Alexandre Dumas et la musique : magnifique enregistrement de Karine Deshayes et Jeunes Talents - CD Alpha.

Alexandre Dumas et la musique


Karine Deshayes et Jeunes Talents

Marie-Laure Garnier | Soprano

Karine Deshayes | Mezzo-soprano

Kaëlig Boché | Ténor

Raphaël Jouan | Violoncelle

Alphonse Cemin | Piano

 

Production : Jeunes Talents

avec le soutien de Groupama Paris Val de Loire et la contribution de la Société des Amis d’Alexandre Dumas

Un CD Alpha, sorti le 23 octobre 2020.

 

Quelle bonne idée que la sortie de cet enregistrement de qualité autour de la chanson française lyrique de qualité si joliment interprétée ! Nos artistes y ont mis tout leur coeur et tout leur talent, pour notre plus grand bonheur. Et l'excellent choix littéraire et musical montre combien que petits joyaux, véritables miniatures de deux arts qui se croisent et se marient alors, restent encore à découvrir et à assembler.

Alexandre Dumas écrivait dans une de ses réflexions « La poésie n'aime pas la musique, parce qu'elle est elle-même une musique. Quand la poésie a affaire à la musique, elle n'a donc point affaire à une soeur, mais à une rivale. (…)

Les vers qui seront trop courts, elle les tirera, au risque de les disloquer, jusqu'à ce qu'ils aient la longueur voulue. 

Les vers qui seront trop longs, elle les rognera, au risque de les estropier, jusqu'à ce qu'ils soient raccourcis à sa convenance. Elle aura besoin d'une syllabe en plus, elle l'ajoutera. 

Le poète a écrit: 

L'or est une chimère, 

Sachons nous en servir. 

 

Le musicien mettra: 

Oh! l'or est une chimère. 

Eh! sachons nous en servir. 

 

Elle aura besoin d'une, de deux, de trois, de quatre syllabes en moins, le musicien les retranchera. Et il aura raison. (…)

En général, la puissance humaine ne va pas jusqu'à écouter et comprendre à la fois de belle musique et de beaux vers. 

Il faut absolument abandonner l'un pour l'autre. 

Les mélomanes suivront les notes, les poètes suivront les paroles; mais les paroles dévoreront les notes ou les notes mangeront les paroles. 

Supposez que l'on sorte d'un opéra de Scribe, on fredonnera la musique. Supposez que l'on sorte d'un opéra de Lamartine, on redira les vers. 

Ce qui signifie que, sans être un grand poète, et justement parce qu'il n'est pas un grand poète, Scribe sera, pour Meyerbeer, Auber et Halévy, un librettiste préférable à Hugo ou à Lamartine. 

Et la preuve, c'est qu'ils n'ont pas fait un seul opéra avec Hugo ou Lamartine, et qu'ils ont fait à peu près tous leurs opéras avec Scribe. »


Si on doit relativiser ou ne pas suivre le propos de notre grand écrivain qui n’a pas eu la chance de connaitre les mariages magiques entre Debussy et Maeterlink ou Strauss et Hofmannsthal, il était intéressant de rappeler cette réflexion assez radicale quand on écoute l’excellent choix fait ici de « textes » d’Alexandre Dumas mises en musique par divers compositeurs de son époque qui permet d’écouter de bien belles pièces, parole et musique formidablement associées, au détriment d’aucun de ces arts.


Alexandre Dumas écrivit pourtant peu de livrets pour l’opéra : citons quand même Piquillo sur une musique d'Hipployte Monpou dont cet enregistrement nous offre un extrait, Thaïs, sur une musique de Beauplan, et Le roman d'Elvire, musique d'Ambroise Thomas en 1860 ou encore Samson, en 1856, musique d'Édouard Duprez.


Cet enregistrement est d’abord plutôt un ensemble finement choisi de chants lyriques français de belle facture presque tous écrits par de grands écrivains, Alexandre Dumas pour l’essentiel, et poètes français : Lamartine, Victor Hugo notamment.

La beauté du texte et la réussite de sa mise en musique par de très grands compositeurs là aussi, sans trahir ni l’un ni l’autre des créateurs d’arts qui peuvent magnifiquement s’associer, sont un plaisir de l’oreille en même temps qu’une découverte pour beaucoup d’entre eux.


Véritables « petites histoires » poétiques et musicales, ces pépites valorisent les voix (soprano, ténor, mezzo) comme les instruments qui les accompagnent (piano, violoncelle).


