Epoustouflante Khovanchtchina à la Philharmonie de Paris, les talents du Mariinsky réunis sous la baguette de Valery Gergiev. Magique.

La Khovanchtchina (Хованщина) 

Musique et livret de Modeste Moussorgski

Orchestration de Dmitri Chostakovitch

 

 

4 Octobre 2020 à la Philharmonie de Paris

Orchestre et Choeur du Mariinsky

Valery Gergiev, direction

Yulia Matochkina, Marfa

Yevgeny Akimov, Prince Andrei Khovansky

Mikhail Petrenko, Prince Ivan Khovansky

Evgeny Nikitin, Shaklovity

Oleg Videman, Prince Vasily Golitzin

Stanislav Trofimov, Dossifeï

Larisa Gogolevskaya, Susanna

Violetta Lukyanenko, Emma

Efim Zavalny, Le Clerc

Andrei Popov, Le Scribe

Anton Khalansky, Kuzka

Alexander Nikitin, Streshnev

Grigory Karasev, Premier Strelets

Yuri Vlasov, Second Strelets

Oleg Losev, Minion

Nikolaï Kamensky, Varsonofiev

Marina Mishuk, cheffe de chant principale

Grigory Yakerson, chef de chant

Konstantin Rylov, chef de choeur

 

La présentation de la PP :

Valery Gergiev à la baguette dans une partition dont il est familier : La Khovanchtchina de Moussorgski. Le livret de ce « drame musical natio­nal » raconte les intrigues autour de la rébellion des milices dirigées par Ivan Khovansky dans la Russie de Pierre le Grand.

Le « drame musical populaire » de Moussorgski, qui conte d’après un livret du compositeur lui-même les révoltes des streltsy de Moscou à la suite de la mort du tsar Fédor III en 1682, est inachevé : il manquait notamment toute l’orchestration. Rimski-Korsakov, puis Ravel et Stravinski retravaillèrent la partition, mais c’est la version de Chostakovitch qui est la plus souvent jouée. Celle-ci fut créée au Mariinsky même, en 1960 : le théâtre s’appelait alors le Kirov. Valery Gergiev s’entoure de tout ce que la Russie compte actuellement de chanteurs de premier plan, et notamment de Mikhail Petrenko (dans le rôle d’Ivan Khovansky), de Yevgeny Akimov et de Yuliya Matochkina, lauréate en 2015 du prestigieux Concours Tchaïkovski.

 


Impressions :

Magnifique soirée, musicalement époustouflante et qui se passe très bien de toute mise en scène du fait d'une implication précise et très explicite des chanteurs, et d'une mise en espace qui comprend les chœurs en arrière-scène sur les gradins (quelques artistes sont à la fois solistes et choristes) et l'orchestre très intelligemment distribué sur le devant de la scène "à la Gergiev".

J'ai déjà vu la Khovanchtchina dans plusieurs mises en scène, parfois très foisonnantes de détails historiques, et c'est la première fois que l'histoire (l'Histoire) me parait à ce point limpide et facile à suivre.

C'est une oeuvre profondément russe qui plonge ses racines dans la réhabilitation (sur le plan historique, pas politique) de la vieille Russie celle qui précéda l'avènement de Pierre le Grand et l'entrée de la Russie dans l'ère moderne. Le génie de Moussorgski va rechercher ces personnages hauts en couleur, ces Princes de l'ancien temps, ces "Vieux-Croyants" et leur célèbre révolte pour "ramasser" plusieurs années de péripéties en un opéra construit façon "tragédie". 

Quand Valery Gergiev place les magnifiques choeurs du Mariinsky à l'arrière-scène de la Philharmonie de Paris, à bonne distance les uns des autres, paradoxalement, outre une incroyable acoustique qui valorise toutes leurs prestations, il leur permet de "jouer" le rôle de la foule qui leur est réservé, l'oeil les voit parfaitement bien, ils chantent parfois debout, parfois assis, et donnent une véritable leçon de chant à tous les choeurs du monde entier : ce n'est jamais uniforme, leur chant se fait élégiaque dans les belles romances, martial dans les chants militaires ou ironique dans les chansons à boire sans oublier la psalmodie des chants religieux. Il y a plusieurs "choeurs" en un et cette richesse de l'interprétation est tout simplement l'un des grands ressorts de la réussite de cette magnifique représentation d'hier soir.

