'orchestre est d'excellente qualité sous la baguette de Marc Albrecht. Dommage que la "balance" de l'enregistrement se soit trop souvent "calée" sur les chanteurs au détriment des instruments qu'on entend pas toujours suffisamment clairement en dehors des morceaux orchestraux purs. Cette retransmission est encore valable quelques mois. Ne serait-ce que pour découvrir ou re-découvrir cette oeuvre magistrale, n'hésitez pas !


20 mai – Lohengrin (Wagner) - MET
Ce soir un Lohengrin de derrières les fagots... (pas sûr qu'il aurait pas du y rester....) Eva Marton, Leonie Rysanek, Peter Hofmann, Leif Roar, et John Macurdy, dirigé par James Levine. Performance de janvier 1986. Surtout pour Levine et Rysanek. Hofmann a toujours été très surestimé à mon goût. Un Lohengrin bien falot, qui ne vous émeut jamais, ignore les nuances dans un style très monolithique et trop "réservé" même pour Lohengrin. Eva Marton n'est pas très à l'aise en Elsa, les aigus sont très tirés et le timbre à la limite de la stridence parfois. Impressionnante Leonie Rysanek en Ortrud cependant, qui valait le déplacement surtout opposée au Telramund de Leif Roar, inégal sur l'ensemble du rôle mais manifestement stimulé par le charisme de Rysanek. Direction Levine inégal elle aussi, avec quelques beaux moments musicaux et quelques passages plus ... étranges. Public qui applaudit n'importe quand et qui parait un peu facilement en extase. Mise en scène sans originalité mais avec beaucoup de poncifs finalement assez mal trouvés.

21 mai – Un ballo in maschera (Verdi) MET
Ce soir "un bal masqué" (Verdi) offert par le MET, production de 2012, mise en scène de David Alden et direction de Fabio Luisi, avec le regretté Dmitri Hvorostovsky, Sondra Radvanovsky,  Kathleen Kim, Stephanie Blythe, et Marcelo Alvarez.
Comme souvent dans les opéras de Verdi, le livret n'est pas simple et comporte quelques invraisemblances difficiles pour tout metteur en scène telle que les scènes où le grand naïf Renato ne reconnait pas sa femme alors qu'il la surprend en pleine scène d'amour avec le gouverneur Riccardo, et la raccompagne pour la mettre en sécurité sans chercher à savoir qui elle est... On le sait, l'oeuvre fut inspirée par l'assassinat en 1792 de Gustave III de Suède pendant un bal masqué mais pour des raisons diverses de censure, Verdi transposa l'histoire et l'action. Riccardo (Gustavo) n'est donc que ... le gouverneur de Boston. Le metteur en scène David Alden est fidèle au livret mais sa transposition "chic" dans un 20ème siècle très dépouillé (décor minimaliste et obsession du mythe d'Icare se brûlant les ailes pour avoir volé trop près du soleil, ne m'ont pas paru spécialement évocateurs du foisonnement "verdien" de ce très bel opéra sur le plan musical. Les personnages semblent du coup "figés " et la tâche de rendre vivant et clair le tortueux scénario, ne leur est pas facilité. D'autant que seul Hvorostovsky en Renato exprime réellement le caractère de son personnage, entre la fidélité aveugle à son prince et le fureur de se voir cruellement trahi, les évolutions de posture sont perceptibles au delà même des changements de ton et de style de chant. Alvarez (hélas) pourtant habitué du rôle de Riccardo, ne parvient pas à incarner la noblesse du personnage que sa passion pour Amelia rend vulnérable. Il prend, comme à son habitude, une posture de "ténor" de scène qui prête trop souvent à sourire pour être prise au sérieux. Stéphanie Blyte ne ressemble guère à l'image que l'on se fait de la sorcière mystérieuse Ulrica qui jette des sorts dans une atmosphère de maléfice qui n'a rien de comique. Kathleen Kim campe bien son personnage d'Oscar qui rejoint Icare à la fin du bal. Quant à Sondra Radvanovsky, que j'ai vu deux fois en "vrai" dans ce rôle à Bastille (dont une à la place d'Anja Harteros, initialement prévue mais qui avait déclaré forfait), si son jeu n'est pas des plus subtils, elle se sort bien de l'incarnation d'Amélie ici en 2012 au MET, avec un poil plus de raideur qu'à Bastille en 2018... Mais la qualité globale du chant est à la hauteur de ce qu'on attend dans cette partition où Verdi même le bel canto au chant déjà "spinto", presque héroïque, demandant à ses interprètes des prouesses vocales dont ils se tirent tous plus que bien.
Mention spéciale de ce point de vue à Sondra Radvanosky qui donne une véritable leçon de chant, alternant pianissimo et fortissimo sans jamais "décrocher", colorant son chant de mille facettes et nuances et créant à plusieurs reprises des émotions sublimes et inoubliables.
Mais notre regretté baryton russe, mort prématurément il y a plus de deux ans maintenant, Hvorotovsky, n'est pas en reste, chant noble au timbre sombre, legato souples et aigus percutants, il était probablement, avec Ludovic Tézier (qui excella également dans ce rôle), le meilleur baryton verdien du moment.
Alvarez à l'instar de son "jeu", est avare en nuances mais pas en beau chant, son ténor lyrique alors au somment de sa beauté, faisant merveille dans un rôle très exigeant dont il se sort vocalement magnifiquement bien, même si, un Beczala par exemple, m'avait semblé plus impressionnant deux ou trois ans plus tard à Munich, car donnant une interprétation plus complexe et plus "juste".
Bonne coloratura d'Oscar et bons seconds rôles. Blythe ne s'en sort pas trop mal non plus au niveau chant. Et surtout très beaux choeurs et belle direction de Luisi, toujours intéressant dans Verdi. Pas sûre cependant que ce "bal masqué" soit parmi les meilleurs opéra du maestro italien....


A suivre….

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