Magnifique Pelléas et Mélisande à l'Opéra de Lille. La passion au bord du gouffre, sous la direction de F X Roth, avec Julien Behr, Alexandre Duhamel, Vannina Satoni, Jean Teitgen

 Pelléas et Mélisande 


Claude Debussy

sur un livret de Maurice Maeterlink

Drame lyrique en 5 actes et 12 tableaux.

Première : 1902 à l'Opéra-Comique à Paris 

 

 

Direction musicale François-Xavier Roth

Mise en scène et scénographie Daniel Jeanneteau

Collaboratrice artistique et lumières Marie-Christine Soma

Costumes Olga Karpinsky

 


Pelléas Julien Behr

Mélisande Vannina Santoni

Golaud Alexandre Duhamel

Geneviève Marie-Ange Todorovitch

Arkel Jean Teitgen

Le médecin Damien Pass

Yniold Hadrien Joubert (de la Maîtrise de Caen)

Un berger Mathieu Gourlet

Un chevalier Thomas Baelde

Trois mendiants Gil Hanrion, Christophe Maffeï, Mathieu Septier

Trois servantes Charlotte Baillot, Virginie Fouque, Gwénola Maheux

Une petite fille Ida Beal

Chœurs Chœur de l’Opéra de Lille

Orchestre Orchestre Les Siècles

 


J'en suis à mon troisième Pelléas et Mélisande, parmi les représentations données en direct ou léger différé lors de représentations sans public, après Genève et surtout Rouen, difficile à égaler sur tous les plans.

Et j'en conclurai immédiatement que ce drame lyrique étrange et onirique, a toujours quelque chose de nouveau à nous apporter : dans l'interprétation des personnages, dans la direction musicale, et quelquefois (mais moins souvent...) dans la mise en scène.

Cette représentation de l'Opéra de Lille réunit quelques unes de ces qualités que l'on recherche pour des sensations nouvelles, à commencer par l'interprétation musicale magistrale de François Xavier Roth à la tête de sa formation "Les Siècles", dont la règle est d'adapter le choix des instruments à l'époque, le début du XXème siècle en l'occurrence.

Roth est un fin musicien, dont on ne se lasse pas de vanter la lecture précise, minutieuse et inspirée des partitions auxquelles il s'attaque. Celle de Pelléas est de facture "classique" mais comprend déjà une orchestration moderne qui évoque l'étrange atmosphère oppressante de ce château, des sombres forêts qui l'entourent, de la mystérieuse grotte, de la haute tour et des innombrables fontaines.Il faut "entendre" les lourdes portes se refermer interdisant aux jeunes amoureux de se réfugier dans l'enceinte du château, il faut entendre l'océan menacer les abords de la grotte où se sont réfugiés des vagabonds fuyant la famine qui sévit dans la région, il faut vibrer avec les tourments des personnages et leurs drames personnels. Et l'orchestre de Roth semble presque renouveler l'approche de cette oeuvre si souvent donnée pourtant.

Il restera pour moi une interprétation de référence.

Mais l'orchestre sans les voix ne rendrait pas compte de l'ensemble des charmes de cette étrange légende tout à la fois moderne et moyenâgeuse.

Les voix, les lumières, les décors, le jeu scénique des chanteurs, forment un tout équilibré et séduisant.

Mais l'orchestre sans les voix ne rendrait pas compte de l'ensemble des charmes de cette étrange légende tout à la fois moderne et moyenâgeuse, qui devient un inquiétant tableau expressionniste des passions humaines.

Les voix, les lumières, les décors, le jeu scénique des chanteurs, forment un tout équilibré et séduisant.

La mise en scène de Daniel Jeanneteau est extrêmement théâtrale mais le drame s'y prête parfaitement. Le seul Pélleas que j'ai vu (à Munich d'ailleurs, par Christiane Pohle) qui avait tenté de faire de cet opéra toute une "histoire" rajoutant des personnages et des situations, s'est avéré une véritable catastrophe). Dans un décor unique, sorte d'arche inversée avec un puits gigantesque et inquiétant en son centre, les personnages évoluent au bord du "gouffre" en permanence, peinant à se rejoindre, à se toucher, à sortir de leur isolement. Dans le fond un long muret où apparaitront à plusieurs reprises tel ou tel personnage dans la position du guetteur, à l'avant de la scène, la réplique du muret où à l'inverse ont lieu les rares rencontres entre les personnages. Tout le reste (tour, fontaine, grotte) est "symbolisé" par les gestes des personnages, précis, gracieux, magnifiquement en phase avec la musique, un peu à la manière dont Wilson avait conçu sa mise en scène.

