Coup de coeur : l'Orfeo moderne et dynamique d'Emiliano Gonzalez Toro & I Gemelli - CD Naive

L'Orfeo

de Claudio Monteverdi 

livret du poète Alessandro Striggio 

opéra en 5 actes 

 

Emiliano Gonzalez Toro, direction 

Ensemble instrumental I Gemelli - Ensemble vocal de poche 

 

Emiliano Gonzalez Toro, ténor, Orfeo 

Emöke Barath, soprano, Euridice, Musica 

Natalie Perez, mezzo, Messagiera 

Alix Le Saux, mezzo Speranza, Pastore III 

Jérôme Varnier, basse Caronte, Spirito 

Mathilde Etienne, soprano, Proserpina

Nicolas Brooymans, basse Plutone, Pastore IV 

Fulvio Bettini, baryton Apollo, Spirito, Eco 

Zachary Wilder, ténor Pastore I, Spirito 

Juan Sancho, ténor Pastore II, Spirito 

Alicia Amo, soprano Ninfa

 

Album paru le 2 octobre 2020 

Naive - Référence V7176 

 

L'un de mes coups de coeur de la rentrée. 

Une interprétation magistrale où le ténor Emiliano Gonzalez Toro, dirige "de la voix" l'ensemble de l'excellente équipe qui réussit une intégrale d'exception de cet Orfeo mythique, souvent considéré comme le premier opéra, en tous cas probablement le plus "abouti". 

Je commencerai mon éloge par cette réponse que le ténor Emiliano Gonzalez Toro m'avait faite lors de notre entretien, concernant sa passion délabrée pour le "seicento" italien (les années 1600) qui ont vu notamment naitre ces premières oeuvre théâtrales, instrumentales et lyriques.

"Dans ma classe de chant, nous travaillions pour une audition le « Lamento della ninfa » et immédiatement, j’ai senti que cette musique me correspondait parfaitement, que j’en sentais le sens musical et qu’elle m’accompagnerait toute ma vie, c’était un peu comme si je venais de trouver mon plat préféré ou ma couleur favorite ! Monteverdi m’ouvrait la porte d’un nouveau monde musical et je voulais tout chanter, les Vêpres, Ulysse, Orfeo…et tous ces splendides Madrigaux.

La fraicheur de sa musique a traversé les temps sans prendre une ride.

Mais cette période regorgeait de compositeurs souvent peu connus qui avaient écrit des pages sublimes comme Giulio Caccini ou Jacopo Peri , membres de la Camerata fiorentina, regroupement d’artistes dont l’objectif est de faire revivre le modèle antique grec et de promouvoir « l’humanisme », d’élever l’âme humaine au travers de leurs compositions polyphoniques mais aussi progressivement de plus en plus des monodies (airs chantés d’une seule voix). Ces évolutions musicales sont à l’origine de la création des premiers opéras, avec cette écriture qui en sera la base ensuite, l’alternance entre récitatifs et arias.

Ce siècle regorge d’immenses talents et renouvelle la musique, je citerai aussi Marco da Gagliano qui a collaboré avec Caccini et Peri, Francesco Rasi et Francesco Cavalli bien sûr."


Passion pour Monteverdi bien sûr mais aussi pour toute une époque pour laquelle le ténor et sa compagne n'ont pas hésité à aller fouiller dans les bibliothèques italiennes pour aller rechercher des trésors enfouis, à tel point que Emiliano a été surnommé l'Indiana Jones du baroque.

Avec son superbe ensemble I Gemelli, Emiliano avait de nombreux projets d'enregistrement dont le "Soleil noir" en hommage au "premier ténor star" de l'histoire de l'opéra, Francesco Rasi dont Emiliano parlait ainsi dans notre entretien :

"Ainsi si vous prenez l’Orfeo de Monteverdi, considéré en général comme le premier opéra, il vous faut imaginer Monteverdi lui-même, travaillant avec Striggio et pourquoi pas le ténor virtuose de l’époque, Francesco Rasi,( qui était également auteur, compositeur et jouait du luth.) élaborer ensemble cette « fable en musique ». Francesco Rasi est donc beaucoup intervenu dans la genèse de l’œuvre. Lui chantait de telle ou tel manière et contribuait donc à l’écriture des « arias » du ténor, ces airs de solistes qui sont la vraie nouveauté de l’opéra naissant. Il a d'ailleurs écrit toutes les diminutions de l’aria centrale d’Orfeo, Possente spirto, et ces dernières sont restées dans la partition que l’on connait aujourd’hui. "

La sortie de cet autre enregistrement, Soleil Noir, que les fans du travail fait par Gonzalez Toro attendaient avec impatience a été retardée du fait du coronavirus. Elle était prévue en avril 2020. On l'attend bien sûr avec impatience et curiosité est on y reviendra !


