Le rare "Francesca Da Rimini" opéra flamboyant de Zandonai, en direct de Berlin, magnifique réalisation, très belle interprétation.

Francesca da Rimini



Riccardo Zandonai 

1914

Tragédie en quatre actes et cinq tableaux 

Livret de Tito Ricordi basé sur la tragédie éponyme de Gabriele D'Annunzio

Première représentation le 19 février 1914 au Teatro Regio de Turin

 

Première au Deutsche Oper Berlin le 14 mars 2021 en livestream

Cette nouvelle production fait partie du projet test pour la réouverture des salles en Allemagne (voir le fil ouvert à ce sujet), une séance avec public aura donc lieu le 4 avril.

 

Direction musicale : Carlo Rizzi

Mise en scène : Christof Loy

Décor : Johannes Leiacker

Costume : Klaus Bruns

Avec

Francesca : Sara Jakubiak

Samaritana : Alexandra Hutton

Ostasio : Samuel Dale Johnson

Giovanni lo Sciancato, genannt Gianciotto : Ivan Inverardi

Paolo il Bello : Jonathan Tetelman

Malatestino dall’Occhio : Charles Workman

Biancofiore : Meechot Marrero

Garsenda : Mané Galoyan

Altichiara : Arianna Manganello

Adonella : Karis Tucker

Smaragdi : Amira Elmadfa

Ser Toldo Berardengo : Andrew Dickinson

Il Giullare : Dean Murphy

Il Balestriere : Patrick Cook

Il Torrigiano : Thomas Lehman

 

Opéra assez rarement donné, ce Francesca da Rimini, au croisement musical entre le post wagnérisme, Strauss, Debussy voire Kurt Weil par certains aspects, représente un pari assez audacieux pour le Deutsche Oper de Berlin. L'Opéra du Rhin avait également donné cette oeuvre en 2017 et l'OnP en 2011.

Les avis divergeront certainement pour juger de l'oeuvre, très "de son temps" (1914), post-wagnérienne sans être à proprement parler vériste, plutôt de la veine, à mon sens, du Korngold de Die Tote Stadt ou du Brauenfels de Die Vogel, opéras dont nous avons parlé récemment et qui ont été montés avec éclat par l'Opéra de Bavière cette année et l'an dernier.

On pense d'ailleurs tout à la fois à Strauss (Richard) et à Debussy, avec un fort élan de "symbolisme" qui court tout au long de l'oeuvre.

Personnellement j'ai beaucoup aimé l'interprétation qu'en a fait le Deutsche Oper de Berlin et j'envie les quelques veinards qui auront l'occasion début avril, d'avoir des places en salle pour la représentation qui sera donnée à titre expérimental.

Celle d'hier soir, la Première, n'avait pas de public mais la captation était parfaite, sur le plan de l'audio comme du visuel.

Christof Loy fidèle à sa marque de fabrique, excellent directeur d'acteur, nous propose un décor unique, portes côté cour et jardin, s'ouvrant sur de sombres corridors, longues marches blanches en marbre menant à d'immenses fenêtres derrière lesquelles une toile peinte qui monte jusqu'aux cintres, représente un paysage rafraîchissant très peintures bucoliques éclairé différemment selon les moments du jour. Accessoires très dépouillés, comme toujours également, candélabre, arbalète, chaises, lutrin, luth, en rapport avec l'action. Noir ou blanc, les personnages sont élégamment habillés, sobrement pour l'essentiel, Loy joue sur la symbolique des caractères des uns et des autres, et sa mise en scène très théâtrale, n'en rajoute jamais bien au contraire, permettant au spectateur de se concentrer sur ce qui se chante tout en profitant de l'excellent jeu d'acteurs des personnages.

