Bayreuth : ouverture du festival 2021. Der "Fliegende Hollander" sublimé par la direction musicale d'Oksana Lyniv, et par le trio fantastique Grigorian/Lundgren/Zeppenfeld.

Der Fliegende Holländer (le vaisseau fantôme)



Musique et livret de Richard Wagner

 

 

Direction musicale Oksana Lyniv

Mise en scène Dmitri Tcherniakov

Décors Dmitri Tcherniakov

Costumes Elena Zaytseva

 

Daland Georg Zeppenfeld

Senta Asmik Grigorian

Erik Eric Cutler

Mary Marina Prudenskaya

Der Steuermann Attilio Glaser

Der Holländer John Lundgren

 

Première ce 25 juillet, retransmission vidéo.

 

Le premier événement de cette « Première » du célèbre opéra de Wagner, c’est la direction musicale de Oksana Lyniv, première « maestra » de l’histoire du Festival de Bayreuth, dont les débuts remontent à… 145 ans ! Ce n'est pas rien pour une femme de pénétrer le saint des saints, le temple wagnérien et de chercher à y exceller. Cela me réjouit d'autant plus qu'il lui est confié la Première des premières, l'ouverture de Bayreuth, ce Hollandais attendu avec impatience.

Et c’est d’ailleurs également l’événement dominant de cette très belle représentation, sublimée par une direction subtile et contrastée, d’une intelligence musicale qui force le respect, pour un Hollandais qui vous conduit au sommet de l’émotion, et ce, dès l’interprétation magistrale de l’Ouverture, célèbre par son orchestration riche autour de quelques leitmotivs très rapidement obsédants. La "respiration" que donne la maestra à ce Hollandais est tout simplement prodigieuse. Du Wagner subtil, bouleversant, élégant, tout en contrastes. Je manque de superlatifs...mais je réécoute une nouvelle fois.

Elle était l’assistante de Kiril Petrenko, elle en a la technique précise presque chirurgicale dans la lecture de la partition, sans rien laisser au hasard, sans rien noyer dans des effets brutaux, en préférant la nuance et le beau son en permanence, en donnant toute sa place à chacun des instruments et dans un rapport merveilleux aux chanteurs. Mais elle a aussi sa propre personnalité tout à la fois énergique et souple, où l’orchestre donne son meilleur à chaque seconde. J’ai adoré.

Et la distribution, à une exception près, est réellement prodigieuse, du rarement vu et entendu dans les multiples Hollandais auxquels j’ai assisté ces dernières années. Ceci, pour ceux qui s’inquiètent régulièrement de la baisse du niveau vocal de Bayreuth. En ce qui concerne ce Hollandais, c’est plutôt l’inverse. On tutoie les sommets et on fait de bien belles découvertes ce qui est toujours très enthousiasmant pour l’avenir de l’art lyrique.

J’ai d’abord été sidérée par Asmik Grigorian (Senta) d'une part, John Lundgren (le Hollandais) d'autre part, véritables bêtes de scène, musicalement irréprochables et au jeu d'acteur vraiment de très très grande qualité. 

La soprano lituanienne, à 40 ans, est en train d’exploser littéralement sur les toutes les scènes européennes : de son Salomé à Salzbourg il y a trois ans suivi l’année suivante d’une remarquable Chrysotémis dans Elektra, à cette Senta magnifiquement incarnée, elle semble savoir chanter à la perfection ce répertoire à mi-chemin entre la soprano lyrique et les rôles franchement dramatiques. On aurait du l’entendre en Lisa à Paris pour une Dame de Pique très attendue (qui se fait rare…), on l’aura entendu dans un concert d’extraits d’opéras russes de Tchaikowski où elle fit l’unanimité.