Mais graver une intégrale de l'Orfeo était aussi l'un des projets chers à Emiliano. L'opéra avait été donné au Théâtre des Champs Elysées et sa prestation tant dans le rôle-titre que dans la direction de l'ensemble musical et vocal, avait forcé l'admiration par sa précision, sa modernité, ces formidables élans crescendo, ces légères accélérations de rythme qui évoquent si bien la peine et l'espoir, et puis cette voix, ce timbre lumineux, solaire, si beau, si juste, si incroyablement bien balancé entre intensité, émotion, expressivité, à la prononciation impeccable, créée un fil continu tout au long de l'oeuvre. Il faut aussi souligner la précision des vocalises d'un "Possente spirto, e formidabil nume" de rêve, pièce maitresse du rôle-titre, incarnation parfaite, échanges subtils avec les instruments, et d'une manière générale, ce formidable art du "recitar candando" de Monteverdi qu'il maitrise à la perfection et auquel il donne ses lettres de noblesse loin des traditions parfois pas trop régulières et lisses. Toute l'émotion des paroles passe dans la musique sublime et l'accompagnement de l'ensemble instrumental atteint lui aussi une perfection rare. 

A ce propos d'ailleurs Emiliano Gonzalez Toro apportait ces précieuses précisions musicales : 

"Je voudrais insister là-dessus d’ailleurs : le centre de ces œuvres c’est le texte, le « Recitar cantando » , est la base de ce nouveau style du XVIIe siècle. Le texte prime puis vient la mélodie et enfin l’harmonie. Et j’ajouterai que dans l’exécution de telles œuvres, tout vient du chant. C’est le chanteur qui dirige l’ensemble des instrumentistes et des autres chanteurs. 

Et c’est bien la ligne du chant qui indique au continuo et à l’orchestre la marche à suivre. (…)

C’est cet esprit que j’ai voulu retrouver dans cet Orfeo en chantant et en dirigeant la formation musicale. J’ajouterai que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, il s’agit d’une musique très codifiée presque comme une recette de cuisine : dans la mesure où cette forme était nouvelle, Monteverdi nous a laissé une grande quantité d’informations : dans l’édition, ses préfaces, ou il explique ce qu’il souhaite avec une précision quasi maniaque, les orchestrations, les inflexions vocales, des didascalies très précises et autres soupirs sont indiqués par exemple, la structure de l’œuvre répond à des règles qui ont du sens. Dans la partition d’Ulysse, même les « rires » sont indiqués ! "

La perfection de cet album tient aussi bien sûr à la belle équipe réunie autour de cet Orfeo de rêve.

C'est merveilleux d'entendre ainsi le "Ben mi lusinga alquanto" où l'excellente basse de Jérôme Varnier (Caronte) échange avec un Orfeo dans un tout autre registre.

Les deux autres ténors Zachary Wilde et Juan Sancho, qui incarnent les bergers et dont les timbres sont un peu différents, nous offrant un excellent contraste dans leurs ensemble.

Très belles voix également de Alice le Saux (Speranza) et Natalie Perez (Messagiera) et quelle douceur de rêve dans l'interprétation de Mathilde Etienne (Proserpina) en dialogue avec la basse Nicolas Brooymans (Plutone) dans le très émouvant "Signor que infelice".

Quant à l'interprétation d'Emöke Barath, en Euridyce et en Musica, c'est un peu la cerise sur le gâteau des voix féminines, quelle voix superbe charnue et riche en harmoniques, bien maitrisée.

Et l'on ne peut oublier le baryton Fulvio Bettini, beau timbre sensible terriblement émouvant lui aussi dans son "Questi i campi di tracia" (Eco) en dialogue avec le rôle-titre ou peu après dans le "Percha Lo sdegno", cette fois en Apollo.

Beaucoup de choeurs et d'ensemble à deux ou trois ou quatre dans cet opéra, et là aussi on salue la réussite de ce précieux enregistrement. Ce serait trop long de citer tous les morceaux sublimes mais rien que le "Ritornello" à l'acte IV qui réunit Emiliano Gonzalez Toro, Emöke Barath, Jérôme Varnier et I Gemelli dans une véritable scènette extrêmement animée, suffirait à rendre exceptionnel cette intégrale où les (bonnes) surprises se rencontrent à chaque morceau.

Ajoutons la beauté des instruments d'I Gemelli, la délicatesse du toucher d’instrumentistes qui jouent sans mièvrerie, sachant rendre l’ensemble plus martial, plus grave et plus énergique dans les moments tragiques. C’est l’accompagnement de rêve de cet enregistrement soigné et qui ravira les fans de baroque mais pas seulement. 

Cette modernité que les acteurs de ce CD parviennent à restituer comme il parvient à nous transmettre son enthousiasme pour cette musique, plaira à tous ceux qui aiment la belle ouvrage.




 Lien avec l’entretien

https://www.odb-opera.com/joomfinal/index.php/les-dossiers/48-les-chanteurs/316-entretien-avec-emiliano-gonzalez-toro

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