En attendant Tristan... retour sur un fabuleux Lohengrin, la Scala, 7 décembre 2012, une magie restée intacte !

Lohengrin



Musique et livret de Richard Wagner

Création en 1850 à Weimar, « opéra romantique en trois actes ».

 

Retransmission de la Première de la saison 2012-13 de la Scala, le 7 décembre 2012, proposée au cinéma les 10 et 17 juin 2021 dans le cadre de « Viva l’Opéra ».

 

Direction musicale : Daniel Barenboim

Mise en scène : Claus Guth

 Heinrich der Vogler : René Pape

Lohengrin: Jonas Kaufmann

Elsa von Brabant: Anette Dasch

Friedrich von Telramund: Tómas Tómasson

Ortrud: Evelyn Herlitzius

Der Heerrufer des Königs: Zeljko Lucic

 

 

Amusant de relire une série d’avis et de critiques de l’époque, après la soirée d'hier,  au cinéma qui, dans le cadre d'un Viva l'Opéra (animé par l'ineffable Duault), proposait la "Première" du 7 décembre 2012, les 10 et 17 juin dans les salles habituelles qui accueillent cette manifestation, très tronquée pour cause de COVID cette année.

Emouvant de se rappeler le direct sur ARTE il y a presque 10 ans à présent, la coupure malencontreuse de faisceau nous privant de la fin de l'acte 2, et combien il était bon, alors, de regarder systématiquement les "Saint Ambroise" de la grande maison italienne.

Et ma déception apprenant qu'Anja Harteros, l'Elsa du Lohengrin/Kaufmann de Munich, était indisposée pour la Première et qu'on avait fait venir Annette Dasch, l'Elsa du Lohengrin/Kaufmann de Bayreuth, nettement moins impressionnante dans ce rôle difficile.

Mais dès les premières mesures, à l'époque comme hier au cinéma, nous entrons dans "Lohengrin" dès le Prélude magnifiquement interprété par un orchestre au grand complet (on finit par perdre le souvenir des sonorités de l'orchestre wagnérien non "tronqué"), dirigé par un Daniel Barenboim en état de grâce (j'adore "son" Wagner), la retransmission étant particulièrement soignée dans ce cinéma "Danton" à Paris, ce, malgré l'orage qui gronde au dehors et provoquera un petit dégât des eaux au moment précis où Jonas Kaufmann entre pieds nus dans l'étang entre les roseaux au début de l'acte 3 (cela ne s'invente pas)

J'avais vu pas mal de Lohengrin avant celui-ci, j'en ai vu encore davantage depuis 2012, mais à tout prendre, je pense toujours élire celui-ci comme la plus grande réussite en la matière.

Il arrive que l'alchimie entre l'ensemble des artistes atteigne une perfection qui ne se dément pas avec les années, au contraire, se bonifie. Parmi les multiples retransmissions plus ou moins anciennes proposées par le MET ces derniers mois, j'ai pu constater qu'alternaient d'excellentes productions passées avec de très quelconques représentations qui ne méritent guère de passer à la postérité.

Ce Lohengrin restera longtemps une référence indétrônable et même sa reprise à Paris Bastille (dont je garde un très bon souvenir) n'atteint pas tout à fait les sommets de perfection de la Scala, Jordan n'était pas Barenboim surtout dans Wagner.

On a déjà énormément écrit sur le fabuleux Lohengrin de Kaufmann, que rajouter sinon le fait qu'il aura marqué durablement un rôle en imposant une interprétation radicalement opposée à toute vision purement héroïque et essentiellement proclamatoire du chevalier au cygne. Il est l'envoyé de son père Parsifal (et de ce point de vue la filiation entre le Parsifal de JK et son Lohengrin est impressionnante), mais il échoue dans sa mission et dès le début on sait que ses hésitations lui seront fatales. Il est l'objet fantasmé des rêves d'Elsa et il repartira comme il est venu, pieds nus et sans armure, laissant même son cor et quelques plumes de cygne comme seuls reliefs de son bref passage sur terre/dans la réalité.