Sa Senta est lumineuse et passionnée, aucun des aigus difficiles car chanté « forte » du rôle ne lui échappe, elle sait passer très facilement du drame au lyrisme, et son jeu d’actrice est tout simplement parfait. Elle ne semble jamais forcer sa voix, là où d’autres Senta actuelles sont parfois à la peine, notamment dans la scène des fileuses ou lors du final et le timbre large, capiteux, est de toute beauté. Elle fait partie des artistes qui marquent durablement un personnage et sa Senta me restera longtemps en mémoire comme l’une des meilleures incarnation tant scéniques que vocales, actuelles.

En face le Hollandais de John Lundren, baroudeur des mers, impressionnante stature, crâne rasé façon Yul Bryner (dont il a l’allure d’ailleurs), pull de laine norvégien pour le côté séducteur dont il n’est pas exempt bien au contraire. C’est un Hollandais expérimenté déjà et d’une puissance impressionante qui ne fait qu’une bouchée des difficultés du rôle du début à la fin (ce qui n’est pas toujours le cas, certains chanteurs ralentissent nettement le niveau en fin de parcours) en començant par un magistral « Die Frist ist um », le récit du Hollandais après qu’il soit apparu progressivement sur la scène et en terminant par un défi au destin extraordinaire. Là aussi, même si on connait déjà les exploits de Lundgren, ce Hollandais restera un rôle d’anthologie dans son répertoire déjà chargés d’honneurs.

Et j’ai rarement vu à ce niveau d'intensité cette "rencontre " choc entre la jeune Senta et son Hollandais de légende.

Personnage un peu en retrait, le Daland de Georg Zeppenfeld offre un contrepoint parfait à ce couple littéralement explosif. Plus gentleman d’allure et de style, le baryton offre la douceur de son chant rempli de nuances, persuasif et un peu roublard, pour incarner ce capitaine qui par intérêt est prêt à vendre sa fille au plus offrant. La confrontation entre le Hollandais et Daland à l’acte 1 qui se termine par ce beau chant repris par les chœurs annonçant le « vent du sud », le « retour dans la patrie » et la « fin de la tempête », d’un rtyhme et d’un style très contrasté après les récits de tempêtes et de malédiction, est admirablement interpreté par les eux protagonistes dont l’entente musicale et scénique et parfaite, ce qui est finalement assez rare.

Marina Prudenskaya campe une Mary étonnante et fort intéressante qui sort des sentiers battus d’un rôle souvent « négligé » et qui a là, toute sa place.

Dommage par contre que le beau ténor du Steuermann (Attilio Glaser) n'ait pas été choisi pour chanter Eric à la place de Cutler, pas à sa place face à ce niveau d'excellence vocale largement supérieure à la moyenne de ses partenaires. Eric Cutler a le physique imposant qu’on imagine pour un ténor wagnérien (même si Erik n’est pas un rôle de heldentenor à proprement parler), mais la voix ne suit pas du tout. Les aigus sont lancés un peu au hasard et sont faux la plupart du temps et le vibrato envahissant donne à son timbre un côté « grelot » assez préjudiciable notamment durant les duos avec Senta.

Ceci dit, c’est un rôle secondaire, il se rattrape un peu au final (voix mieux chauffée ?) et cela ne retire rien à la beauté générale de la représentation sur le plan musical. il faut d'ailleurs saluer les excellents choeurs qui chantent à distance et miment leur rôle sur scène.

Reste bien sûr à parler de la mise en scène de Tcherniakov

J'ai vu pas mal de Hollandais ces dernières années avec des mises en scène diverses dont la dernière date vue pour la seconde fois, celle de Konwitschny à Munich. J'ai gardé un bon souvenir de la dernière de Londres (Tim Albery) et des souvenirs plus mitigés de toutes les autres.

Celle de Tcherniakov présente un avantage que j'apprécie vraiment dans une mise en scène : il ne distrait pas le spectateur dans le déroulé d'histoire, l'illustre assez sobrement, et reste globalement fidèle au livret même s'il transpose dans son univers préféré, celui de la petite ville et de son carcan étouffant. C'est ce qui fait de lui un véritable conteur.

