Die Vögel de Brauenfels, la (re)découverte d'une oeuvre magnifique, mise en scène par Castorf à l'Opéra de Munich. A voir absolument !

Die Vögel

Opéra de Walter Braunfels

D'après la comédie d'Aristophane "Les Oiseaux"

Oeuvre jouée pour la première fois au Bayerische Staatsoper, le 30 novembre 1920 sous la direction de Bruno Walter

 

Nouvelle production :

Direction musicale : Ingo Metzmacher 

Mise en scène : Frank Castorf 

 Hoffegut (Bonespoir) Charles Workman 

Ratefreund (Fidelami) Michael Nagy

Nachtigall (Rossignol): Caroline Wettergreen 

Prometheus Wolfgang Koch 

Wiedhopf (Huppe, anciennement humain devenu roi des oiseaux) : Günter Papendell 

Zaunschlüpfer (le roitelet): Emily Pogorelc 

1. Drossel (Grive) Yajie Zhang 

2. Drossel Eliza Boom 

Adler (Aigle) Bálint Szabó 

Rabe (Corbeau) Theodore Platt 

Flamingo (Flamand rose) George Vîrban 

 

Enregistrement de la séance du 31 octobre, dernière séance avant lockdown.

Il y a tout juste un an, nous regardions depuis la salle de l'Opéra de Munich, un remarquable "Die Tote Stadt", qui aurait du être repris d'ailleurs lors du festival d'été de Munich et cette fois, retransmis en livestream et sur la place devant l'Opéra dans le cadre des manifestations "Oper für alle". Impossible, en regardant ces "Vögel" de ne pas songer à la proximité des deux oeuvres. Die Tote Stadt a été créée en 1919 et Die Vögel en 1920, la première à Hambourg, la deuxième à Munich, toutes deux ont des livrets en langue allemande.

Et ce n'est pas tout : les deux écritures musicales, celle de Korngold et celle de Brauenfels, appartiennent à la même école et l'influence de Wagner y est fréquemment perceptible (celle de Tristan et Isolde en particulier, on sait que Brauenfels se lança dans la composition après avoir entendu cette œuvre) tout comme les « similitudes » d’avec la richesse orchestrale parfois torrentielle de Strauss

Et il faut bien dire que cette œuvre, injustement oubliée, est absolument magnifique et vaut le détour, ne serait-ce que pour le plaisir de la découverte d’une partition riche en rebondissements, ruptures de style, valorisation des dialogues voix/orchestre, contrastes cordes/cuivres et rôle des percussions.L’histoire est édifiante : c’est celle des « Oiseaux » d’Aristophane, sans aucun rapport avec ceux d’ Hitchcock a priori, puisqu’il s’agit d’une fable mettant en scène deux humains (athéniens dans la pièce, comédie qui dénonce le pouvoir démesuré de la Cité d’Athènes) désireux de rejoindre les cieux, domaine des oiseaux et de les convaincre d’en faire un royaume disputant le pouvoir aux dieux de l’Olympe et dominant les hommes.

C’est le Rossignol qui accueille le public lors d’un prologue de « présentation » où l’oiseau présente les magnifiques vertus du domaine des oiseaux tout en exprimant ses états d’âme et ses insatisfactions.

Nos deux humains (« Bonespoir » et « Fidelami ») de leur côté, déçus de leurs congénères, cherchent un ailleurs dans une contrée désolée où ils rencontrent le « roitelet «et tentent de le convaincre de convoquer son maitre la « Huppe » (qui a été un humain) et qui apparait écourant la requête et répliquant que le domaine des oiseaux, le ciel, n’est justement pas un royaume, qu’il n’a pas de règles, qu’il est un lieu de libertés, qu’il appartient à tout le monde. Nos deux compères vont alors suggérer à la Huppe de construire une grande ville dans les nuages située entre les hommes qu’elle dominera et les dieux tout en haut.

La Huppe se laisse séduire par l’idée… S’ensuit une scène absolument splendide où tous les artistes adoptent peu ou prou le « langage » des oiseaux (instrumentistes comme chanteurs), celle où les oiseaux, d’abord méfiants et en désaccord, finissent par céder aux exhortations de la Huppe et aux propos flatteurs de « Fidelami » malgré les mises en garde de l’aigle. C’est la fête et les oiseaux entreprennent la construction de leur cité utopique idéale.

Durant la nuit, un beau jeu de séduction entraine le Rossignol dans les bras de Bonespoir au milieu d’une profusion de fleurs enivrantes tandis qu’au petit matin, les oiseaux présentent fièrement leur œuvre. Procession, premier mariage dans la ville, la cité radieuse dirigée par la Huppe et Fidelami, semble idéale.

Mais l’atmosphère de paradis s’alourdit soudainement quand de plus en plus d’oiseaux se groupent pour annoncer qu’un étranger est entré et menace l’équilibre de la cité. L’Etranger, en fait le Titan Prométhée, leur donne la possibilité de s’amender, de renoncer à défier les dieux mais ils refusent et la colère de Zeus éclate déchainant orage et tempête, un coup de foudre détruit la citadelle. Fin de l’aventure, Fidelami s’en retourne au pays des Hommes et entraine un Bon Espoir encore tout secoué par son amour pour le Rossignol qu’on entend longuement chanter un magnifique final.


