Au Grand Théâtre de Genève, un Pelléas et Mélisande d'une noirceur poétique qui bouleverse, magnifique mise en scène et belle interprétation musicale

Pelléas et Mélisande



de Claude Debussy

Livret de Maurice Maeterlinck d'après sa pièce de théâtre homonyme. 

La première eut lieu le 30 avril 1902 à l'Opéra-Comique à Paris 

Drame lyrique

 

 

Retransmission en direct sans public depuis le Grand Théâtre de Genève, le 18 janvier 2021

Direction musicale : Jonathan Nott

Direction musicale : Jonathan Nott

Mise en scène et chorégraphie : Damien Jalet & Sidi Larbi Cherkaoui

Scénographie et concept : Marina Abramovic


avec

Pelléas : Jacques Imbrailo

Mélisande : Mari Eriksmoen

Golaud : Leigh Melrose

Arkel : Matthew Best

Geneviève : Yvonne Naef

Yniold : Marie Lys, soprano

Un médecin / un berger : Justin Hopkins

La Fille de Mélisande (rôle muet) : Agathe Liechti

 

Danseurs :

Shawn Fitzgerald Ahern Oscar Ramos

Robbie Moore

Pascal Marty

Jonas Vandekerckhove

Xavier Juyon*

Valentino Bertolini*

Carl Crochet

*Danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève

Avec le Chœur du Grand Théâtre et l'OSR.

 

 

Il y a des retransmissions de représentations "live" sans public qui font un peu figure de parent pauvre de l'opéra du point de vue de la qualité de la captation, des éclairages, de la scénographie comme le récent Linda di Chamounix donné à Florence récemment, et puis il y a des mises en scène/décor/Chorégraphie/costumes qui, à l'inverse, profit de l'oeil caressant et subtil de la caméra et nous propose un spectacle envoûtant et fascinant à l'image du drame lyrique poétique de Debussy et Maeterlinck.

Damien Jalet et Sidi Larbi Cherkaoui sont tous deux danseurs et chorégraphes, réussissent une très belle mise en images, puissante par son évocation fidèle du sujet, des mystères de ce château sombre et immense, de la forêt, du jardin, de la grotte; de la mer, dans ce monde étrange où les êtres vont se détruire. Eclairages, vidéos (un énorme "oeil-caméra", décor minimal mais esthétiquement admirable, costumes, danseurs omniprésents, mouvements des chanteurs, tout contribue à cette poésie noire de la mort par asphyxie, dans ce sombre lieu où la lumière ne parvient pas à pénétrer. La lumière c'est la très belle et lumineuse Mélisande, longs cheveux de lin, robe aux arabesques folles, claire et transparente qui aura son double lors de la dernière scène en la personne de son enfant, petite fille clone de la très jeune femme, dans une image de séparation inéluctable bouleversante. Les hommes sont habillés de sombre de même que leur héritier, le "petit" Yniold qui sera un jour aussi grand que son père Golaud.

La chevelure de Mélisande qui descend de la tour jusqu'au sol sont autant de longs fils très minces qui s'enroulent autour de Pelléas amoureux et qui seront des rênes agitant la fureur de Golaud quand il la brutalise.

Les danseurs, dont les corps ne sont pas idéalisés ou aseptisés, montrent ceux de vrais athlètes, que les jeux de lumière rendent régulièrement marmoréens, statues vivantes ou pétrifiées, éléments de l’action et du drame, ou du décor et de sa beauté glacée.

Il y a des images très fortes qui s’inpriment durablement dans la mémoire du spectateur s’associant parfaitement à l’œuvre envoûtante de Debussy.

Vocalement on est d’abord franchement séduit par l’apparition de Mélisande (Mari Eriksmoen), qui a cette part d’infinie beauté, d’innocence et de mystère, et une présence physique presque charnelle comme si elle voulait sortir de son enveloppe de réserve pour se libérer enfin. Un très beau timbre allié à une belle technique pour ce chant toujours à la limite du « sprechgesang » et qui demande à l’interprète d’être un intermédiaire entre théâtre et art lyrique en permanence.

Le Golaud de Leigh Melrose impressionne également par la justesse d’une incarnation complexe et torturée à l’image du personnage du mari, du chasseur, de l’assassin prisonnier d’un destin de coupable en quelque sorte. Belle voix et belle prestance sur scène, il effraie plus souvent qu’à son tour, prêt à tout pour savoir ce qu’il en est d’un amour qu’il devine avant même d’en avoir la preuve (qu’il n’aura jamais d’ailleurs) entre son frère et son épouse.

C’est le couple qui se croise dans la forêt sombre et profonde et qui impressionne immédiatement.

Le Pelléas de Jacques Imbrailo a un petit côté Pierrot lunaire assez séduisant au départ mais à mon goût trop uniforme à la longue pour être tout à fait convainquant. Le personnage manque de relief aux moments les plus climax et peine un peu à se situer au même niveau que ses partenaires. Bel Arkel de Matthew Best, forte personnalité et très grande présence scénique, voix parfois sans doute en délicatesse avec la justesse mais énergie remarquable et charisme à toute épreuve. Le petit Yniold de Marie Lys a, lui aussi, tout le charme et le mystère de l’enfant trop tot confronté à un drame dont il pressent l’issue fatale sans pour autant pourvoir faire autre chose que de jouer son rôle d’enfant. Jolie voix un peu verte comme il se doit et belle quasi chorégraphie sur scène.

Et bravo également pour leur justesse aux rôles secondaires comme le double rôle de Justin Hopkins ou la brève apparition de Yvonne Naef sans oublier la belle silhouette incarnée silencieusement par la petite Agathe Liechti.

Tout ceci est magnifiquement dirigé par Jonathan Nott pour offrir un spectacle de haute tenue qui sera sans doute critiqué par les apports de la danse mais que personnellement j’ai beaucoup apprécié.

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