Retours sur un Coq d'or merveilleux, Opéra de Lyon, 4 juin 2021, souvenirs inoubliables d'un retour en salle enchanté !

Le Coq d’or



De Nikolaï Rimski-Korsakov

Opéra en trois actes sur un Livret de V. I. Bielski, d’après le conte de Pouchkine

Crée le 7 octobre 1909 au Théâtre Solodovnikov de Moscou

 

 

Direction musicale : Daniele Rustioni

Mise en scène : Barrie Kosky

Le tsar Dodon : Dmitry Ulyanov

La reine de Chemakha : Nina Minasyan

L'astrologue : Andrey Popov

Polkan : Mischa Schelomianski

Amelfa : Margarita Nekrasova

Le Tsarévitch Aphron : Andrey Zhilikhovsky

Le Tsarévitch Guidon : Vasily Efimov

La voix du Coq d’or : Maria Nazarova

Le Coq d’or : Wilfried Gonon

Orchestre et chœurs de l’Opéra de Lyon

Coproduction avec le Festival d’Aix en Provence et le Komische Oper de Berlin

 

Retransmission de la pré-Première, Opéra de Lyon, Medici TV. 26 mai 2021

En espérant pouvoir voir une des représentations lyonnaises en salle, deux mots sur ce brillant Coq rempli de l'humour grinçant de Barrie Kosky.

L'opéra est de grande qualité musicale avec ce mélange de folklore russe, d'orientalisme style Shehérazade, et de beaux airs, duos, choeurs le tout accompagné d'une très riche orchestration.

Barrie Kosky adopte le style visuel de la parodie que Rimsky-Korsakov avait composé au début du XXème siècle sans trop cacher ses intentions de railler le tsarisme, à tel point d'ailleurs que l'opéra, composé en 1906, ne fut créé qu'en 1909, après sa mort, ayant été longtemps censuré. Rimsky-Korsakov avait soutenu la révolution russe de 1905.

Le conte est intemporel, le metteur en scène mélange volontairement costumes de différentes époques, évoquant chacun une certaine caricature des personnages : le roi paresseux « oblomoviste » qui ne rêve que de plaisirs semble à peine sorti de son lit et reste en tenue légère, passablement négligé, sous-vêtements crasseux, blessures diverses, seule la couronne vissée sur sa tête rappelle son emploi royal ; les deux fils costume-cravate, si semblables et vains, stupides et sans cervelle, dont on verra les cadavres sans tête (proprets malgré tout…) suspendus à une branche dès l’acte 2. La reine de Chemakha porte une robe fourreau et des plumes sur la tête très années « 1900 », symbolisant la séduction et permettant à Barrie Kosky parmi ses multiples fatéties, de nous donner quelques numéros de « revue » de cabaret très réussis. Le coq juché sur son arbre, la route (rivière ?) au milieu des champs de hautes herbes, magnifique rossinante « robot » articulé qui renvoit une fois encore le roi à une sorte de Don Quichotte qui se trompe d’époque et de rôle, astrologue grandiose avec robe longue qui prédit au roi crédule des bonheurs impossibles, auquel la facétie, cette fois de Rimsky Korsakov, donne une tessiture de ténor particulièrement aigue (alors que l’amateur d’opéra attend plutôt dans ce genre de rôle, une basse profonde…), l’ensemble est très plaisant et globalement très réussi. J’ajouterai une mention spéciale aux éclairages et au décor, tout à la fois sobres et rendant bien compte des mystères de la magie dans ce conte satirique très « russe ». On y joue avec les têtes (des frangins qui se sont entretués), et un impressionnant trucage fait que l’astrologue nous chante son épilogue… sa tête à la main….

Rustioni (qui n’est pas que « beau ») est dans une forme éblouissante, la musique lui plait, il la dirige avec brio, sans temps mort, servi par un très bel orchestre et des chœurs (malgré les masques) très en phase. Soulignons que les chœurs, jouant la foule, ont comme toujours dans l’opéra russe un rôle à part entière.

Saluons également les groupes de danseurs très élégants (et souvent très amusants) notamment quand ils sont déguisés en chevaux. 

Le plateau vocal proposé est, comme souvent dans les œuvres rares, (et russes) tout à la fois brillant et particulièrement adéquat aux rôles. A commencer par le tsar Dodon de Dmitry Ulyanov qui déménage tout sur son passage (ce qui est assez surprenant finalement pour un rôle normalement placide), se joue de toutes les difficultés vocales et scéniques tout au long de la représentation. On a vu la basse russe récemment à Paris en Prince Galitsky dans le Prince Igor et ceux qui ont pu voir le formidable Sadko du même Rimsky Korsakov mis en scène par Tcherniakov au Bolchoi, ont pu admirer son « marchand Varèque » haut en couleur. L’Opéra de Lyon avait, je crois, envisagé de reprendre ce Sadko puis préféré cette nouvelle mise en scène d’un Coq d’or aussi rare en France.

Andrey Popov (l’Astrologue) est un virtuose de ces rôles « impossibles » dont l’opéra russe raffole, où le ténor est totalement caricural physiquement et vocalement, adoptant volontairement une tonalité à la limite de l’insupportable, mais où même les aigus presque criards, doivent rester justes. Et c’est parfait. Et très impressionnant.

J’aime beaucoup l’élégance vocale et physique de la reine de Chemakha de Nina Minasyan, soprano d’origine arménienne, qui chante tout autant la Reine de la Nuit que Gilda ou Oscar (du Bal Masqué), très à l’aise dans les vocalises et les trilles orientalisés de son chant, comme dans une tessiture plus « classique » et lyrique et très séductrice.