La somme de nuances, de couleurs, de passages chantés "naturellement" sans emphase inutile, héroïques en mode "forte" en colère puis lyrique en mode "mezza voce" tendre ou torturée, est un modèle de beau chant qui "parle" au spectateur et incarne un personnage travaillé en profondeur. Lors de son fameux "Taube" du récit du Graal, on entend le bruit des ailes de la colombe se posant doucement sur le Graal au Montsalvat (je ne cessai de penser à l'admirable vision de ce "château" dans les images en noir et blanc du dernier Parsifal mis en scène par Serebrennikov). Ce final est si unique, qu'on en ressort littéralement bouleversé, comme la première fois, comme tous les récits du Graal de Kaufmann, qui donne tellement de sens à son personnage face à la défaite qui va l'obliger à repartir. "Mein Vater Parzival trägt seine Krone, Sein Ritter ich – bin Lohengrin genannt."

René Pape, très bien chantant, est sans doute plus d'un bloc mais il assume parfaitement le personnage du roi, son allure martiale comme son sens du devoir non dépourvu d'une certaine tendresse perceptible. Kaufmann/Pape prouvent une grande complicité dans Wagner (et dans Verdi d'ailleurs à l'occasion, je pense au Don Carlo de Munich).

On a beaucoup médit d'Evelyn Herlitzius, l'Elektra choisie par Chéreau pour sa dernière mise en scène, mais moi je la défends. Certes, elle a parfois des stridences (assez peu à l'époque) mais la noirceur de son personnage est formidablement incarné par cette petite femme nerveuse au regard pénétrant qui sait, elle aussi, ce que la nuance et l'interprétation veulent dire. Et son Telramund, Tomas Tomasson, s'il dérape vocalement de temps en temps, propose lui aussi un personnage sur mesure qui sait donner du sens à cette histoire qui s'inspire très directement des légendes moyenâgeuses germaniques.

Je serai plus circonspecte sur l'Elsa assez "commune" d'Annette Dasch, plutôt plus à l'aise dans les parties héroïques et les ensembles que dans les parties romantiques et lyriques mais qui, surtout, roule des yeux en permanence sans parvenir toujours à exprimer qui est Elsa, quel est son rêve quels sont ses tourments.

Surprise en reconnaissant dans le personnage du Heraut un Zeljko Lucic que je n'avais pas remarqué à l'époque et qui allait occuper pas mal de rôles-clé dans des Opéras de stature internationale par la suite. En chantant finalement à peu près comme ce 7 décembre à la Scala : bien et fort mais sans originalité...

Les Choeurs, très importants dans Lohengrin, sont magnifiques et leur présence là aussi, se révèle intelligente et artistique parfaite dans le cadre du déroulé de l'histoire.

Reconnaissons d'ailleurs à Claus Guth d'avoir proposé une mise en scène qui ne néglige aucun des symboles forts de la légende, rend le caractère oppressif de l'oeuvre en enfermant la scène entre quatre hauts murs ouverts sur des galeries, sait jouer des lumières et des ombres pour accompagner les évolutions orchestrales wagnériennes de l'oeuvre qui "étouffe" régulièrement toute tentative de bonheur de durer plus de cinq minutes, a l'idée géniale de représenter ce très court bonheur du début de l'acte 3 en installant ses personnages dans un cadre lacustre esthétiquement de toute beauté, qui évoque le lac où le frère s'est noyé, ou de baigner d'une lumière bleutée la jolie fuite des époux durant le prélude de l'acte 3. Et surtout d'avoir assuré une direction d'acteur remarquable qui rend vivant et passionnant ce Lohengrin.

Et puis quand même, une retransmission au cinéma, sur grand écran, c'est autrement impressionnant que sur son écran de TV ou d'ordinateur...

En attendant, avec impatience, la découverte très prochaine d’un quatuor de choc pour Tristan und Isolde prochainement à Munich : Kiril Petrenko, Krzysztof Warlikowski, Jonas Kaufmann et Anja Harteros (Première le 29 juin 2021 à Munich).




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