Viva Verdi, Viva Tézier ! Le superbe album Verdi du baryton français vient de sortir chez Sony Classical ! Enfin !

Ludovic Tézier - Album Verdi

Orchestre del teatro communale de Bologna, direction de Frédéric Chaslin.

 

 

La sortie de ce premier album solo du baryton Ludovic Tézier est un heureux événement à plus d’un titre : quand l’artiste enregistre Verdi à Bologne (avec le très talentueux orchestre de Bologne sous la baguette inspirée de Chaslin) il y a un peu plus d’un an, personne dans le monde lyrique ne peut imaginer la glaciation du spectacle vivant qui allait s’étendre, juste après, au monde entier dans une sorte de nuit sans fin. 

Autant dire que cette voix chaude, chaleureuse, ensoleillée et tellement « juste » est un véritable bonheur pour tous les sens. 

D’autant plus que Ludovic Tézier choisit avec beaucoup de naturel, des titres correspondant, la plupart du temps, à des rôles qu’il a incarnés sur scène et dans lesquels, on l’a remarqué, apprécié, où il nous a bouleversés. Alors on revit à chaque détour de cette superbe revue verdienne, un peu de la joie du spectacle vivant.

Autre bonheur :  cette reconnaissance (tardive) d’un pilier du beau chant lyrique et singulièrement de Verdi depuis maintenant quelque temps quand même qui n’avait pas encore eu droit aux honneurs d’une major, Sony Classical en l’occurrence, pour un album solo.

Ce n’est pas faute d’avoir des fans dont je suis depuis fort longtemps.

A croire que les « critiques » ont eu besoin de cette « sortie » énergique et largement médiatisée du ténor dont la parole porte loin dans le monde, Jonas Kaufmann déclarant que son ami et partenaire était le « meilleur baryton verdien actuel ». 

C’était en 2014, quand cette Forza del destino défrayait la chronique à Munich, suite à une série de représentations époustouflantes. J’y étais le 5 janvier, je n’oublierai jamais la formidable entente de cet Alvaro et de ce Don Carlo de la Vargas dans leurs trois duos renversants de justesse et d’engagement, quand la salle avait, de concert, retenu son souffle, médusée, avant d’exploser en interminables ovations. Je me rappelle alors l’émotion aux saluts de « notre » Ludovic, devant autant de bonheur, et nous en avions, pour beaucoup, les larmes aux yeux.

Et pourtant Tézier, je l’avais entendu déjà des dizaines de fois sur scène, à Bastille notamment, mais aussi lors d’un récital qui m’avait émue jusqu’aux larmes, dans feue la salle Pleyel à Paris, il y a quelques années. Il était toujours particulièrement applaudi durant la représentation, comme à son issue et pourtant, les « critiques » peinaient à lui donner sa place, à lui reconnaitre des qualités dépassant l’ordinaire.

Il avait déjà quelques mois auparavant été un Posa remarqué lors du festival d’été de Munich aux côtés du Don Carlos de Jonas Kaufmann, mais c’est Thomas Hampson qui avait été choisi lors des représentations du prestigieux festival de Salzbourg quelques jours plus tard, celles qui seront retransmise dans le monde entier et donneront lieu à un DVD resté une référence. 

Dommage, se disait-on, Tézier c’est pourtant autre chose notamment dans Verdi.

Et puis Tézier à qui l’on reprochait parfois un peu de réserve sur scène, une difficulté à se « déboutonner », s’était totalement libéré par deux fois sur cette scène de Munich où il se sentait sans doute en confiance, en excellente compagnie et face à un public, intransigeant certes, mais dans les « deux sens ». Et Tézier avait été aussitôt reconnu à sa très juste valeur.

Ecouter ce magistral opus c'est voir et entendre ces milliers de moments merveilleux qui remontent à la surface de la mémoire d’un spectateur passionné privé de spectacle vivant, que d’entendre comme premier titre, l’un des grands airs de cette Forza, « Morir, tremenda Cosa».

Excellente entrée en matière d’ailleurs pour exposer cette belle maitrise de l’art « verdien », et cette technique admirable du chanteur qui sait exprimer toutes les facettes de ce personnage pourtant bouffi d’une soif de revanche morbide qui le fait se réjouir qu’Alvaro, blessé au combat, soit sauvé par les médecins, puisqu’il pourra alors le tuer de sa propre main. Alvaro, devenu son ami quand il ignore son identité et l’homme à abattre dès qu’il la découvre. De cette ambivalence permanente, Ludovic Tézier construit un personnage fascinant et une interprétation incontournable que j’ai personnellement pu revoir à Londres il y a deux ans maintenant, sans pouvoir là non plus l’oublier.

Et ce contraste incroyable quand il chante « È salvo! Oh gioia! Egli è salvo! Gioia immensa Che m'innondi il cor ti sento! » (O joie, il est sauvé) après son solennel «Don Alvaro è il ferito! Ora egli viva, e di mia man poi muoia! » quand il découvre l’identité de son « ami ».