Les deux tsarévitch, Guidone (le ténor Vasily Efimov) et Aphrone (le baryton Andrey Zhilikhovsky) sont absolument parfaits, esthètes de deux rôles fort élégamment chantés et fort ridiculement joués comme il se doit de même que la nounou Amelfa de la mezzo Margarita Nekrasova qui a la placidité et le physique du rôle.

On sent l’admirable direction d’acteurs et peut-être même le choix des interprètes que Barrie Kosky a voulu parfaitement adéquats à sa vision de ce conte grinçant. 

Comme souvent il y a deux Coq d’Or, la voix, celle de Maria Nazarova (psalmodiant sa phrase rituelle) et son apparence, celle de Wilfried Gonon perché sur son arbre comme un oiseau de mauvais augure.

 

J’espère pouvoir voir l’une des représentations lyonnaises mais cette mise en scène avec ses interprètes, sera également donnée au festival d’Aix-en-Provence cet été et sans doute l’an prochain au Komische Oper de Berlin dont Barrie Kosky est le directeur.


Séance du 4 juin 2021, Opéra de Lyon, dernière du Coq d’Or, dernière de la saison, adieux de Serge Dorny et première représentation de retour en salle pour moi après ces longs mois de fermeture, un spectacle que je vais garder longtemps en mémoire !

J'avais vu la retransmission de la pré-première mais, en "vrai", en salle, c'est tout autre chose.

D'une part, l'acoustique de cette salle, en tous cas dans les dix premiers rangs du parterre où j'étais, est tout simplement excellente. Le tissu orchestral de Rimsky-Korsakov est extrêmement riche et varié tant dans le style que dans l'orchestration elle-même : on peut passer d'un "tutti" très sonore qui verse des décibels dans la salle à un solo de harpe ou de flûte très intimiste qui évoque tel ou tel personnage. La disposition spatiale des instrumentistes est pensée et très réussie (liée au COVID ?) : une partie en fosse, quelques instrumentistes solos ou en petite formation au niveau du parterre à gauche et à droite. Je ne sais si Rustioni a attrapé un torticolis, mais il a dirigé tout ce petit monde, solistes et choeurs compris avec une précision d'horloger tout en insufflant en permanence vie et dynamique. Aucune retransmission ne permet de saisir ces instants du spectacle vivant que sont les échanges furtifs de regards entre les artistes et leur chef...

D'autre part les voix sonnent toutes magnifiquement bien, mieux que par le truchement de la retransmission qui leur coupe un peu les ailes, car nous avons d'excellents chanteurs, encore plus impressionnants en salle, par la richesse de leur timbre, l'aisance de leur diction totalement naturelle, leurs rires, leurs mimiques, leur entrain, leur jeu permanent. Les quatre danseurs, les choeurs (excellents !), tout le monde "joue" la même partition et la direction d'acteur de Barrie Kosky égale la direction musicale de Rustioni le tout en parfaite adéquation avec ce conte, sorte de farce satirique sur le pouvoir, mâtiné de pages de poésie pure, le génie "russe" du récit qui mêle les excès des hommes aux harmonies de la nature, une très grande interprétation collective de l'oeuvre de Rimsky-Korsakov.

Le charisme de Dmitry Ulyanov est tel sur scène que je me demande si j'aurais envie dans le futur de voir un autre roi Dodon et la réplique que lui donne l'extraordinaire Andrei Popov (qui déambule devant le rideau pour distraire les spectateurs pendant les évolutions du décor) atteint des sommets, notamment dans le final...

Le festival d'Aix en Provence, redonne ce Coq d'Or fin juillet avec la même équipe. A ne pas rater !

 

 

 

 

Le conte de Pouchkine

Dans le vingt-septième royaume, dans le trentième empire, vivait je ne sais où l’illustre tzar Dadone.

Terrible, dans sa jeunesse, follement téméraire, sans trêve, il avait causé grand dommage à ses voisins. Mais, quand il devint très vieux, il désira la trêve des armes et la vie paisible. Alors ses voisins tentèrent d’inquiéter le vieux tzar et de lui porter grand mal.

Pour protéger ses frontières des incursions ennemies, il entretint une nombreuse armée. Les chefs ne dormaient pas, mais ils n’arrivaient plus à suffire. S’ils veillaient au sud, l’ennemi venait d’orient. S’ils le repoussaient là, survenaient de la mer d’audacieux pillards.

Le tzar Dadone pleurait de rage et perdait le sommeil. Peu lui souriait de vivre en perpétuelle angoisse.

Voici qu’il se décide à demander secours et dépêche un messager vers l’astrologue, sage et eunuque, pour le trouver, le saluer de sa part.

Devant Dodone voici le sage. De son sac il tire un coq d’or.

— Perche-le, dit-il au tzar, sur la flèche d’une haute tour. Il te gardera fidèlement. Si tout reste calme à l’entour, immobile il se tiendra. Mais que, de quelque côté, te menace une guerre ou l’incursion d’une horde, ou quelque malheur sans nom, mon coq d’or aussitôt de relever la crête, de se mettre à chanter et de battre des ailes, en regardant l’horizon d’où vient le danger.

Le tzar remercia l’eunuque, et dans son ravissement il lui promit merveilles et montagnes d’or.

— Pour reconnaître un service tel, lui dit-il, j’accomplirai ta première volonté aussi pleinement que la mienne.

 

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