Audacieux et merveilleux "Hansel und Gretel" à l'Opéra national du Rhin, mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau

Hansel und Gretel


Engelbert Humperdinck

 

Conte théâtral en trois tableaux

Livret d’Adelheid Wette

Créé au Hoftheater de Weimar le 23 décembre 1893

 

Nouvelle production de l'Opéra National du Rhin/Captation sans public de la séance du 23 décembre

 

Direction musicale : Marko Letonja

Mise en scène, décors, costumes : Pierre-Emmanuel Rousseau

Lumières : Gilles Gentner

Chorégraphie : Pierre-Emile Lemieux-Venne

Les Petits Chanteurs de Strasbourg - Maîtrise de l'Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg

Chef de chœur : Luciano Bibiloni

 

Hansel : Anaïk Morel

Gretel : Elisabeth Boudreault

Peter : Markus Marquardt

Gertrud : Irmgard Vilsmaier

La Sorcière : Spencer Lang

Le Marchand de sable, la Fée rosée : Helène Carpentier

 

Il aurait été vraiment dommage que cette nouvelle production du conte des frères Grimm, connu des enfants du monde entier, et magnifiquement adapté par Humperdinck, ne soit jamais vue du fait des restrictions imposées aux salles de spectacle du fait de l'épidémie de COVID.

C'est Eva Kleinitz, alors directrice de l'Opéra National du Rhin et décédée l'an dernier, qui avait promu ce beau projet, confiant la mise en scène, les décors et les costume à Pierre-Emmanuel Rousseau. Par bonheur le projet a pu, grâce à l'aide des chaines de TV locales des Vosges et de l'Alsace, être joué et diffusé assez largement. On peut désormais voir et revoir cette très belle réalisation en streaming le site de ces TV.

L'oeuvre de Engelbert Humperdinck sur un livret de sa propre soeur, est musicalement foisonnante, offre de magnifiques ensembles, duos, trios, aux chanteurs, de beaux moments musicaux et des paroles très poétiques particulièrement adaptées à la musique avec laquelle à la manière de Wagner dont Humperdinck fut l'assistant et le disciple, elles font corps en permanence, sans oublier des passages purement orchestraux de toute beauté. Ceux qui connaissent l'autre chef d'oeuvre d'Humperdinck, Die Koenigskinder (autre conte avec sorcière et enfants perdus mais dont la fin est tragique), reconnaitront des passages entiers très similaires, particulièrement poétiques et musicalement sublimes, dans les récits de voyages par monts et par vaux. Dans Hansel und Gretel, c'est le chant des sorcières, et on peut même y voir une allusion à la Chevauchée des Walkyries, hommage au maître ou très légère caricature amusante ? Difficile de trancher, un peu des deux sans doute... C'est une version pour "orchestre de chambre", réalisée par Tony Burke, qui a été choisie et elle ne trahit d'aucune manière l'oeuvre, qui reste d'une grande richesse musicale.

Pierre-Emmanuel Rousseau nous propose une lecture moderne et audacieuse de cette sorcière mangeuse d'enfants, qui traduit fort bien tout à la fois la beauté des rêves d'enfants et la cruauté du monde adulte, avec ses prédateurs sexuels et ses tentateurs via l'abondance factice et colorée des friandises formatées et autres nourritures standardisées. 

Ce faisant, le metteur en scène s'appuie sur l'ensemble du livret de cet opéra, qui, comme le conte, bien loin de la mièvrerie qu'on lui concède parfois, est une histoire cruelle, où des enfants meurent de faim et se retrouvent envoyés seuls par leurs parents dans une sombre forêt pour y faire de bien mauvaises rencontres, dont celle d'une sorcière qui trouve la petite Gretel "dodue" à souhait et regrette que le doigts d'Hansel soit si maigre...La fin permet d'en faire une jolie histoire pour enfants qui retournent la situation et brûlent la sorcière mais le chemin initiatique et les multiples dangers qu'ils courent auparavant, sont parfaitement bien illustrés par cette belle lecture qu'on apprécie à chaque nouveau tableau.

S'inspirant d'abord des saisissants "clichés des bidonvilles de Glasgow" (de Raymond Depardon), il choisit des décors et des costumes tout à la fois hyper réalistes et très évocateurs de la misère, et poétiques par leur stylisation extrême et surtout la grâce des personnages évoluant sur scène qui gardent du début à la fin de la représentation, une dimension délicieuse d'artistes chantant et dansant tout à la fois. La forêt est hérissée de dalles de béton dressées tels des menhirs d'aujourd'hui, les lumières d'une ville lointaine et invisible omniprésentes comme un Eden inateignable, le cygne mystérieux qui amène et emmène les personnages, comme un clin d'oeil à Lohengrin, et puis la maison de la sorcière en sorte de parc d'attraction plein de tentations, la cage dorée pour grand oiseau où les enfants sont enfermés, l'improbable sorcière elle-même, campée par un ténor androgyne, déguisée en vamp, qui nous propose lui (elle) aussi un numéro époustouflant de séduction macabre.

C'est tout simplement magnifique et on se laisse immédiatement entrainer par la magie de ce conte modernisé de la misère sociale.

La direction musicale de Marko Letonja a la vivacité et la précision enchanteresse qui permet une parfaite valorisation de cette musique splendide. 

Et il faut saluer le plateau vocal dans son ensemble qui nous offre du chant de très haut niveau avec la jeunesse et la légèreté qui sied notamment aux rôles des deux enfants, très bien tenus par le Hansel d'Anaïk Morel et la Gretel d'Elisabeth Boudreault, qui méritent tous les éloges tant pour la beauté de leurs voix, cristallines et enfantines, la justesse de leurs jeux (d'enfants intelligents et sensibles), et l'ensemble de leurs prestations remplies de belles surprises et preuve d'une grande maitrise des rôles.

La Sorcière du ténor Spencer Lang est l'autre belle réussite de cette représentation, hélas unique. Il est tout à fois drôle et cruel, démontre une capacité assez fantastique d'occuper la scène dans une sorte de ballet frénétique très jouissif et domine son rôle (généralement confié à une mezzo) avec un abattage phénoménal. Helène Carpentier est le Marchand de sable et  la Fée rosée avec un égal bonheur, beau timbre et agréable présence.

Mais les autres rôles le Peter de Markus Marquardt ou la Gertrud d'Irmgard Vilsmaier complètent parfaitement le tableau des choix très réussis des artistes interprètes de ce beau conte.

Enfin, les "artistes de complément", acrobates, danseurs, figurants, qui donnent au spectacle toute sa dimension ludique et féérique, complètent agréablement une bien belle réussite de l'Opéra du Rhin.

A voir et revoir sans hésiter !

 

Retransmission par ce lien

https://www.viavosges.tv/musique/live/H ... k62fAQ8au8

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