Der Freischütz à Munich : Une nouvelle réalisation attendue mais décevante de Dmitri Tcherniakov, belles performances scéniques et vocales des chanteurs, remarquable Kyle Ketelsen...

Der Freischutz 



Opéra romantique en trois actes - 1821

de Carl Maria von Weber 

Sur un livret de Friedrich Kind 

 

Nouvelle production. Première à Munich, Bayerische Staatsoper, le 13 février 2021

Représentation sans public avec retransmission en direct à 19h

 

Direction musicale Antonello Manacorda 

Mise en scène, décor Dmitri Tcherniakov 

Costumes Elena Zaytseva 

Lumières Gleb Filshtinsky 

Ottokar Boris Prýgl 

Kuno Bálint Szabó 

Agathe Golda Schultz 

Ännchen Anna Prohaska 

Kaspar Kyle Ketelsen 

Max Pavel Černoch 

Ein Eremit Tareq Nazmi 

Kilian Milan Siljanov 

Vier Brautjungfern Eliza Boom, Sarah Gilford, Daria Proszek, Yajie Zhang

 

Video on demand à partir du 15 février.

 

Deux séances prévues au festival de Juillet (les 2 et 5).

 

Bayerisches Staatsorchester

Chor der Bayerischen Staatsoper


L'histoire si génialement orchestrée par Weber (ce qui en fait musicalement un de mes opéras préférés) est assez tarabiscotée et les lieux "extérieurs" de l'action (notamment la "Gorge-aux-loups") ne rendent pas forcément aisée une mise en scène par temps de coronavirus même à Munich, maison qu'il faut quand même saluer pour avoir respecté assez brillamment tous ses engagements de la saison en "nouvelles productions" programmées (Die Vögel, les Sept vies de Maria Callas, Falstaff et à présent ce Freischutz, auxquelles se rajoutent ces concerts du lundi, souvent brillants et originaux, parmi lesquels s'est glissée délicieuse Bohème, fort bien troussée).


Mais faire de cette histoire de garde-forestier et de chasseurs dans la Bohème de 1648, une sombre rivalité à huis-clos dans le luxueux dernier étage d'une tour d'affaires, salle des fêtes d'une grosse entreprise, c'est assez osé. On retrouve bien ceci dit le style de Tcherniakov, son sens des atmosphères intérieures oppressantes dans des lieux très bourgeois et cruels, où les humiliations d'un patron tout puissant sont légions pour le pauvre Max, personnage le plus souvent pitoyable et malmené. C'est franchement assez difficile de réussir à faire la jonction entre le livret et la scène, et autant de complexité n'apporte que rarement un éclairage intéressant. Mais de temps en temps quand même.

Comme toujours saluons chez Tcherniakov, l'excellente direction d'acteurs qui fait que rien n'est jamais laissé au hasard et que la scène est vivante en permanence. Il s'est manifestement beaucoup plus intéressé aux hommes qu'aux femmes à qui il réserve la portion congrue question mouvements et profondeur des personnages,  faisant d'Agathe une élégante écervelée traditionnelle tandis que Ännchen est son "amie" (chez Tcherniakov) peroxydée, moderne et bonne conseillère.

Le rôle le plus remarquable dans la problématique Tcherniakov est réservé à Kaspar, qui, dans un numéro hallucinant, ne fait qu'un avec Samiel. Ces scènes sont les plus réussies de très loin et là, l'on décolle vraiment, l'orchestre, les choeurs, Kaspar puis Max, nous jouent le tout dans une pénombre à peine éclairée par la lune, avec ombres mouvantes et j'avoue que j'ai trouvé cela grandiose.

Je laisse les spécialistes expliquer pourquoi finalement Agathe meurt (Tcherniakov ne serait pas Tcherniakov s'il ne changeait pas la fin) au lieu de devoir attendre un an avant d'épouser Max...des tas de détails de la mise en scène n'ont pas forcément retenu mon attention par ailleurs.

Car le Freischutz est d'abord une pièce maitresse du romantisme allemand, qui fait suite à Fidelio et précède Wagner dans une filiation évidente et passionnante.

L'ouverture est souvent jouée seule dans nombre de concerts tant elle constitue à elle seule, un "must", dont les leitmotivs sont célèbres d'ailleurs et reviennent à chaque moment "climax" dans l'oeuvre sombre et tourmentée où rien ne rit jamais vraiment. Changement de tonalité, de rythme, de style, c'est tout simplement une orchestration d'une grande originalité qui fut inspirée à Weber par Fidelio et inspira par la suite Wagner.

 

L'orchestre de l'Opéra de Munich (qu'on ne voit quasiment pas durant la retransmission) dirigé par Antonello Manacorda, fait le job honnêtement dans des conditions sans doute assez difficiles de distanciation, les choeurs sont souverains et la distribution, sans être exceptionnelle, est agréable et adéquate.

Le plus impressionnant est à mon sens, le Kaspar de Kyle Ketelsen, excellent acteur et bon chanteur, notamment lors de son dédoublement de personnalité, qui virevolte d'un bout à l'autre de la scène, l'air souvent pris de boisson (ou de drogue sans doute), assez éloigné du personnage du chasseur de Weber, mais convainquant d'un bout à l'autre de l'oeuvre.

J'ai beaucoup aimé l'Agathe de Golda Schultz, qui possède décidément un timbre fruité délicieux, même si on peut regretter des moyens parfois un peu légers pour passer l'orchestre avec force. Ce qui fait d'ailleurs que le contraste nécessaire avec l'Ännchen d'Anna Prohaska, est insuffisamment prononcé à mon sens, j'aime quand les deux femmes marquent davantage la différence de tessiture demandée dans les deux rôles. Mais dans l'ensemble, c'est une interprétation double touchante et à la hauteur des deux rôles. Le Kuno de Bálint Szabó est une sorte de caricature de patron du CAC 40 (tel que Tcherniakov les imagine :wink: ), bien interprété et très crédible lui aussi. Son entrée en matière à l'acte 1 est assez époustouflante. Et puis on a une partie de la troupe de Munich avec des rôles secondaires "de luxe" comme l'ermite de Tareq Nazmi.

Je n'ai pas été totalement convaincue par contre par le Max de Pavel Černoch mais je suis rarement convaincue par les prestation de ce ténor que j'ai vu dans pas mal de rôles désormais (il est clairement touche à tout) et qui ne m'a vraiment plu que dans Lady Macbeth de Mzensk à Paris Bastille. 

Ce n'est pas mal chanté dans l'ensemble, mais le personnage est volontairement un "dominé" de la part de la mise en scène et le pauvre chasseur a bien du mal à monter un peu le ton et le style même dans son célèbre ""Durch die Wälder, durch die Auen".

C'est donc assez plat, assez falot (est ce du au metteur en scène, au chanteur ? aux deux sans doute...).

Et c'est pour moi, ce Max "raté" qui est le plus problématique de l'ensemble de la représentation...


Bref, j'ai vu pas mal de Freischutz plus intéressants quand même :wink: mais en ces temps de disette, encore merci à Munich de nous proposer de "vraie" réalisations soignées et fort bien filmées/enregistrées.

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