Un Barbier électrisant magnifiquement dirigé, joué, chanté, malgré le COVID à l'Opéra de Rome, le théâtre et l'art lyrique à l'honneur !

Le Barbier de Séville

Gioachino Rossini

Livret de Cesare Sterbini d’après la pièce de Beaumarchais.

Création en 1816 à l’Opéra de Rome.

 

Séance du 5 décembre à l'Opéra de Rome, à huis-clos, ouverture de la saison, retransmission par la RAI.

 

Direction musicale : Daniele Gatti

Mise en scène : Mario Martone

Costumes d'Anna Biagiotti 

Lumières de Pasquale Mari.


Figaro : Andrzej Filończyk 

Ruzil Gatin : comte d'Almaviva, 

Vasilisa Berzhanskaya : Rosina

Alessandro Corbelli : Don Bartolo 

Alex Esposito : Don Basilio

Patrizia Biccirè : Berta 

Roberto Lorenzi : Fiorello


Cette Première, nouvelle production et ouverture de la saison d'une autre prestigieuse maison italienne, celle de Rome (après Florence et Naples), est une création originale d’une qualité impressionnante.

L'Italie généralise donc des Ouvertures de saison prestigieuses et très convaincantes jusqu'à présent, malgré l'absence de public puisque le confinement est toujours de rigueur là-bas. 

Celle-ci vaut franchement d'être vue.

La mise en scène de Martone prend résolument le parti d'utiliser tous les lieux de l'Opéra, son parterre d'abord, tendu de cordes blanches qui évoquent l'enfermement de Rosina et se dénoueront lors du final,  mais aussi la scène bien sûre, totalement nue qui forme un immense plateau, les coulisses comme lieu de passage qu'un chanteur peut traverser après être sorti côté cour pour revenir côté jardin, les loges qui se rempliront des soldats de la garde, excellente manière d'isoler les choristes les uns des autres tout en donnant une impression de théâtre d'automates, les extérieurs avec ce petit film où le maestro Gatti et Figaro arrivent ensemble à scooter traversant Rome pour entrer à l'Opéra, les vidéos enfin avec ces vieux films d'actualités de l'Opéra de Rome, en noir et blanc, montrant les spectateurs sur leur trente et un et  astucieusement glissées pour figurer une salle pleine...Et on a même droit aux deux "vieux" grincheux des Muppets Show dans leur loge demandant qu'on baisse la lumière trop vive sur la scène...

C'est sans doute l'idée la plus astucieuse que j'ai vu dans toutes ces représentations montées au temps du lockdown sans public et qui restent si attachées finalement à ce qu'est vraiment le théâtre, le montrant, lui aussi, sous toutes ses belles coutures. Qui est allé voir un opéra dans cette salle (où l'ambiance est toujours "chaude", les Italiens ont un rapport au lyrique très ancestral), se sent rempli de joie à la vision de ce spectacle. L'inverse, peut-être, de l'infinie tristesse qu'exprimait le final de Falstaff à Munich. Chacun sa manière de "remplir" le vide du lockdown imposé aux artistes.

La direction d'acteurs est évidemment au cordeau et merveilleusement réalisée par une équipe très dynamique et qui s'est prise au jeu avec un enthousiasme communicatif depuis le vétéran Alessandro Corbelli (en fauteuil roulant) jusqu'aux jeunes Andrzej Filończyk et Ruzil Gatin qui nous donnent tous une belle leçon de théâtre, où l'on songe vraiment à Beaumarchais et à sa merveilleuse pièce. 

La direction de Daniele Gatti, directeur musical de la maison, est époustouflant de virtuosité. Il dirige un orchestre en pleine forme, installé en fosse et apparemment complet, le continuo (basse et clavecin) prenant place sur la scène, autre astuce à saluer, les instrumentistes se "mélangeront" en quelque sorte à la dramaturgie lors de la scène (fameuse !) de la leçon de musique.

Le maestro, en pleine forme lui aussi, dirige à gauche, à droite, derrière lui, devant lui en bas, en haut, bref, il est partout et pour le coup, du Rossini comme cela on en écouterait tout le temps. Dès l'ouverture, le ton est donné d'ailleurs, le rythme rapide, vif, les notes virevoltent dans tous les coins de la salle qui ne parait pas vide par un astucieux jeu de lumière et du fait de la présence des chanteurs.

D'une manière générale c'est un Rossini aux tempi souvent accélérés lors des fameux airs qui ponctuent la partition, et ce, dès le Largo al factotum de Figaro et surtout lors du "A un dottor della mia sorte " (d'où l'on sort... essoré...).

Et c'est très très bien chanté, tout y est : vocalises, trilles, chanté saccadé ultra rapide, ensembles réglés comme du papier à musique, jeunesse et fougue comme vieillesse et rouerie, nous sommes au milieu d'un maelström sans temps mort, absolument époustouflant.

Saluons d'abord le Figaro d'Andrzej Filończyk, ce baryton polonais que j'ai découvert dans Die Tote Stadt l'an dernier à Munich (puis revu et également apprécié en Marcello dans la Bohème du ROH retransmise en direct au Cinéma) et qui s'épanouit totalement dans le rôle et dans le cadre donné. C'est vraiment un artiste à suivre de près, il a énormément de talent d'acteur, une très belle voix, très souple et un art consommé du bel canto qui faisait merveille dans le rôle du Barbier. Et découverte totale pour moi : le comte de Ruzil Gatin, peut-être un tout petit peu moins brillant, n'en est pas moins un jeune Almaviva plein d'allant, au chant soigné et ciselé, aux envolées époustouflantes et aux déclarations d'amour irrésistibles.  Belle Rosina également de la mezzo Vasilisa Berzhanskaya, qui me confirme le fait que je préfère de loin cette tessiture pour la jeune pupille de Bartolo, le chant se marie parfaitement avec celui des autres protagonistes, elle est élégante et ingénue, pratique correctement et avec légèreté les vocalises et est en tout point charmante, ce qu'il faut très exactement pour le rôle (sa colère quand elle se croit trahie par "Lindoro" est également un grand moment musicale où la chanteuse se montre capable d'un changement de registre assez efficace). Alessandro Corbelli en Don Bartolo est tout simplement sidérant de justesse. A près de 70 ans, il tient bien la rampe et son jeu de vieux barbeau tyrannique mais manquant de peu la crise d'apoplexie lors de ses colères, déclenche très souvent le rire ... et l'admiration car la vitesse d'exécution de certains de ses airs est proprement stupéfiante. Alex Esposito campe lui aussi un excellent Don Basilio très en forme et très bien "joué". 

Bref on est comblé.





En espérant que cette très grande réussite, saluée par la presse italienne décidément ravie des "ouvertures" successives de saison par les Opéras de Florence, de Naples puis de Rome, sera bientôt visible par tous. Elle le mérite.

 

Après avoir été diffusée sur Rai 3 le 5 décembre, l'émission sera diffusée sur Rai 5 le soir du Nouvel An.

La représentation est toujours en ligne par ce lien (malheureusement réservé aux résidents en Italie) :

https://www.raiplay.it/video/2020/12/Il ... EGMciv23xw

 

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