Il faut se laisser conduire dans cette parenthèse enchantée qui s’ouvre avec le beau « Elégie » de Jules Massenet, dont on entend le thème dans la Scène religieuse de l'acte II des Erinnyes (1). Après une magnifique ouverture au violoncelle, assurée par le talentueux Raphael Jouan, c’est la voix mélancolique et romantique du ténor Kaelig Boché qui entonne ces paroles qui raisonnent sans doute avec beaucoup de force en ce moment difficile « Ô, doux printemps d'autrefois/Vertes saisons/Vous avez fui pour toujours !».

Le piano d’Alphonse Cenin donne un rythme sourd et sombre à ce couple sombre et désespéré du violoncelle et du chant qui évoque une fin du monde de sinistre écho « Les jours riants sont partis !.../Comme en mon cœur tout est sombre et glacé !/Tout est flétri !.../Pour toujours !! »

L’auditeur est déjà conquis par l’excellence de l’interprétation de cette première pièce quand s’élève la voix ronde et chaude de Karine Deshayes dont l’élégance et la précision du chant n’est plus à démontrer. Valeur sûre du chant français, la mezzo fait honneur à cette « belle Isabeau » de Berlioz écrite par Alexandre Dumas. Et c’est bien sûr une histoire de jeune fille tenue prisonnière par son père qui s’enfuira à l’occasion d’un orage avec son bel amant. Petit récit écrit comme une ritournelle avec son refrain « Enfants, voici l'orage!/À genoux! Priez Dieu! », ses évocations des éléments déchainés et le court récit de la fuite et de son succès. Miracle d’une prononciation idéale et d’un très beau timbre allié à l’intelligence musicale dont fait habituellement preuve Karine Deshayes, cet alliage Berlioz/Dumas est un petit joyau. Sans oublier le très belle accompagnement piano d’Alphonse Cenin.

« Venez! avant l'aurore/Nous serons, nous serons de retour » sussurre le « paladin » à sa belle juste avant que la voix ne se fasse colère avec les derniers vers « Hélas! son père encore/L'attend depuis ce jour ».

La « Jeanne d’Arc au bûcher » est une très belle prière à dieu, très élégiaque, récit qui s’enroule et tourne autour du refrain sans cesse de retour comme un sourd reproche de la jeune paysanne « Je vais monter sur le bûcher et pourtant j’ai sauvé la France ». Jeanne est prise de doutes « marcherais-je sans trébucher ? » et on sent sa peur, et même sa révolte contre l’injustice qu’elle va subir…et son sursaut patriotique « Allez me chercher ma bannière ! »

La jeune soprano Marie-Laure Garnier y met tout son cœur et là aussi, il faut saluer une très belle interprétation, très sensible qui s’attache phrase après phrase au destin cruel de la jeune gardienne de moutons, pour en rendre les tourments si bien décrits par le couple Dumas/Litzt tout comme l’art  d’Alphonse Cenin, l’un des meilleurs pianistes d’accompagnement qui épouse chaque phrase, changeant de rythme et de couleurs pour exprimer à chaque mesure les sentiments exprimés par ce court et émouvant récit. Tout juste regrettera-t-on parfois une légère acidité de la voix de la soprano dans les suraigus qui se confirmera tout au long de l’enregistrement malgré l’excellence de son interprétation et à l’inverse, la beauté de ses notes medium.

La « fuite » qui permet un trio magnifiquement rythmé du ténor, de la soprano et du piano, est une grande réussite de Henri Duparc sur un texte de Théophile Gautier où le piano galope littéralement, tandis que les deux amants échangent avec fébrilité et passion, sur leur volonté de fuir à tout prix, ensemble, course effrénée vers la liberté et l’amour… « Fuyons, fuyons…au firmament sans étoile/et la nuit nous dormirons… ».

Si j’ai détaillé les quatre premiers morceaux de cet enregistrement, c’est qu’ils sont emblématiques de la qualité de l’ensemble qui ne se démentit jamais.

Karine Deshayes nous offre encore la douce « Berceuse » extraite de l’opéra « Jocelyn » de Benjamin Godard, luxueusement accompagnée par piano et violoncelle, l’harmonie entre la beauté de son timbre et ceux de ces deux instruments, atteint des sommets d’émotion.

Vient ensuite l’Ange, joli texte d’Alexandre Dumas sur la musique de Alexandre Pierre Joseph Doche, compositeur français. Très belle interprétation d’une élégante chanson mélancolique et douce « Et pour te suivre, il me faudrait mourir… ».

