L'incroyable beauté de l'art vivant, Cavalleria Rusticana au San Carlo de Naples, avec Jonas Kaufmann et Elina Garanca, Magistral et inoubliable.

Cavalleria Rusticana


Pietro Mascagni

 

Au teatro San Carlo de Naples.

Direttore | Juraj Valčuha

Maestro del Coro | Gea Garatti Ansini

Santuzza | Cavalleria Rusticana

Pietro Mascagni

 

Au teatro San Carlo de Naples.

Direttore | Juraj Valčuha

Maestro del Coro | Gea Garatti Ansini

Santuzza | Elīna Garanča

Compare Turiddu | Jonas Kaufmann

Alfio | Claudio Sgura

Mamma Lucia | Elena Zilio

Lola | Maria Agresta

Orchestra e Coro del Teatro di San Carlo

 

Version concertante

 Enregistrée en direct le 1er décembre 2020

 


Cavalleria Rusticana, ce court ouvrage d’une heure dix, de la veine typiquement vériste de l’opéra de la toute fin du 19ème siècle,  était un rendez-vous « manqué » entre Elīna Garanča et Jonas Kaufmann. Ils  auraient dû le chanter ensemble, à la Scala en juin 2016, projet qui n'a pas abouti, Jonas Kaufmann avait d'ailleurs remplacé son engagement dans cette oeuvre par le fameux "concert Puccini", devenu par la suite un film sorti en salle. Elle s'était également retirée du projet pour des raisons personnelles.

Mais ils nous en avaient donné un avant-goût avec de larges extraits, lors d'un gala à Baden Baden en 2013, un de ces concerts phénoménal, dont on garde longtemps le souvenir 

Jonas Kaufmann n'a chanté qu'un seul Turiddu, en 2015 au festival de Pâques (suivi d'un Pagliacci). Elina Garanca a été Santuzza à Paris Bastille fin 2016. J’ai eu la chance d’être à Baden Baden, à Salzbourg et à Paris. J’attendais la confrontation générale avec impatience. J’ai été servie. Et plus encore…

Et pourtant…quelques défaillances techniques nous ont fait craindre le pire durant les premières notes : victime de leur succès et d'une attaque en règle de spam (la guerre des théâtres en Italie?) le Teatro San Carlo a bien failli ne pas réussir sa première diffusion de ce fabuleux Cavalleria Rusticana. Les premières minutes, si le son était bon, l'image était hachée et décalée. Le choix d'une retransmission par le truchement des vidéos de Facebook, qui permet des commentaires de ceux qui regardent la vidéo, permet aussi des opérations d'interventions massives de "robots" empêchant le bon déroulement de l'opération. Avec plus de 30 000 achats de tickets en ligne, sans doute le San Carlo avait-il sous-estimé le succès de sa belle opération.

Un critique a employé l'expression "vernissage dans théâtre vide", puisque cette ouverture de saison se fait à huis-clos et qu'elles se succèdent en ce moment dans les salles italiennes. Florence avait proposé Otello, pour Naples, c'était Cavalleria, Milan propose un gala "à l'autrichienne" comme disent les italiens.

Interruption donc dès après les premières minutes et reprise avec toute la qualité technique requise, sans autre incident.


Place donc ensuite à la beauté d'une représentation qui alignait deux super-stars et confirmait les immenses qualités vocales, expressives et musicales des deux héros de la soirée, séparément comme ensembles.

Pas de mise en scène mais quelques "mises en situation" muettes mais éloquentes, "portrait" des artistes face à face, dans les loges du théâtre pour figurer le drame pendant les passages orchestraux.


Je commencerai par le Turiddu de Jonas Kaufmann, en tous points exceptionnel, qui, comme d'habitude, ne ressemble à aucun autre (et l'on  en voit énormément, c'est une oeuvre très souvent donnée), qui a là aussi, mûri le jeune compère de 2015, déjà torturé et désespéré dès les premières notes lors de sa Siciliana (Sérénade) d'ouverture, chantée comme il se doit hors de la scène, mélancolique et romantique, terminant sur un fa en diminuendo dans un long souffle qui est sa marque de fabrique et évite la fin abrupte parfois donné à l'air le plus lyrique de la partition de ténor.

