Le bel art du Lied avec Elīna Garanča, beau choix de chants de Schumann et Brahms, pour un beau CD à se procurer chez DG !

Schumann&Brahms Lieder - Elīna Garanča et Malcolm Martineau

Elīna Garanča accompagnée du pianiste Malcolm Martineau nous offre ici une série de Lieder de la plus belle eau, pour un récital qui s'écoute avec plaisir.

Ceux et celles qui se souviennent d'un récital avec le même accompagnateur du temps des "lundis" du Théâtre du Palais Royal à Paris (juin 2014), auront gardé en mémoire sans doute ce premier cycle de poèmes écrits par Adelbert von Chamisso et mis en musique par Robert Schumann intitulé "Frauenliebe und -leben" où une femme, en 8 courts Lieder, raconte les étapes de sa vie amoureuse. De la rencontre avec l'homme dont elle est tombée éperdument amoureuse à la mort de celui-ci, elle brosse le portrait de ses sentiments, sa folle admiration pour l'être aimé, son bonheur d'être aimée en retour, ses fiançailles, son mariage, l'enthousiasme des nuits de noce, l'enfant à naitre... il y a une sorte de crescendo extrêmement excitant dans la genèse même du cycle qui se termine soudainement par l'ultime chant, celui de la mort, si dépouillé, si sobre, si triste qu'il requiert de la part de l'interprète une faculté exceptionnelle dans l'incarnation d'un rôle.

Comme lors du récital, on apprécie toujours la beauté du timbre, cet art exceptionnel de la nuance qui enrobe littéralement le texte allemand dans une diction parfaite -musique des mots et prononciation des consonnes comprises- et cette technique solide qui permet à la mezzo soprano de garder une voix d'une perfection enviable après tant de rôles, il est vrai toujours intelligemment choisis.

On regrettera cependant un "enthousiasme" de jeune femme amoureuse que l'on ne ressent pas toujours alors que le désespoir de la mort de l'aimé porte l'interprétation de la mezzo-soprano à la perfection qu'on attendait un peu depuis le début. Les premiers chants sont un peu trop retenus et de ce point de vue, on peut regretter que Malcolm Martineau reste aussi discret sans vraiment "porter" la mezzo vers davantage d'extériorisation nécessaire dans ce romantisme exacerbé.

Le "Nun hast du mir den ersten Schmerz getan" est bouleversant et clôt cette première partie du CD.


La deuxième partie est plus "éclectique" et consacrée aux "Lieder und Gesänge" de Johannes Brahms qui fut prolixe en la matière, compositeur insatiable de multiples mélodies pour cycles, si souvent enregistrées, qu'on ne manque pas de références variées en la matière.

Elīna Garanča et Malcolm Martineau ont donc puisé dans cet impressionnant répertoire pour nous offrir une série de 13 petites pièces fort judicieusement choisies par leur variété de style et de thèmes, dans divers opus du maestro allemand.

Ma préférence ira sans hésiter au sublime "Verzagen" (désespoir), où l'élan de la colère conduit à cette précipitation fiévreuse où le piano et les mots se bousculent évoquant furieusement les vagues de l'océan que l'auteur contemple depuis la plage d'où il conte son malheur.

Mais il faut aussitôt admirer le calme avec lequel la belle mezzo aborde la célèbre "Sapphische Ode" avant de reprendre un "o liebliche wangen" agité suivi d'un "Geheimnis" (Secret) rêveur et romantique.

Beau choix donc qui autorise les contrastes et finalement une très belle peinture personnelle de ces belles pièces si souvent mises à l'honneur par les plus interprètes de Lieder, de Fritz Wunderlich à Dietrich Fischer-Dieskau, de Jessye Norman à Christa Ludwig ou plus récemment, Anne-Sophie Von Oter et Mathias Goerne.

Et quelle belle connaissance du Lied et de son infini romantisme qui s'épanouit dans les évocations de la mort et de l'éternité, que de choisir de terminer ce bel album par deux chants extraits de l'opus 43 des "Gesänge", "Die Mainacht" (la nuit de mai) qui chante la solitude et la nuit et surtout le superbe "Von ewiger Liebe" (De l'amour éternel) avec ses derniers vers qui affirment avec énergie l'espoir que l'amour ne meurt jamais 

"Unsere Liebe sie trennet sich nicht! /Fest ist der Stahl und das Eisen gar sehr /Unsere Liebe ist fester noch mehr./Eisen und Stahl, man schmiedet sie um,/Unsere Liebe, wer wandelt sie um?/Eisen und Stahl, sie können zergehn,/Unsere Liebe muß ewig bestehn!". ((notre amour ne peut pas se briser, le fer et l'acier sont solides, notre amour l'est plus encore, le fer et l'acier sont forgés, notre amour qui le transforme ? Fer et acier peuvent fondre, pas notre amour).)


On l'aura compris, ma préférence va nettement aux interprétations de Brahms de ce très bel enregistrement mais l'ensemble est d'une qualité rare et de référence dans le Lied, style, voix, technique, tout y est pour atteindre des sommets.


CD : Deutsche Grammophon

Sorti : 6 novembre 2020

Robert Schumann

Frauenliebe und -lebe

1 Seit ich ihn gesehen

2 Er, der Herrlichste von allen

3 Ich kann’s nicht fassen, nicht glauben

4 Du Ring an meinem Finger

5 Helft mir, ihr Schwestern

6 Süßer Freund, du blickest

7 An meinem Herzen, an meiner Brust

8 Nun hast du mir den ersten Schmerz getan

 

 

Johannes Brahms:

6 Gesänge, op. 3 (Johannes Brahms)

9. Liebestreu


9 Lieder und Gesange, Op. 63 (Johannes Brahms)

10 VIII. Heimweh II

 

5 Lieder, Op. 107 (Johannes Brahms)

11 V. Mädchenlied

 

6 Gesänge, op. 3 (Johannes Brahms)

12 - III. Liebe und Frühling II

 

5 Gesänge, op. 72 (Johannes Brahms)

13 - III. O kühler Wald

14 - IV. Verzagen

 

5 Lieder, op. 94 (Johannes Brahms)

15 - IV. Sapphische Ode

 

5 Lieder, Op. 47 (Johannes Brahms)

16 - IV. O liebliche Wangen

 

5 Gesänge, op. 71 (Johannes Brahms)

17 - III. Geheimnis

 

4 Lieder, op. 96 (Johannes Brahms)

18 - II. Wir wandelten

 

5 Gesänge, op. 72 (Johannes Brahms)

19 - I. Alte Liebe

 

4 Gesänge, op. 43 (Johannes Brahms)

20 - II. Die Mainacht

21 - I. Von ewiger Liebe

 

 


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