Et le triomphal et presque martial « Ah, felice appien sarei /Se potessi il brando mio /Ambedue d'averno al dio /D'un sol colpo consacrar! »

Longue dernière note longuement tenue tenant tête à l’orchestre verdien qui soutient et amplifie le chant. C’est superbe et ça commence très bien….

Beau et intelligent choix que d’aborder alors, Verdi en français. Après tout Ludovic est de ces chanteurs qui prosodie magnifiquement sa propre langue et la « version française » de Don Carlos m’est personnellement très chère. Elle est plus fine, plus musicale, plus belle que la version italienne, plus complète aussi. Et le marquis de Posa est l’inverse du Don Carlo de la Varga qu’incarnait Tézier sur la première plage. Personnage généreux, altruiste et admirable, Posa meurt "l’âme joyeuse, ah je vois l’Espagne heureuse, adieu Carlos… Carlos souviens-toi, tu devais régner et moi mourir pour toi »

Inversion totale de relations avec le ténor, ici Don Carlos, le rôle titre de l’Opéra de Verdi.  Et interprétation d’autant plus impressionnante, même au CD, qu’on a en tête Tézier dans le même rôle à Bastille récemment et à nouveau d'ailleurs avec Kaufmann. La complicité entre ces deux là rend l’attente de leur confrontation inévitable et l’on se prend à regretter que le ténor bavarois n’ait pas eu un tout petit peu de temps à ce moment-là pour donner la réplique sur cet aria. 

D’autant plus que dans le premier air d’Ernani qui suit, on entend brièvement le ténor Paolo Antognetti.

D'Ernani on aura donc deux airs : d’abord « Gran dio ! Costor sui sepolcrali marmi» puis « Vieni meco sol di rose », le premier issu de l’acte III, le second de l’acte II ( ?).

Le premier air accompagné par le lancinant refrain d’un violoncelle qui laisse dans toute la première partie le baryton incarner presque librement, la grandeur de son personnage, le Carlo roi d’Espagne qui deviendra empereur. Et cette belle déclaration se chante presque a capella, ce qui permet d’écouter les splendides nuances, les longs phrasés envoûtants et les legato divins, de la belle voix de Tézier.

Contraste absolu (et presque leçon de chant « verdien » sur les différents styles du même rôle dans la même oeuvre) avec le deuxième air, plus léger, plus lyrique, plus romantique, et plus chantant jusqu’au moment où l’orchestre « s’emballe » (magnifique accélération d’ailleurs) avant de laisser à nouveau le baryton dans la douceur et la gravité empreinte de nostalgie de sa mélodie. Et conclusion avec roulement de batterie.

Encore un rôle où Ludovic Tézier s’est maintes fois illustré sur scène, qu’il connait bien, où il donne du sens à ces petites scénettes rien qu’à l’écoute. Je l’avais quant à moi, vu à Marseille il y a un peu plus de deux ans.

Magnifique Ford dans l’extrait de Falstaff qui suit. Outre un très bel accompagnement orchestral, précis dans son dialogue avec le chanteur et qui fait merveille pour « soutenir » la colère admirablement rendu de Ford en ce début de l’acte 2 du dernier opéra de Verdi, son seul opéra burlesque. Quelle force et quelle maitrise tout à la fois pour ce «E sogno ? O realta ? avec ses crescendos sublimes qui culminent avec un orchestre aux cuivres presque malicieux dans les ultimes notes.

Presque sans transition, Tézier endosse le costume de dans cet émouvant « Tutto e deserto... il balen del suo sorriso » où toute la profondeur de la peine et de l’amour du Comte Di Luna dans cette scène du Trovatore avec encore cette longue note tenue sur « Cor » dans  « Sperda il sole d'un suo sguardo/La tempesta del mio cor. »

Un tout petit peu dommage que suive ce « Di Provenza el mar, il suo «  de la Traviata, que Tézier interprète toujours très bien ( je me rappelle d’une ovation fameuse lors de la première d’une nouvelle production à Bastille, il y a quelques années) mais que je n’aime pas beaucoup, une de ces pages verdiennes assez soporifique, qui n’autorise d’ailleurs pas énormément d’expressivité et permet au baryton de montrer l’étendue de sa technique, ce que Tézier fait très bien d’ailleurs (poids de chaque note très bien négocié, trille et légère vocalise, crescendo et diminuendo sans jamais décrocher… et quel timbre magnifique !).

Rupture nette avec le beau « Perfidi! All'anglo contro me v'unite! » de Macbeth, quand la folie qui guette Macbeth s’exprime avec force, Tézier sculpte les mots, et termine avec ce très long « Sara » dans « La nenia tua sarà! ». 