Il y a beaucoup de violence dans le Francesca de Zandonai, beaucoup de meurtres, d'exécutions, de batailles sanglantes, et éviter de tomber dans le grand-guignol est primordial : Loy demande beaucoup à ses interprètes qui parviennent à exprimer toute cette violence sans en rajouter et on apprécie alors vraiment le côté tragédie antique de l'histoire ainsi déroulée.

Ainsi les scène de "guerre" entre les Gibelins et les Guelfes sont-elles représentée presque comme un "ballet" où les figurants tombent avec élégance dans une série de corps à corps très bien orchestrée.

Carlo Rizzi reste lui aussi dans une sobriété de bon aloi, évitant une interprétation trop vériste qui serait hors sujet dans cette oeuvre brûlante mais qui comporte une très importante dimension littéraire aux multiples références aux récits du Moyen âge- dont Tristan et Isolde ou le cinquième livre de l'Enfer de Dante- et n'a rien à avoir, de ce fait, avec une quelconque description de la "vie des gens".

Vocalement et scéniquement, le plateau est globalement remarquable, à une réserve près, et nous emporte assez rapidement dans le fil touffu de cette sombre histoire tragique que l'on peut trivialement résumer ainsi : rivalité entre trois frères, dont deux sont affublés de disgrâces tandis que le troisième est d'une beauté enviable (Paolo "Il Bello") pour s'attirer les bonnes grâce de Francesca, qui n'a d'yeux que pour le Bello...

Sara Jakubiak (Francesca) domine parfaitement un rôle très lourd et présent sur scène quasiment en permanence. Je ne l'avais vue qu'une fois, en Eva dans les Meistersinger à Munich en 2016, remarquée pour son aisance à ne jamais forcer son chant, dotée d'un beau timbre suffisamment corsé pour ce rôle assez tendu, mais sachant rester frais, juvénile et naturel, ce qui est loin d'être évident dans ce genre de partition.

Comme de surcroit, elle a également une grande aisance sur scène, sa "Francesca" est bien agréable à regarder et à écouter, ce, dès la première scène de confrontation avec sa soeur Samaritana (Alexandra Hutton), "celle qui se mariera aussi un jour", petit rôle très bien tenu également d'ailleurs.

Des trois frères, on retiendra davantage les prestations impressionnantes de Ivan Inverardi(Gianciotto) en puissant seigneur et maitre, et de l'époustouflant Charles Workman en Malatestino, fourbe et cruel, que celle du bellâtre, Jonathan Tetelmann (Paolo)qui joue justement un peu trop le bel homme superficiel, les yeux fixés dans le vague durant ses grands airs, et assez peu le personnage finalement assez complexe et surtout victime d'une passion démesurée et imprudente qui le conduira à la mort. Dans l'ensemble, côté chant, on est très bien servi comme on l'est d'ailleurs également par l'Ostasio de Samuel Dale Johnson dans l'acte 1 de l'opéra.

Les quatre "jeunes filles en fleurs", les brunettes Meechot Marrero (Biancofiore), Mané Galoyan (Garsenda) et Arianna Manganello (Altichiara) et la blonde Karis Tucker (Adonella) sont tout à la fois charmantes et parfois un peu vaguement inquiétantes, tournant en rond autour de Francesca qu'elles servent et enserrent tout à la fois dans une ronde élégante là encore et réglée comme un ballet.

Le Deutsche Oper de Berlin nous offre donc une belle réalisation d'une oeuvre assez rare, remarquablement bien travaillée par l'ensemble des artistes, avec une petite visite dans les coulisses durant l'entracte.


A revoir


https://www.takt1.de/video/stream/francesca-da-rimini-an-der-deutschen-oper

Commentaires

Les plus lus....

Le Tannhäuser de Jonas Kaufmann dans la mise en scène de Castellucci à Salzbourg, une soirée choc !

Magnifique « Turandot » à Vienne : le triomphe d’un couple, Asmik Grigorian et Jonas Kaufmann et d’un metteur en scène, Claus Guth

Salomé - Richard Strauss - Vienne le 20/09/2017