Le Turiddu de Kaufmann semble résigné à son destin fatal dans cette Sicile qu'on imagine toujours écrasée de soleil pendant les superbes choeurs dont la partition est dotée. Et la grande forme vocal du ténor se confirme avec éclat dans cette incroyable succession d'airs rageurs, émouvants, accrocheurs, où l'intérprétation fait toujours sens et où, derrière le brillant chanteur (quel timbre éclatant fait de bronze et d'airain) se montre en permanence le comédien qui incarne un rôle et n'en sort (difficilement d'ailleurs) qu'à l'issue finale.

Pas de grimaces, pas d'excès véristes vulgaires qui accompagnent parfois l'interprétation de ce rôle, juste ce qu'il faut de colère et de désespoir exprimé par un artiste très spécial et aussi sobre qu'expressif. Et son "Mamma" traduit toute l'émotion de son adieu dans le fameux "Mamma, Quel vino è generoso" et avec un naturel époustouflant, le ténor fait passer touts les sentiments qu'expriment ces adieux, le "Un Bacio" est renversant d'émotion. A réécouter en boucle pour saisir toutes les nuances, tous les sentiments, toutes la musicalité extrême qui s’exprime alors. Et puis c'est ce timbre et ce style à nul autre pareil, qui déchaine l'enthousiasme de celui qui écoute cette prestation rare et bouleversante. Pianissimo, crescendo en longue note tenue, forte en notes aigues claironnantes, toute la panoplie de cette ligne de chant toujours parfaitement maitrisée, nous a été donnée. La forme vocale du ténor est d'une splendeur rare et irremplaçable.

La belle Elina Garança est tout aussi remarquable. Elle partage avec Kaufmann le choix d'un chant qui sait toujours ménager les nuances et les longues notes, tout en donnant de la voix aux moments climax. Leur entente vocale était plus que parfaite (ils ont l'habitude de chanter ensemble, y compris en récital), elle partage aussi cette belle faculté de changer de registre et de style selon les airs et ce qu'elle a à raconter, leur duo en forme d'empoignade strictement vocale (ils se tournaient l'un vers l'autre mais le protocole interdisait tout rapprochement excessif). Timbre magnifique là aussi au service d'une véritable incarnation dramatique puissante.

Son récit de la scène 4 (Voi lo sapete, o mamma, prima d'andar soldato) montre à quel point la mezzo soprano maitrise son magnifique instrument, campant une Santuzza belle à mourir et d'une épaisseur psychologique torturée face à la jeune et insouciante Lola, incarnée pour une fois par une solide soprano, toute en subtilités vocales, Maria Agresta, choix "de luxe" pour parfaire une très belle distribution.

Emouvante à pleurer aussi, la mamma de Elena Zilio , 79 ans et encore des moyens vocaux fabuleux, qui "joue" elle aussi parfaitement son rôle, aussi bien qu'elle le chante, malgré les distances "physiques" d'avec sa bru ou son fils, le courant passe dans leurs duos comme s'ils étaient face à face.

L'Alfio de Claudio Sgura, à la voix rocailleuse et à l'allure adéquate au personnage, n'est pas en reste dans une distribution de rêve formidablement accompagnées par les choeurs des "villageois" personnages à part entière dans ce bref opéra, servant de contrepoint aux dialogues brûlants des solistes.

Et malgré les masques, les distances et tout le reste, le maestro slovaque Juraj Valčuha, nous a donné une belle leçon musicale lui aussi. Son prélude comme son intermezzo sonnaient bien, avec ce qu'il faut d'accents annonçant la tragédie sans en faire de trop, avec une belle sonorité des instruments, changeante selon les scènes de l'oeuvre, tout cela avec des mouvements sobres et un regard courant sans cesse d'un bout à l'autre de l'orchestre, qui fait mesurer les difficultés à "embrasser" tout son petit monde d'un coup.

Coup d'essai, coup de maitre pour le San Carlo.

On regrette bien évidemment le regard un peu triste des artistes, pas encore « sortis » de leurs personnages, devant une salle vide, sans applaudissements, sans ces cris d'enthousiasme qu'on attend forcément après une prestation aussi éblouissante, sans cette « délivrance » qui leur permet de se détendre et de sourire, mais nous, derrière nos écrans on reste plus que jamais convaincus que l'art vivant à ce niveau de qualité est un bien précieux.

 

 

 

Disponible en ligne du

04.12.2020 à 20h00 CET au 07.12.2020 à 20h00 CET 

Ticket d'entrée à 1,09 euros, s'inscrire en ligne ici

https://www.facebook.com/events/2725066681078554/  

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