L’air de Nabucco « Dio di Giuda! » est lui aussi bien interprété sans apporter forcément une signature vocale magistrale contrairement au « credo » d’Otello (Iago) qui lui, m’a laissée scotchée et regrettant encore, qu’il n’ait pas pu par deux fois se confronter à l’Otello de Kaufmann, à Londres puis à Munich, j’aurais adoré voir leurs duos (et je n'étais pas la seule...).

Ce "credo" est sidérant de justesse, de beauté vocale et d'intelligence musicale : il a ce qu'il faut de pervers mais aussi de noble paradoxalement, dévoré par la jalousie et l'envie, une haine "humaine" incroyablement bien restituée. Ces dimensions complexes des personnages plutôt noirs et pervers que Tézier sait si bien donner à entendre par l’extrême expressivité de son chant et cette faculté de lui donner mille couleurs et mille facettes. Un phrase longue et « forte », la suivante plus douce avant de remonter en décibel progressivement, autant d’effets qui font monter la tension palpable et l’émotion qui va avec. La musique reprend nombre de ces thèmes obsédant qui composent le plus grand opéra de Verdi et l’orchestre l’accompagne avec beaucoup d’amour en quelque sorte, enveloppant son chant, le suivant au millimètre dans chacune de ses intentions, tensions extrêmes a sur le « lagrima, bacio, sguardo, sacrificio ed onor./E credo l'uom gioco d'iniqua sorte dal germe della culla » avant le ralentissement et le sombre et sourd « Vien dopo tanta irrision la Morte.E poi? E poi? ». Bien sûr on attend l’explosion tandis que les cordes se taisent mais Tézier ménage ses effets en grand interprète, il scande en retenant encore le volume « La Morte è il Nulla. » et c’est sur « è vecchia fola il Ciel. » et le rire sardonique de Iago, qu’il est au paroxysme, 

Rien que pour ce Credo, son Iago vaudra vraiment le coup. On l’attend.

Nous l’avons souvent vu en Rigoletto, il y est excellent et le choix de ce très classique « Cortigiani » ne donne qu’un petit aperçu de sa manière de négocier l’ensemble du rôle, là encore avec les contradictions d’un personnage très humain. L’air est si célèbre, a été si souvent chanté, qu’on en attend pas vraiment de surprise, mais c’est l’un des plus beaux airs verdiens pour baryton et il aurait été dommage de ne pas le faire figurer.

Plus difficile à comprendre, pour moi, le choix de ces deux airs d’un Ballo in Marschera alors que Simon Boccanegra, l’une des grandes réussites de Tézier sur scène, par exemple a été ommis. Pas d’air d’Amonasro (Aida) non plus qu’il a pourtant chanté assez souvent (et qu’il répète actuellement à la Bastille). 

Le bal masqué n’est pas l’un de mes Verdis préférés, Tézier chante ces deux airs de Renato, avec beaucoup de sa classe habituelle mais ces derniers ne présentent pas vraiment de grande originalité dans l’œuvre de Verdi.

L’enregistrement se conclut très intelligemment par la mort de Posa mais cette fois en italien. Et c’est presque aussi réussi (j’ai un faible pour la version française, je l’ai dit).

En fait, il me semble que notre excellent Ludovic Tézier a largement de quoi, dans sa besace, graver un autre CD Verdi, en y ajoutant, pourquoi pas, quelques duos avec ténor, mezzo ou soprano de qualité.

C’est un ouvrage magnifique et pour un « coup d’essai » un coup de maitre. Verdi va si bien à Tézier qu’on l’attend avec impatience dans chaque nouveau rôle.

Et puis notre baryton qui chante dans toutes les langues ne l’oublions pas, nous prépare aussi un Amfortas (Parsifal) prochainement à Vienne. Un rôle qui l’attire depuis très longtemps et comme on le comprend. Un Wagner qui viendra compléter son Wolfram (Tannhauser) chanté depuis une vingtaine d’années déjà sur les grandes scènes. Car Wagner est l’autre passion de Tézier.

Un CD à se procurer de toute urgence, on revit en direct toutes ces scènettes magiques de Verdi et on reste sans voix devant la qualité de l’ensemble. Viva Verdi ! Viva Tézier !




Titres du premier album solo de Ludovic Tézier

Urna fatale (La force du destin)/

Carlos écoute (Don Carlos)/

E questo il loco (Ernani)/

Vieni meco sol di rose (Ernani)/

E sogno o realta (Falstaff)/

Il ballen (Il Trovatore)/

Di provenza il mar (Traviata)/

Pieta rispetto amore (Macbeth)/

Dio di Giuda (Nabucco)/

Credo in un Dio crudel (Otello)/

Cortigiani, vil raza dannata (Rigoletto)/

Alla vita che t'arride (Un Ballo in maschera)/

Eri tu (Un Ballo in maschera)/

O Carlo ascolta (Don Carlo).


Label Sony Classical

Sortie le 5 février 2021

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