Les éclairages (comme dans la Traviata vue en retransmission de Liège la veille), jouent un rôle fondamental, représentant le jour, le soir, la nuit, l'ombre et la lumière évoqués en permanence dans le dialogue. C'est du cousu main, c'est remarquablement réalisé et très bien filmé.

Beaucoup de talents réunis soulignons le encore dans ces réalisations "COVID" pour la retransmission du spectacle vivant.

En tous ca moi j'apprécie beaucoup.

Ce n'est pas sans émotion que j'avais noté la double présence d'Alexandre Duhamel et de Vannina Santoni, deux artistes avec lesquels je m'étais entretenue récemment pour ODB.

Je ne suis pas sûre que ces rôles étaient dans leurs projets à l'époque mais, ils ont raison de les aborder et ils nous donnent l'un et l'autre, une interprétation très personnelle et fascinante de justesse, de Golaud et de Mélisande. Comme le reste de la distribution est bonne, on peut retenir aussi le grand équilibre du plateau vocal dans la qualité générale de la retransmission.

Alexandre Duhamel est un baryton à la voix puissante, sombre, aux couleurs fauves, capable de violence et de douceur avec une capacité d'alterner le chaud et le froid, le "forte" et le "piano", la haine et l'amour fou, avec une facilité confondante. Il campe un Golaud réellement inquiétant (sa haute taille et sa stature imposante se marie parfaitement à sa voix et à son style), mais aussi, terriblement humain, la scène finale est chargée d'énormément d'émotions par exemple, et sa "présence" sur scène, dès sa découverte de Mélisande dans la forêt, devient rapidement obsessionnelle, il est le deus ex machina de l'ensemble et réussit une magistrale performance.

A ses côtés, la Mélisande de Vannina Santoni, apparait souvent comme la proie idéale du grand croquemitaine, et se prête parfaitement à ce jeu de l'amour/haine, protecteur/assassin qu'incarne Golaud. Elle est la petite Mélisande, obstinée, qui poursuit ses rêves de petite fille, dit sans détour qu'elle n'est pas heureuse, ou qu'elle est heureuse mais qu'elle reste triste. Le metteur en scène en a fait une petite brune à cheveux courts (elle qui est blonde avec de longs cheveux) comme pour "casser" une image par trop "glamour" de la chanteuse  et la représenter comme cette petite chose qui attire tous les regards, toutes les convoitises, et qui vit sa vie dans sa bulle. Et la jeune soprano est parfaite, se prêtant totalement à cette incarnation avec son air mutin et son chant magnifique. Car comme Duhamel, elle se révèle parfaitement adéquate à Debussy, qu'elle interprète aussi avec un sens des nuances, en évitant le ton parfois monocorde adopté par certains interprètes, pour colorer son chant, exprimer ses peurs et ses colères quand c'est nécessaire et finalement faire vivre (puis mourir) devant nous cet étrange et fascinant personnage.

Dire que Arkel, le grand-père, la figure patriarcale, l'autorité et la bonté, est incarné par Jean Teitgen, suffit à souligner la qualité du choix des interprètes. C'est sans doute l'une des meilleures basses françaises et son Arkel est absolument magnifique.

Le Pelléas de Julien Behr se hisse à la hauteur de l'ensemble, dans une interprétation un peu hésitante lors de la première apparition mais qui s'affermit au fur et à mesure que se révèle son amour pour Mélisande. Le ténor déploie un très beau chant, presque élégiaque par moment, d'un très grand lyrisme, et comme ses partenaires, sa diction française est idéale. 

Les sous-titres sont parfaitement superflus.

Et un Pelléas ténor face à un Golaud baryton tirant sur la "basse", c'est un contraste très fort et très séduisant.

Très belle courte apparition de Marie-Ange Todorovitch, rien à dire, c'est parfait et quelle belle voix, quel beau timbre là aussi.

Et puis jolie surprise assez rare, le petit Yniold, généralement interprété par une soprano de petite taille, est là incarné par un enfant, le jeune Hadrien Joubert (de la maitrise de l'Opéra de Lille). C'est vraiment rafraichissant et profondément juste. Le jeune garçon joue et chante très bien, Debussy ne lui demande d'ailleurs pas une grande technique vocale, sans être pour autant une partition anecdotique, et sa prestation est touchante, émouvante et son "numéro" avec Duhamel l'un des grands moments de la soirée.

On peut le revoir sur Operavision.

Ne pas hésiter si on aime l'oeuvre bien sûr.


Depuis le 9 avril, le Pelléas et Mélisande de Debussy, enregistré par Les Siècles (sur instruments d'époque) il y a une quinzaine de jours à l'opéra de Lille est diffusé sur OperaVision : 

 

Pelléas et Mélisande, Opéra de Lille


Les entretiens sur le site d'ODB avec Alexandre Duhamel et Vannina Santoni


Alexandre Duhamel


Vannina Santoni

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