Pelléas et Mélisande à l'Opéra de Rouen : La clarté de la jeunesse dans l'oeuvre sombre de Debussy, magistrale réussite !

Pelléas et Mélisande


 Claude Debussy

Livret de Maeterlinck


Séance sans public à l'Opéra de Rouen, 26 janvier 2021. 


Direction musicale Pierre Dumoussaud

Mise en scène, scénographie Eric Ruf

Reprise, collaboration artistique Julien Fisera

Costumes Christian Lacroix

Lumières Bertrand Couderc

 

Mélisande Adèle Charvet

Pelléas Huw Montague Rendall

Golaud Nicolas Courjal

Arkel Jean Teitgen

Geneviève Lucile Richardot

Yniold Anne-Sophie Petit

Le Médecin, le Berger Richard Rittelmann

 

Figuration Ginette Anne, Sophie Lephay, Agathe Lenne

Avec la participation du Chœur de l’Opera de Dijon 

Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie

 

 

« Ce sont deux enfants », on ne saurait rêver plus jeune et plus séduisant couple que celui formé par les merveilleux artistes, la Mélisande d’Adèle Charvet et le Pelléas d’Huw Montague Rendall. On pénètre toujours dans cette œuvre comme dans un rêve éveillé, forêts épaisses et mystérieuses, chasseurs et proies, châteaux sombres aux grandes tours, fontaines profondes, grottes au bord de la mer, tempêtes inquiétantes, dialogues ciselés dans un français superbement poétique d’une clarté limpide comme la pureté des sentiments entre nos « enfants », longue chevelure de Mélisande. 

« Il y a des endroits où l’on ne voit jamais le soleil mais on s’y habitue… ». La mise en scène d’Eric Ruf, déjà vue avec grand bonheur au Théâtre des Champs Elysées, est reprise au théâtre de Rouen avec une distribution éblouissante de justesse et de qualités musicales. Elle prend le parti du caractère sombre de l’œuvre, la scène est plongée dans cette ombre omniprésente, la seule clarté vient de l’éblouissante chevelure rousse de la jeune héroine, victime de sa jeunesse, de sa naiveté, de la pureté de ses sentiments. L’esthétisme étrange de l’œuvre est renforcée par les superbes costumes de Christian Lacroix qui placent résolument les héros, dans le noble lignage qui est le leur, soulignant en contraste davantage, le drame sordide qui se noue. Décors oppressants eux aussi dans un esthétisme noir qui sied parfaitement au déroulé de l’œuvre, très fidèlement rendu, bref un travail magnifique et très convainquant.

Eric Ruf est aussi un excellent directeur d’acteurs, et l’on imagine sa satisfaction d’avoir une équipe aussi parfaitement adéquates aux rôles, physique, âge et… talent ! 

Adèle Charvet offre sa belle voix de mezzo, corsée et juvénile tout à la fois, peu avare de nuances et de forces, à la diction impeccable dans ce qui est presque un « sprechgesang » et exige une très grande maitrise musicale pour moduler les phrases, leur donner tout leur sens, sans jamais paraitre « déclamer ». Elle est belle, elle est jeune, elle est éblouissante de lumière, de clarté, de soleil, dans cet univers sombre et désespéré.

En face d’elle le plus beau Pelléas dont on puisse rêver, le plus beau vu et entendu depuis rès longtemps : le baryton Huw Montague Rendall est un cadeau du ciel lyrique. Il est jeune, très jeune, beaucoup plus que ne le sont généralement les Pelléas, et incarne merveilleusement cette douce naiveté du jeune homme amoureux fou de la belle et mystérieuse Mélisande et qui ira jusqu’à une mort annoncée, sans bruit, sans éclat, comme résigné par ce destin tragique des amants dont l’amour est interdit, ces Tristan et Isolde à la française.

Le timbre du baryton est de toute beauté là aussi, ses échanges avec Adèle Charvet, un velours pour l’oreille comme pour les yeux, timbre clair, juvénile, là aussi capable d’infinies nuances et terriblement séduisant. Le physique de rêve des deux jeunes artistes, leur talent d’acteurs, leur jeu toute en finesse sont autant d’atouts qui rendent le spectacle exceptionnel.

Et comme un bonheur ne vient jamais seul quand la vraie qualité est au rendez-vous, Jean Teitgen nous offre un Arkel énergique et puissant, contrastant comme il se doit avec la fragilité du jeune couple et la folie passionnelle de Golaud, la sagesse et l’inquiétude du souverain face au drame qui se noue dans les hauts murs de sa forteresse. Timbre splendide là aussi, phrasés somptueux et jeu d’acteur fabuleux le disputent à l’altière composition d’acteur qu’il réussit parfaitement.

Nicolas Courjal est un Golaud en tous points inquiétant, dont on devine les tourments dans la précipitation des phrases et la force des mots prononcés qui annoncent la violence et le malheur. J’aime quand les voix des trois protagonistes masculins sont différentes et identifiables les yeux fermés, c’est clairement le cas dans cette distribution et chacun, avec sa tessiture propre et son style, campe clairement un personnage à forte personnalité. 

Tout comme d’ailleurs l’étonnante et magistrale Geneviève de Lucile Richardot ou l’ingénuiosité si bien rendue du petit Yniold d’Anne-Sophie Petit, sans oublier bien sûr le double rôle du Médecin, et du Berger incarnés par un Richard Rittelmann en très grande forme (et vaguement inquiétant comme il se doit…).

Mais Pelléas et Mélisande est un long dialogue entre les chanteurs et l’orchestre, ce dernier soutenant en permanence les longues phrases des artistes lyriques dans un style qui s’apparente presque au Lied, et où l’orchestre de l’opéra de Rouen excelle. Ces longues et magnifiques phrases si poétiques s’enroulent avec la délicatesse d’un orchestre superlatif très bien mené par Pierre Dumoussaud.

Décidément ces livestream de séances qui n’ont pas pu avoir le public qu’elles mériteraient, nous réservent de magnifiques surprises.

Je suis sous le charme... et pour longtemps.


A revoir par ce lien

https://www.youtube.com/watch?v=qQs5gEoIkUc

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