Contraste absolu avec la chanson légère qui suit où le ténor Kaelig Boché nous montre l’étendue de son talent, la souplesse de sa voix et la qualité de sa diction, de son sens de l’interprétation avec ce rythme martelé qui donne vie à l’historiette de Nita la Gondolière (et quel timbre !)…

Le ténor décidément, très très séduisant, poursuit avec ce « te-souviens-tu » de Godard, jolie mélodie sans prétention mais interprétée avec du soleil dans la voix qui rend l’espoir à cette déclaration teintée de regrets…

Violoncelle à nouveau avec cette « Captive » joliment chantée par la soprano Marie-Laure Garnier. Berlioz avait mis en musique ce poème de Victor Hugo (extrait des « Orientales) dans des circonstances romanesques qu’il raconte lui-même sans doute en les exagérant mais dans sa version finale, ici proposée, avec ce superbe accompagnement au violoncelle qui s’entremêle dans les beaux vers de Hugo, c’est une œuvre d’une très grande beauté.

Et c’est encore Victor Hugo qui écrivit ce « soleil couchant » mis en musique par Jules Massenet cette fois.


Suivent des airs tirés d’opéras soit écrits directement par Dumas pour le premier, soit écrits par des tiers à partir des romans de Dumas.

Ainsi le trio qui suit est un extrait de l’opéra comique « Piquillo », livret d’Alexandre Dumas et Gérard de Nerval (excusez du peu…), sur une composition musicale d’Hippolyte Monpou.

Avec toujours quelques réserves sur l’acidité des aigus de la soprano, l’ensemble est enlevé, bien maitrisé, les répliques à trois fusent, les ensembles sont réussis et les trois timbres se marient bien.

Suit le martial « Chœur des Girondins », scandé comme une marche triomphale, chant révolutionnaire tiré du « Chevalier de Maison-rouge » de Dumas. 

Le trio poursuit son exploration avec l’air de Raoul du Chevalier d’Harmental, extrait de l’opéra écrit par Paul Ferrier, sur une musique d’André Messager, d’après le roman éponyme d’Alexandre Dumas.


Retour aux textes poétiques de Dumas pour les derniers morceaux, belles mélodies : Amour, Printemps de Guion, pour la délicieuse interprétation de Karine Deshayes, la Sylphe de César Franck (avec violoncelle et piano) et puis ces deux « Jardins » avec une préférence pour celui de Thomé sans doute pour la belle incarnation de Kaelig Boché qui conclut cet enregistrement original et globalement de très grande qualité.

 

 

(1) Société des Amis d'Alexandre Dumas, extrait.

 

(2) Les Erinnyes

Tragédie antique en deux actes de Charles Marie René LECONTE dit LECONTE DE LISLE, d'après Eschyle, musique de scène de Jules MASSENET.




Jules Massenet (1842 – 1912)

Elégie, sur un poème de Louis Gallet, op.10 n°5 | ca. 1872

 

Hector Berlioz (1803 – 1869)

La Belle Isabeau, sur un texte d'A. Dumas | av. 1843

 

Franz Liszt (1811 – 1886)

Jeanne d'Arc au bûcher, sur un texte d'A. Dumas | 1874

 

Henri Duparc (1848 – 1933)

La Fuite, sur un poème de Théophile Gautier | 1871

 

Benjamin Godard (1849-1895)

Jocelyn, sur un livret d'Armand Silvestre et de Victor Capoul, op.100 | 1888

Berceuse (arr. par Gustave Sandré)

 

Alexandre Pierre Joseph Doche (1799-1849)

L'Ange, sur un texte d'A. Dumas

 

Gilbert Duprez (1806-1896)

Trois Cantilènes | 1876

Nita La Gondolière, sur un texte d'A. Dumas

 

Benjamin Godard (1849-1895)

Te souviens-tu, sur un texte du compositeur | 1875

 

Hector Berlioz (1803 – 1869)

La Captive, sur un poème de Victor Hugo | 1832

 

Jules Massenet (1842 – 1912)

Soleil couchant, sur un poème de Victor Hugo | 1911

 

Hippolyte Monpou (1804-1841)

Piquillo, livret sur un texte d'A. Dumas et de Gérard de Nerval | 1837

Ah ! pour votre assistance, seigneur, j'ai l'espérance (Andante - Sylvia, Leonor, Mendoce)

 

Alphonse Varney (1811-1879)

Le Chevalier de Maison-Rouge (extrait) | 1847

Choeur des Girondins, sur un texte d'A. Dumas

 

André Messager (1853 – 1929)

Le Chevalier d'Harmental, d'après A. Dumas, sur un livret de Paul Ferrier (extrait, Acte II, Scène 8) | 1896

Ah ! ah ! L'Abbé ! je l'ai mis en déroute !

 

Edmond Guion (18??-1892)

Amour, printemps - Printemps, amour ! sur un texte d'A. Dumas | 1866

 

César Franck (1822 – 1890)

Le Sylphe, sur un texte d'A. Dumas | 1842-43

 

Henri Reber (1807-1880)

Le Jardin, sur un texte d'A. Dumas | 1851

 

Francis Thomé (1850-1909)

Le Jardin, sur un texte d'A. Dumas | 1883

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