L'orchestre aussi semble, vu d'en haut, du deuxième balcon rang ultime, jouer bien plus que sa partition. Qui sait aujourd'hui mieux que Gergiev à la tête du Mariinsky Orchestre, rendre justice à la richesse des mélodies de Moussorgski orchestrées par Chostakovitch puisque c'est la version qui nous est proposée ? De l'ouverture romantique et douce (qui n'est pas sans évoquer "Siegfried Idyll" d'ailleurs...), aux fracas des combats, cloches sonnant à toute volée ou final au roulement de timbale impressionnant, l'orchestre se révèle incroyablement musical et contrasté sous la "baguette" invisible du maestro qui sait faire des gestes imitant le battement des ailes des oiseaux quand les violons doivent rendre compte d'un délicieux friselis sonore et montrer une battue à peine plus ferme pour obtenir ces accents uniques de l'orchestration Chostakovitch qui sont parfois volontairement à la limite de la cacophonie.

Cordes douces, vents et bois à gauche (et piano et harpe qui sont des "solistes"), percussions, cuivres et cordes basses à droite, le positionnement de l'orchestre de Gergiev suit de près les équilibres acoustiques qu'il recherche. Les chanteurs sont légèrement au dessus de l'orchestre, à l'arrière comme toujours, côté instruments "soft", à droite.

Le tout dégage une harmonie et une efficacité sonore, musicale et dramatique qui donne de l'oeuvre tout ce qu'elle peut donner et même davantage.


Car il reste les chanteurs et là, on nage en plein bonheur. Voix saines, vigoureuses, où l'on ne sent jamais l'effort malgré l'extrême qualité de l'interprétation, projections impressionnantes, jeu de scène, interaction efficace, diction russe fabuleuse, rien ne manque à ce qu'on peut, sans hésiter, appeler la qualité de l'école russe et singulièrement du Mariinsky qui nous présente finalement une toute petite partie de sa fabuleuse troupe, avec deux ou trois stars internationales guère plus.

J'ai toujours trouvé Michail Petrenko exceptionnel et souvent sous-employé dans ses rôles internationaux où il incarne beaucoup Hunding (Die Walküre). Dans ce rôle royal du Prince Ivan Khovansky, il déploie tous ses talents et ils sont immenses. C'est une basse magnifique, sans doute l'une des meilleurs dans le monde aujourd'hui et sa confrontation avec le ténor Oleg Videman (Prince Vasily Golitzin) et avec l'autre basse magnifique de la soirée Stanislav Trofimov (Dossifeï) est tout simplement surnaturelle. On se demande comment ces artistes peuvent donner autant de voix, d'énergie, d'expressivité, de nuances et de force, à leurs prestations. Comme pour le Parsifal donné par le Mariinsky en ces mêmes lieux l'an dernier où elle interprétait une inoubliable Kundry, on est immédiatement frappé et rapidement subjugué par la voix et l'aisance de Yulia Matochkina en Marfa. La mezzo soprano russe a un timbre d'une exquise douceur, d'un moelleux de rêve, associé à une puissance phénoménale, un de ces secrets qu'ont les voix russes et qui laisse... sans voix devant autant de talent. On espère la revoir plus souvent. Ce sera le cas à la Philharmonie de Paris le 31 mars 2021, si tout va bien...) ou aller à Saint-Petersbourg l'entendre "in situ" quand elle chante Polina (La Dame de Pique) ou Olga (Eugène Onéguine)...

Et il faut citer son partenaire Yevgeny Akimov (Prince Andrei Khovansky), qui démontre de manière assez impressionnante ai-je trouvé, que l'on peut passer d'un chant romantique et amoureux à une belle colère vindicative et changer assez significativement de registre au cours de l'opéra sans jamais décrocher.

Excellent Evgeny Nikitin en Shaklovity, en belle forme vocale et au rire sardonique impressionnant qui résonne dans toute la Philharmonie comme une terrible menace.

Et formidable Andrei Popov en Scribe, un ténor spécialiste de ces rôles un peu déjantés (un excellent "Mime"), qui marque lui aussi la scène de son remarquable talent.

Mais il faudrait tous les citer...

Et se féliciter qu'une aussi belle oeuvre soit ainsi valorisée par autant de talents réunis...




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