Le décor est beau, la direction d'acteurs fabuleuse, les personnages sont plutot bien campés et le fait que les rencontres/affrontements des marins des deux vaisseaux, se passent sur la terrasse d'un immense bistro (sobrement représenté par son bar, ses quelques tables et ses très nombreuses chaises, puis celle, pour le final d'une immense terrasse sur le toit d'un immeuble) lui permet une belle mise en scène des échanges entre ces deux mondes qui fonctionne très bien.

La différence de costumes (bleu marine sombre et strict pour les marins fantômes, plus fauve et disparate pour les marins d'aujourd'hui), le jeu des lumières et l'expressivité de l'ensemble, se marient parfaitement avec la composition de Wagner.

Le choeur des fileuses est rarement un choeur de fileuses pour des raisons étranges : les metteurs en scène préfèrent en général en fait tout autre chose. J'ai vu des dactylos (je ne sais plus où d'ailleurs, help !), les clientes d'un centre de fitness, et bien d'autre chose encore. Là encore Tcherniakov en choisissant une chorale qui répète sous la direction de Mary, reste finalement assez adéquat au livret, sans se livrer à la moindre gymnastique tordue et la scène au début du 2 est belle, esthétique et convaincante. 

Tcherniakov a un problème avec les manteaux (et les pulls "scandinaves ou irlandais" fort nombreux). Ses personnages en portent tous (c'était pareil pour Eugène Onéguine ou Iolanta), ce sont des oeuvres d'art à eux tout seuls, très signifiants (le manteau en patchwork de laine colorée de Mary par exemple). Lors de la scène de présentation de la famille de Daland au Hollandais et réciproquement, Senta, sur la réserve (conformément au livret puisqu'elle vient de découvrir stupéfaite que l'hôte de son père et l'homme du portrait qui l'obsède et la chanson-légende qu'elle vient d'interpréter à la chorale), garde son manteau à table, table à laquelle elle se rapproche peu à peu, et qui se situe dans un de ces petits intérieurs bourgeois, très "Tcherniakovien" encore, derrière un bow window.Je serai critique par contre sur le début et la fin.

Beaucoup de metteurs en scène veulent absolument "exister" avant que l'histoire ne commence et illustrer les ouvertures d'opéra au lieu de les laisser se jouer à rideau fermé. Rappeler ce qui s'est passé "avant" est problématique, surtout dans Wagner puisqu'on sait que les protagonistes vont le raconter dès les premières mesures. Inventer un "avant" qui n'a aucun rapport avec l'histoire est quand même assez contrariant. C'est ce que fait Tcherniakov avec son histoire de petit garçon qui voit sa mère se suicider après avoir subi l'opprobre de toute la communauté parce qu'elle se prostitue. Picturalement c'est assez joli, un peu comme un tableau de Hopper qui serait pastellisé, mais cela n'a pas de rapport avec le Hollandais et pour le coup, peut distraire le spectateur (surtout qu'il ne voir pas l'orchestre, nous sommes à Bayreuth) de l'extraordinaire beauté de cette ouverture qui n'a besoin de rien d'autre que d'être écoutée.

(surtout dirigée par Lyniv).

Beaucoup de metteurs en scène adorent aussi mettre leur propre touche finale et Tcherniakov on le sait, ne peut guère s'en empêcher. Ce qui nous donne une grand-guignolesque ultime scène, Mary, un fusil, qui fait un carton sur le Hollandais et Senta qui l'aide à s'asseoir sur une chaise, bref, quel dommage que ce trivial regard sur la fin d'une histoire fascinante dont Tcherniakov avait su préservé la tension et le mystère, puissamment aidé il est vrai, par le talent de ses artistes.


On peut revoir cette « première » de très grande qualité, soit sur le réseau de Deutsche Grammophon (payant) en visio, soit sur la radio BR Klassik en audio pur si on est allergique à la mise en scène.

 

Audio

https://www.br-klassik.de/programm/radio/ausstrahlung-2518110.html

 

Vidéo

https://www.dg-premium.com/dg_stage_video/premiere-der-fliegende-hollander-dmitri-tcherniakov-oksana-lyniv/

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