Le récit rapide du synopsis, pas forcément très connu, de ce trop rare opéra, donne presque le fil et la clé de la mise en scène de Franck Castorf, des décors de Aleksandar Denić et les costumes de Adriana Braga Peretzki, les uns et les autres d’un esthétisme appréciable. Tout en restant fidèle à la lettre au conte, Castorf, à son habitude truffe l’illustration du récit de ses propres références politiques, poétiques et cinématographiques. Comme l’an dernier, le Die Tote Stadt de Simon Stone, lorgnait ouvertement du côté de Vertigo, l’énigme de d’Alfred Hitchcock, c’est aussi le maitre du suspens qui est invité à illustrer l’opéra éponyme : présence du poteau électrique et silhouettes noires des oiseaux qui révèlent peu à peu leur présence, scène les plus chaotiques du film retransmises sur un vaste écran parabolique lors de la tempête, photo gigantesque du célèbre cinéaste dominant la petite silhouette du Rossignol… Mais alors que Stone bâtissait toute sa mise en scène de die Tote Stadt sur ce parallèle, Castorf use de bien d’autres références pour mettre en scène cette œuvre luxuriante et magnifique : Prométhée façon Karl Marx, mais presque exsangue, fort porté sur le whisky, Fidelami qui se prend au jeu du pouvoir et arbore un temps un uniforme nazi, Bonespoir qui s’enroule dans les parfums qu’on imagine ennivrants des fleurs de bougainvilliers roses parfaite réplique du pourpoint du costume du Rossignol, les affiches qui se succèdent sur les palissades de la cité du bonheur, annonçant les groupes Eagle ou Byrds. Cela foisonne d’idées sans que le fil musical et narratif ne se perde jamais et si l’on peine parfois à « tout » voir (l’écran, le décor qui tourne, les détails divers) on est littéralement ébloui par la virtuosité de l’ensemble. Tout bouge et tout se dévoile au fur et à mesure du déroulé de l’œuvre avec un sens de la synchronisation émotionnelle et visuelle parfaite.

L’orchestre sous la direction de Ingo Metzmacher est d’une précision et d’une qualité sonore également parfaite, jouant tout son rôle de valorisation d’une partition qui passe brutalment d’un déchainement sonore (bruitages instrumentaux compris) lors de l’orage à la douceur des cordes accompagnant le Rossignol dans ses magnifiques arias.

La distribution est éclatante de vie et de justesse. Munich semble toujours avoir en réserve infiniment de talents cachés, comme celui de cette splendide soprano coloratura qui incarne le plus beau rôle de l’opéra, la très belle Caroline Wettergreen, qui vous submerge d’émotion et a manifestement pris énormément de plaisir à incarner un aussi beau rôle à qui Brauenfels a réservé ses plus belles pages musicales. Du Prologue au final, elle semble ne jamais décrocher de la perfection et ses interventions vaudraient à elles seules le détour, trilles, vocalises délicates, timbre malgré tout corsé mais aérien et j’en passe…

Les deux autres rôles centraux ceux de Hoffegut (Bonespoir) de Charles Workman et de Ratefreund (Fidelami) de Michael Nagy, méritent également des éloges appuyés tant scéniques que vocaux. Le premier, ténor américain qui chante régulièrement en Allemagne et tout à particulièrement, lui aussi, à Munich, qu’on a pu voir dans « De la Maison des morts » mise en scène également par Castorf, est une valeur sûre : la voix est belle et ronde, souple et claire, et l’artiste donne à son doux rêveur très humain, toute la complexité du personnage partagé entre son désir de vivre autre chose, et sa peur de l’aventure. Le deuxième, le baryton allemand Michael Nagy, autre pilier du BSO, est également un interprète de très grande qualité, et son Bonespoir est entrainant, meneur d’hommes (et d’oiseaux) et dispense toute l’énergie nécessaire à la crédibilité du rôle. Du grand art là aussi.

Evidemment et sans surprise, l’immense Wolfgang Koch campe un Prométhée aussi impressionnant dans la déchéance de la gloire illustre déchue, qu’il le fut en interprétant Klingsor dans le Parsifal magistral du BSO, et Wotan quelques jours plus tard dans un Ring complet inoubliable. En Sachs, en Barak, dans tous ces rôles, Koch a ce petit supplément d’âme qui conduit à marquer ses rôles de son empreinte d’immense artiste accompli.

Le Huppe de Günter Papendell, baryton beaucoup plus léger, forme d’ailleurs un contraste parfait et plaisant particulièrement réussi.

Mais tous les autres rôles, notamment le Zaunschlüpfer (le roitelet) d’Emily Pogorelc, sont de très grande qualité, la qualité « BSO » tout comme les chœurs parfaitement à leur place dans le cadre d’une retransmission très réussie (malgré quelques gros plans parfois problématiques pour percevoir l’ensemble de la scène).

Cette captation était la dernière séance avec public (réduit déjà drastiquement à 50 personnes qui ont su malgré tout, exprimé leur enthousiasme, taper des pieds et saluer la performance d’artistes plus nombreux qu’eux…) de l’Opéra de Munich, malgré toutes les garanties que la salle offrait, tant en distanciations physiques, qu’en système de renouvellement de l’air, et malgré une expérimentation réussie durant les deux premiers mois avec des jauges de 200 puis 500 spectateurs.

Reste donc une question que se posent tous ceux, dont je suis, qui aiment cette salle. Quand pourrons-nous enfin y retourner ? 

Espérons que le festival de Munich se tiendra normalement l'été prochain. Ces "Vögel" sont repris sur scène... où l'on a bien envie de les découvrir en "live" !






Retransmission valable jusqu'au 5 décembre (9,90 euros)

https://operlive.de/die-voegel/


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