Soirée magnifique, vive et drôle, avec fin bouleversante, pour ce Falstaff, de l'Opéra de Munich, direction Mariotti, avec Wolfgang Koch

Falstaff

Giuseppe Verdi

Livret de Arrigo Boito d'après „The Merry Wives of Windsor“ et des extraits de „King Henry IV“ de William Shakespeare.

 

Séance du 2 décembre, sans public, retransmise en livestream depuis l'Opéra de Munich.

 

Direction musicale : Michele Mariotti 

Mise en scène : Mateja Koležnik 

Décors : Raimund Orfeo Voigt 

Costumes : Ana Savić-Gecan 

 

Sir John Falstaff : Wolfgang Koch 

Ford : Boris Pinkhasovich 

Fenton : Galeano Salas 

Dr. Cajus : Kevin Conners 

Pistola : Callum Thorpe 

Mrs. Alice Ford : Ailyn Pérez 

Bardolfo : Timothy Oliver 

Mrs. Quickly : Judit Kutasi 

Nannetta : Elena Tsallagova 

Mrs. Meg Page : Daria Proszek

 

Bayerisches Staatsorchester

Chor der Bayerischen Staatsoper

 

En retransmission gratuite le 2 décembre, en VOD à partir du 5 décembre

https://www.staatsoper.de/stueckinfo/fa ... -00-1.html

 

Pour mémoire là aussi, comme la Bohème de la veille, il s'agit d'une séance unique de ce qui aurait du être la Première de cette nouvelle production, déjà programmée en ouverture du festival d'été (et pour lequel j'avais des places), lequel a été totalement annulé pour cause de COVID. Les deux autres séances prévues en décembre sont annulées (5 et 12 décembre). Par contre une nouvelle série est programmée en mai 2021, les 16, 19 et 22, avec la même distribution.

Ce sont les débuts de Wolfgang Koch en Falstaff.

L'Opéra de Munich qui organise traditionnellement une "Première matinée" c'est à dire une séance de présentation le dimanche matin, en salle, pour chaque nouvelle production, n'a pas dérogé à la règle malgré le COVID et l'on peut voir cette présentation sur la chaine Youtube de l'Opéra ici

https://www.youtube.com/watch?v=4z1Z8MY ... xAma4yONqA

 

Soirée magnifique, vive et drôle, avec fin bouleversante…

Toujours étrange de songer qu’au crépuscule de sa vie, Giuseppe Verdi, 80 ans et 27 opéras, décide d’écrire une comédie, et en demande le livret à Boito, reproduisant ainsi l’équipe de son Otello, avant-dernier de ses opéras. Le maestro italien déclarait alors : « Après avoir sans trêve massacré tant de héros et héroïnes, j'ai finalement le droit de rire un peu. »

Le travail de Boito est remarquable, se basant sur deux écrits de Shakespeare mais surtout, revenant à la source italienne de l’inspiration du dramaturge britannique.

Et le dernier opéra de Verdi est un chef d’œuvre, dont le modernisme est assez sidérant si on le replace dans son époque. Les premières représentations, qui déroutent davantage le public que les critiques, sont contemporaines du Manon Lescaut de Puccini (qui n’en est lui, qu’à son troisième opéra). Verdi adopte une écriture musicale fluide tout au long de l’histoire bien menée et bien racontée, et si orchestration et ensemble des voix sont d’une grande richesse, il n’y a que peu de « grands airs » de solistes.

La représentation donnée hier à huis-clos à l’Opéra de Munich, est une parfaite illustration de l’intelligence musicale collective au service d’une œuvre.

Et il faut d’abord saluer le remarquable travail très italien, de Michele Mariotti, qui, avec un orchestre où les instrumentistes restent éloignés les uns des autres, et placés au parterre (dont les premiers rangs ont été supprimés), la fosse étant recouverte d’un plancher, nous offre une direction minutieuse, précise, enveloppante, qui valorise cette très belle partition, et tout particulièrement sa partie orchestrale, parfois noyée dans le caractère burlesque de l’opéra.

Il faut souligner d’ailleurs sa complicité avec les chanteurs et le bel ensemble qu’ils forment, notamment dans toutes les nombreuses parties où ils doivent chanter à deux, trois, quatre, six, huit… tout y est, les dialogues, les contrastes entre les voix et les caractères, le rythme, les accélérations musicales tout à la fois drôles et subtiles des cordes, des cuivres des percussions, un vrai bonheur pour l’oreille. 

La mise en scène de Mateja Koležnik, servie par des décors très fonctionnels et esthétiques de Raimund Orfeo Voigt et par les magnifiques costumes d’Ana Savić-Gecan, sort un peu des clichés habituels sans trahir l’œuvre, en la rajeunissant plutôt et en offrant une grande fluidité aux chanteurs qui exécutent un quasi-ballet dans leurs mouvements sur scène en osmose parfaite avec la musique et son rythme. Panneaux coulissants dévoilent tel ou tel aspect de la scène et les colonnes du bâtiment de l’acte 1 serviront à symboliser les arbres de la forêt de l’acte 2 derrière lesquels se glisseront les fées et fantômes dans un joli ballet style revue de cabaret (mon truc en plume…). Les photos montrent bien la recherche d'un effet pictural "suite de tableaux" aux détails très soignés et qui illustrent parfaitement l'histoire.

Les personnages ont chacun leur touche personnelle, y compris dans leurs travestissements, et une direction d’acteurs au cordeau, leur permet de donner sens et vie à des rôles tous très typés. Les interprètes, tous scéniquement très expressifs, nous offrent une qualité de chant très « munichoise » où aucun air ne peut se concevoir sans nuances et sans la subtilité d’une véritable incarnation.

On oublie assez aisément (si on excepte le « silence » de la salle) qu’il s’agit d’une retransmission au temps de la pandémie jusqu’à la fugue finale… Qui nous saisit de plein fouet pour nous ramener aux conditions si particulières de cette Première d’une nouvelle production, phare du festival annulé de l’été 2020.

Nous voyons alors les prestations de chacun, filmés en répétition, sans costume, sans déguisement, tête nue projetée dans de petits carrés à l’écran géant posé sur la scène, le chef au milieu, en noir et blanc tandis que, silencieux et masqués, les chanteurs apparaissent peu à peu sur la scène, rejoints par Mariotti, et que la caméra prenant du recul montre l’orchestre debout, silencieux lui aussi.

Choc pour une très belle fugue. Bouleversant.




Côté chant, comme pour la Bohème de la veille, l’esprit d’équipe domine et l’on sent le plaisir qu’ont tous ces chanteurs à travailler ensemble.

C’était une prise de rôle pour Wolfgang Koch qui démontre une nouvelle fois l’étendue d’un talent assez multiforme en campant un Sir John Falstaff, presque cousin germain de son Sachs des Meistersinger, plus subtil, plus humain que ne le sont nombre d’interprètes du personnage. J’avoue avoir pensé à plusieurs reprises à Tito Gobbi, et avoir trouvé des ressemblances entre Rigoletto et Falstaff qui ne m’avaient pas frappée avec d’autres interprètes mettant davantage l’accent sur le caractère exclusivement bouffon du personnage. 

Boris Pinkhasovich lui donne la réplique en Ford, dans un chant élégant et racé qui là aussi, privilégie la subtilité et les échanges de grande qualité musicale. Beau timbre et élégance du phrasé, mais je crois que je ne l’ai jamais entendu en salle, difficile de juger exclusivement sur une retransmission. Beaucoup de qualités et un nom à retenir en tous cas. 

J’aurais beaucoup plus de réserves pour le Fenton bien pâlichon de Galeano Salas et j’avoue qu’en l’entendant, je sais pourquoi ce n’est le côté « solaire » d’un timbre qui retient le plus mon attention mais l’incarnation vocale d’un rôle. Et là c’est un peu sous-dimensionné et assez frustrant surtout aux côtés de l’éblouissante Nanetta de Elena Tsallagova, soprano que j’aime énormément, qui fut pour moi inoubliable en Mélisande à Paris et à Munich, ou en Berthe (Le Prophète) à Berlin. Belle voix, chant enjoué, présence magnifique, elle nous sort un peu des Nanetta parfois un peu mièvre pour occuper dignement sa place au milieu des « commères ».

Excellents Dr. Cajus de Kevin Conners, Pistola de Callum Thorpe et Bardolfo de Timothy Oliver, piliers de la troupe munichoise, qui ne décoivent jamais et dont l’évidente complicité fait merveille dans les véritables numéros à trois auxquels ils se livrent.

Jolie surprise d’avoir Ailyn Pérez en Mrs. Alice Ford (c’était initialement Aleksandra Kurzak qui était prévue dans la production l’été dernier). C’est une Alice de luxe, très à l’aise sur scène, caustique, drôle et décidée, formant avec l’étonnante Meg de Daria Proszek et la plaisante Mrs. Quickly de Judit Kutasi, un trio fantastique de justesse. 


L’Opéra de Munich nous offre pour la quatrième fois depuis début septembre, des retransmissions de grande qualité, les deux dernières étant le fait de représentations unique, sans public. C’est une maison qui sait garder ses talents chez elle quand il le faut et les faire partager au public du monde entier, c’est un précieux atout. 

Lors de l’entracte, le direction du théâtre, Bachler, nous a présenté les futures nouvelles productions retransmises, a priori avec public cette fois, le Freischutz, le 13 février (Mise en scène de Tcherniakov) et Rosenkavalier  le 21 mars (mise en scène de Barrie Kosky).


On ne peut qu’espérer que la reprise de ce Falstaff prévue en mai, se fera bien avec public, dont l’interaction manque cruellement (les rires, les soupirs, les applaudissements, la vie quoi…) et que nous laisserons définitivement derrière nous ce qu’exprime si bien le final actuel.

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